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Pomponette: «À ce rythme, on va finir par tuer le tourisme…»

6 mai 2018, 18:00

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Pomponette: «À ce rythme, on va finir par tuer le tourisme…»

Jeudi, sept militants étaient arrêtés pour avoir dégagé les barricades encerclant le projet hôtelier de Pomponette. Six hommes et une femme: Carina Gounden, du collectif Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL), 28 ans, étudiante en dernière année de thèse de sociolinguistique. Rencontre.

Alors, cette première arrestation ?
Oh, ça s’est pas trop mal passé (sourire). Les policiers de Chemin-Grenier nous ont bien reçus. C’est marrant, je les ai sentis presque gênés. Ils ont beau être en uniforme, ils comprennent notre lutte. Pomponette est aussi leur plage et celle de leurs enfants.

Cet épisode ne fait-il pas un peu tache sur votre propret CV de future thésarde ?
J’assume complètement, c’était pour la bonne cause. Ce qui aurait fait tache, ç’aurait été de rester les bras croisés, de regarder faire mes camarades, parce qu’une clôture n’a rien à faire sur une plage aimée et fréquentée des Mauriciens. Ils peuvent nous accuser de ce qu’ils veulent – en l’occurrence, de «damaging private property by band» –, moi, c’est le contraire que j’ai ressenti en participant à cette action. J’ai protégé un bien public, un commons. Ceux qui damage, ce sont nos dirigeants, ceux qui autorisent l’accaparement des plages. Et cela, au mépris de leurs propres engagements.

On a pourtant l’impression que cette lutte va au-delà des enjeux environnementaux…
C’est le cas. Si Pomponette cristallise autant de tensions, c’est parce qu’il s’y joue autre chose que l’accès à une plage ou la préservation du littoral. Ça, c’était le point de départ, mais l’enjeu est devenu plus large : c’est de notre mode de vie dont il s’agit. Ce mode de vie qui est intimement lié à la plage, premier loisir des Mauriciens. C’est pour cela que Pomponette devient un symbole des luttes et des résistances. C’est un peu notre Notre-Dame-des-Landes, un exemple de mobilisation citoyenne contre un projet aberrant qui ne fait l’objet d’aucun débat public.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre AKNL ?
J’ai 28 ans. Je vais bientôt terminer mes études en France, où j’ai vécu pendant dix ans. Je veux revenir dans mon pays, c’est ici que je veux construire ma vie, ici que je me projette, mais parfois j’ai du mal parce que ce que je vois me décourage. Jusqu’au jour où tu te dis : «Et si je m’impliquais pour essayer d’améliorer les choses ?» Ce que j’ignorais, c’est l’énergie que ça me pomperait. Je suis épuisée, dans un état de fatigue permanent, et on l’est tous. Parce que cette cause, quand on l’empoigne, elle nous habite (elle sert les poings). Mais je ne lâcherai rien (elle appuie), personne ne lâchera rien. Je n’ai pas mis deux ans de ma vie dans ce combat pour abandonner en route.

Sur cette route, qu’avez-vous appris?
J’ai fait des rencontres. J’ai vu combien la peur d’agir est forte à Maurice, par crainte de représailles. Moi aussi, je vis cette peur. On n’arrête pas de me dire que je compromets mon avenir.

Vos parents ?
Non. Mon père est à mes côtés dans ce combat. On vit quelque chose de très fort ensemble.

Parlons du fond. Ce projet d’hôtel, que lui reprochez-vous ?
Construire des mastodontes au bord de l’eau, ce n’est plus possible. À ce rythme, on va finir par tuer le tourisme. Il y a autre chose à proposer, plus humain, plus centré autour des habitants et le Sud s’y prête parfaitement.

Concrètement, vous proposez quoi?
La première des choses à faire, c’est de respecter la National Development Strategy. Ce rapport d’experts est un peu la bible du ministère des Terres, mais il n’est pas appliqué. C’est dommage, parce qu’il est très intéressant. Par exemple, il explique comment préserver la côte du Sud en développant un tourisme différent, à base de petits hôtels et de guest houses. Je déteste l’idée de n’avoir rien d’autres à proposer que des resorts, l’île Maurice est tellement plus et ce «plus», ce sont les Mauriciens qui peuvent l’offrir. L’authenticité, l’expérience, c’est ce que les touristes viennent chercher chez nous. Les gros hôtels essaient d’y répondre, mais ce n’est pas comparable à ce que l’on peut vivre chez l’habitant. Il faut donc diversifier l’offre, ce qui permettra aussi de démocratiser le secteur.

Admettons que vous ayez raison. Est-ce une raison valable pour casser le bail des promoteurs sud-africains de Pomponette ?
Premièrement, ces promoteurs n’ont pas été en mesure de construire dans les délais prévus, entre août et novembre 2017. Ensuite, nous contestons leur permis EIA. Nous affirmons qu’il n’est pas valide puisqu’ils ont récupéré le permis de Midas Acropolis, ce qui est une absurdité, car les deux projets n’ont rien à voir. Je n’ai rien contre ces gens-là, je veux juste qu’ils construisent leur hôtel dans les terres et qu’ils laissent leur plage aux Mauriciens – ce qui, soit dit en passant, serait un excellent argument marketing.

C’est la troisième fois que le site est «débarricadé». Jusqu’à quand va durer ce petit jeu ?
Je n’ai pas envie qu’il y ait de quatrième fois. Je n’ai pas envie d’être dans le combat permanent. Je n’ai plus de vie, j’en veux une.

La solution ?
Il est temps que les autorités acceptent de nous rencontrer afin de trouver une solution ensemble. Nous avons un gouvernement qui nous ignore superbement. Ils ne répondent à aucun de nos courriers. Ils sont dans le mépris.

Et avec les promoteurs, y a-t-il un dialogue ?
Non. Notre collectif part du principe que l’on n’a pas à négocier avec les promoteurs. Nos interlocuteurs, ce sont nos responsables politiques, en premier lieu le ministre des Terres. Cela dit, nous avons rencontré la CEO de Pelangi Resorts, Miranda Hartzenberg. Nous étions en train de nettoyer la plage de Pomponette, elle est venue chercher la merde.

C’est-à-dire ?
Elle nous a provoqués en nous photographiant, nous et nos véhicules. Nous lui avons demandé d’arrêter et de supprimer les images. Le ton est monté, elle s’est mise à hurler : «This is my beach ! This is a private property !» C’était agressif, voire insultant. On ne parle pas sur ce ton à des Mauriciens qui nettoient la plage où ils sont nés, où ils ont grandi. Mais bon, ça ne m’a pas surprise.

Pourquoi ?
Cette dame, je l’avais déjà rencontrée une première fois. J’avais essayé de lui expliquer notre état d’esprit : «Madame, vos clients aimeront cette plage et nous l’aimons aussi, alors partageons, mettez votre hôtel un peu plus loin.» Elle m’a répondu qu’elle ne voyait aucune raison de reculer, parce qu’aux Seychelles elle construisait bien plus près de l’eau.