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Gaëtan Siew: «Ramener jusqu’à 5 000 jeunes vivre à Port-Louis»
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Gaëtan Siew: «Ramener jusqu’à 5 000 jeunes vivre à Port-Louis»
La démission de Jean Claude de l’Estrac comme Chief Executive Officer (CEO) de la Port-Louis Development Initiative (PLDI), le mois dernier, est un aveu d’impuissance ?
Ce qui nous intéresse le plus, c’est Port-Louis. Que les gens viennent et partent, c’est secondaire. Ne voulez-vous pas que Port-Louis revive ?
Vous vous concentrez sur Port-Louis, sachant que Jean Claude de l’Estrac dit que l’État a les yeux braqués sur Côte-d’Or ?
C’est une perception. J’ai toujours dit que Maurice est une petite ville.
Est-ce que Côte-d’Or fait de l’ombre à Port-Louis, qui ainsi n’attire pas les investisseurs ?
On peut dire la même chose de toutes les smart cities.
Vous ne répondez pas là…
Pourquoi juste Côte-d’Or ? Chacun a son opinion. Avec de l’Estrac, nous avons toujours eu de bonnes relations. Le souci, ce n’est pas les relations personnelles. Il faut reconnaître que Jean Claude de l’Estrac a une expérience politique que je n’ai pas et que je n’ai jamais eue. Je suis un technicien et un éternel optimiste. Ce qui m’intéresse, c’est Port-Louis. Pourquoi ne pas encourager tous les Mauriciens à s’intéresser à Port-Louis ?
«Quand ce sont des jeunes, il faut des loyers accessibles. On veut des jeunes qui, de préférence, travaillent déjà à Port-Louis. Donc, moins de transport.»
Vous affirmez que tout un travail a été fait avec l’Economic Development Board (EDB) pour mettre toutes les chances du côté de Port-Louis dans le prochain Budget. Cela porte sur le moratoire à la «Landlord and Tenants Act» ?
Faire revivre une ville demande beaucoup de choses : techniques, économiques, légales, etc. On ne fait pas une rougaille avec seulement du thym.
Notre vision pour Port-Louis est en trois volets, qui se font en parallèle. Il y a une vision globale, un cadre juridique favorable. Troisièmement, le nerf de la guerre, l’investissement pour réussir les deux premiers. Cela a été présenté à l’EDB dans le cadre du prochain Budget. Nous avons commandé une vision à Broadway Malyan (NdlR, cabinet international d’architecture et d’urbanisme), qui a rencontré les forces vives, les autorités, les professionnels, certaines ONG…
En quoi consiste cette vision globale ?
Elle se concentre sur le centre-ville et identifie le potentiel de chaque quartier de celui-ci.
Certains disent que Port-Louis n’a pas un mais plusieurs centres…
Je ne partage pas cette vision. D’autres diront que Port-Louis est le centre de Maurice. Est-ce que Paris a un centre ? Il y a 20 arrondissements, chacun avec une mairie. À Port-Louis, le centre, c’est du côté de l’Hôtel du gouvernement, le Parlement, la place d’Armes, le quartier des affaires à la rue sir William Newton, le marché est juste à côté. Il y a là le centre politique, économique, commercial et même le théâtre de Port-Louis qui est le centre culturel.
Broadway Malyan a identifié le potentiel de tout cela. Par exemple, il y a l’Aapravasi Ghat et la zone tampon autour.
Une zone qui fait des mécontents à cause des contraintes qui limitent le développement.
Nous avons tenu compte de tout cela. La vision globale respecte ces contraintes. Cette zone-là est riche de patrimoine, même si tout n’est pas classé. Un autre patrimoine : les maisons, parfois très modestes, mais magnifiques du Ward IV. Cela fait aussi partie du projet. Il y a le Champ-de-Mars, les espaces verts de la ville, le déplacement de la Cour suprême. Tout cela est pris en compte dans cette réflexion. Il y a également les faiblesses de Port-Louis.
C’est-à-dire ?
Si je demande dix faiblesses, le Mauricien m’en cite 20. Le parking, l’absence de prise en charge du patrimoine, la population qu’il faudrait faire revenir vivre à Port-Louis. Il y a aussi l’after four, la concurrence de Bagatelle par rapport au Caudan qui fait beaucoup de tort à l’animation de la ville, etc.
Les recommandations ont-elles été soumises à l’État ?
Nous avons partagé cela avec la municipalité et les ministères concernés.
On vous a réservé quel accueil ?
Plutôt favorable.
«L’État doit offrir ses biens au privé pour que ceux-ci soient rénovés et transformés en quelque chose de rentable.»
Qu’est-ce qui fait que cette fois le document ne finira pas dans un tiroir ?
C’est justement le rôle de la PLDI. Il faut se rendre à l’évidence. Le budget de la municipalité, c’est 95 % d’administratif. Quel budget la PLDI dégagera pour développer la ville et réparer ses problèmes ? C’est pour cela que nous venons complémenter le travail de la municipalité. Le mot vision est un pléonasme pour dire long terme.
Pour la continuité, on veut un cadre juridique. On ne peut pas prédire l’avenir, mais on peut s’accorder sur les objectifs. Par exemple : ramener des jeunes vivre à Port-Louis. Nous ne proposons pas de construire des bâtiments. Il y a plus de 400 000 mètres carrés d’espaces de bureaux dans la ville ; et facilement 10 % à 15 % de bureaux non utilisés. Imaginons que les propriétaires soient encouragés à les transformer en appartement ciblant les jeunes.
Quand ce sont des jeunes, il faut des loyers accessibles. On veut des jeunes qui, de préférence, travaillent déjà à Port-Louis. Donc, moins de transport. Éventuellement, cela pourrait encourager la marche, la bicyclette. Après 16 heures, les jeunes cadres consommeront donc dans la ville. Si on a 2 000 à 3 000 jeunes, cela commencera à changer la ville.
C’est l’objectif fixé ?
Même 5 000, s’il le faut. Il y a de la place à Port-Louis.
Vous avez sondé les propriétaires ?
Tout le monde est déjà partie prenante. Nous avons rencontré le Front commun des petits commerçants de Raj Appadoo. Des employés touchent une transport allowance. Pourquoi ne pas la transformer en housing allowance ? Pour permettre à l’employé de payer son loyer ou lui permettre de devenir un first time buyer de son petit appartement dans Port-Louis.
Si c’est un célibataire ou un jeune couple, il passe cinq ans dans cet appartement, économise sur le transport, le temps. Après cinq ans, s’il a une housing allowance, il peut revendre cet appartement, avec une plus-value et s’installer dans un plus grand appartement parce qu’entre-temps, ses moyens auront évolué. Ce n’est que l’une des mesures illustrant notre approche. Les grands objectifs touchent l’environnement, la culture et le patrimoine, pour que la population trouve son intérêt à s’installer à Port-Louis.
Un autre exemple : si la mairie veut qu’une rue devienne piétonnière, en a-t-elle les moyens ? Pas nécessairement, vu son budget. Nous proposons de participer, avec l’ensemble des propriétaires qui ont une devanture sur ces rues. Une fois la rue rendue piétonnière, cela permettra de valoriser les commerces.
Les rues qui deviendront piétonnières, ont-elles déjà été identifiées ?
C’est le gouvernement qui les a identifiées. C’est dans le Planning Policy Guidance de l’Aapravasi Ghat et dans l’Outline Scheme de Port-Louis. Nous avons suivi le même courant. Nous ne changeons pas les règles du jeu. Nous proposons des mesures pour que ses propres intentions se réalisent. C’est pour cela que les autorités ne sont pas nécessairement contre.
Prenez la rue Farquhar, entre les deux bazars, elle est piétonnière d’office. L’automobiliste sait que c’est une perte de temps de rouler à cet endroit. La seconde rue qui pourrait l’être, c’est la rue La reine, qui passe devant le bazar, devant la MCB, derrière la Jummah Mosque et qui finit dans Chinatown.
Ce que l’on demande comme incentive pour les propriétaires qui participent à l’effort de rendre la rue piétonnière, c’est qu’ils se retrouvent sur certaines taxes, sur l’utilisation des trottoirs. Ils peuvent ouvrir un café, mettre des tables à l’extérieur et gagner en termes d’espace commercial. C’est ce que nous voulons mettre en place, petit à petit. En un an, jamais cela ne va se faire.
Encore une fois, qu’est-ce qui vous fait croire que cette fois-ci, cela va se réaliser, alors que vous venez de dire que ces mesures ont été recommandées par l’État depuis des années ?
Parce qu’il y a un troisième volet : les investissements. Si nous demandons Rs 500 000 ou Rs 1 million à chaque propriétaire, il dira non.
Des propriétaires qui parfois ne veulent même pas repeindre leur façade.
Exactement. Donc, le troisième volet, c’est de monter un fonds d’investissement avec des promoteurs privés qui veulent miser sur des projets spécifiques. À Port-Louis, il y a un certain nombre de projets possibles, à partir des propriétés du gouvernement, comme le théâtre de Port-Louis, les Casernes centrales ou encore les vieilles prisons. Mais ces projets ne figurent pas parmi les priorités des Budgets de l’État.
Nous disons à l’État : vous avez un bien qui ne vous rapporte rien et qui vous demande de l’entretien. Nous voulons renverser la réflexion. Offrez cela au privé – par appel d’offres, bien sûr – pour que ces biens soient rénovés et transformés en quelque chose de rentable. Le promoteur pourra alors payer des revenus à l’État. Résultat des courses : tout le monde sera content.
Un cadre juridique approprié pourrait permettre cela. Port-Louis est la seule ville où un pareil projet peut se réaliser. Les smart cities ne pourront jamais rivaliser avec cela.
Dès que le privé s’intéresse à des biens publics, il y a des craintes d’accaparement.
C’est la perception, pas juste de l’État, mais de la population.
Vous vous heurtez vous aussi à cela ?
Bien sûr.
Et que faites-vous ?
Cela fait 30 ans que cela dure. Peut-être plus. Tout le monde se plaint en disant que tout tombe en ruine. Quel espoir avons-nous que l’État va prévoir de gros budgets pour rénover le patrimoine ? Je n’y crois pas. Il a d’autres priorités.
Comme ce n’est pas la priorité immédiate de l’État, allons nous en occuper selon une formule win-win. Le public n’est pas content de toutes ces terres à bail accordées aux hôtels, mais c’est un gros précédent. Pourquoi dans le cas des bâtiments, on ne ferait pas la même chose ? Légalement, cela existe. Nous proposons que la formule se passe mieux. On ne va pas prendre La Citadelle pour y mettre une usine de poupées en plastique…
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