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François-Louis Athénas: «La photo c’est prendre du temps avec le photographe, c’est pas des selfies»

23 mai 2018, 03:45

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François-Louis Athénas: «La photo c’est prendre du temps avec le photographe, c’est pas des selfies»

Le photographe réunionnais aime tellement Maurice qu’il documente l’évolution de notre société. Il participe à l’exposition Regards croisés, qui se tient dans le cadre de la semaine française.

Dans vos photos, les personnages semblent pris sur le vif. Comment faites-vous pour vous faire oublier ?

En règle générale, je ne prends pas les gens à la sauvette. Je leur explique ma démarche, je crée une forme d’intimité fugace. Au fur et à mesure, la parole prend le dessus sur l’image. Les gens regardent de moins en moins l’appareil photo, c’est là que je m’en sers de plus en plus.

Vous êtes-vous heurté à des refus ?

Je ne fais pas de la photo volée, je fais un travail de mémoire. J’explique que je fais un travail sur le patrimoine et l’histoire de Maurice. Je reçois un très bon accueil. Quand vous racontez aux gens que vous faites un travail de mémoire où eux aussi ont leur part, ils comprennent. Le travail de mémoire, cela leur rappelle l’enfance, un parfum de nostalgie.

La photo c’est aussi ça : prendre du temps avec le photographe, c’est pas des selfies. C’est quelque chose qu’on va transmettre. La photo c’est d’abord un outil de transmission. Ce que je défends dans la photographie, c’est un espace de partage, où l’on produit quelque chose qui va aider à faire le lien entre les générations.

Vous photographiez Maurice depuis plusieurs décennies, n’êtes-vous pas rassasié d’images ?

Non. Je suis Réunionnais et j’aime infiniment Maurice. J’ai découvert l’île quand j’avais 10 ans. C’était en 1968, l’année de l’indépendance. Je connais très bien Tristan Bréville (NdlR : fondateur du Musée de la Photographie). Je lui ai demandé s’il y avait des photographes mauriciens qui documentaient l’évolution de la société mauricienne. Il m’a dit non. Les photographes mauriciens travaillent, cela veut dire qu’ils font des photos de mariage, des photos de presse. Au final, ils n’ont pas le temps de faire un travail qu’on ne leur a pas commandé. Ils n’en ont pas les moyens économiques. J’ai dit à Tristan Bréville, «écoute, je vais le faire». Depuis 20 ans, je viens quatre, cinq, six fois à Maurice, dans le seul but de documenter l’évolution mauricienne.

Vous précisez que ce n’est pas une commande ?

Absolument pas. Je fais la même chose à La Réunion. Pendant 30 ans j’ai fait un travail sur les boutiques à La Réunion, qui n’a été financé par aucun organisme.

Vous vivez de quoi ?

Je vis de la photo.

Expliquez-nous.

Très tôt, j’ai mis en place un dispositif où je ne travaille que sur le patrimoine et l’identité culturelle. Je suis le seul à faire ça. C’est un sujet qui intéresse pas mal de gens. De temps en temps, il y a des organismes qui trouvent cela intéressant. Je ne dis pas non. Mais je commence toujours ces travaux en les finançant moimême. Jusqu’à présent, ça marche. Je suis indépendant. Je ne vis que de la vente de mes photographies.

À La Réunion, c’est possible ?

Depuis un an, j’ai une galerie (NdlR : Ter’la), dans le Bas de la Rivière, à Saint-Denis. Je suis le président de l’association qui opère cette galerie. Et je fais des travaux photos. Mon Dieu, je touche du bois, ça marche. Je ne fais aucune photo de commande. Je ne vis que du travail d’auteur.

Vous êtes donc un artiste comblé ?

Enfin, quand je dis aucun travail de commande, c’est faux. Il y a des commandes de l’État. Ce ne sont pas des commandes, mais des missions photographiques. Il ne s’agit pas de photos commerciales, c’est un travail intellectuel qu’on me demande de faire. Par exemple : depuis 15 ans, l’État français me demande de faire un travail de sui- vi du paysage à La Réunion. C’est une mission qui s’appelle L’observatoire du paysage. Cela existe dans toutes les régions de France. À La Réunion, il y a eu une consultation il y a 15 ans et j’ai été choisi.

Dans l’expo Regards croisés, il y a l’échoppe d’un marchand de gâteaux à Mahébourg– «Gro maraz» photographié à environ 20 ans d’intervalle. C’est dans le même esprit ?

Quand j’étais en résidence ici en février dernier, je me suis promené un peu partout, avec l’idée de faire de la photo contemporaine et moderne. Je suis passé à Mahébourg. Je me suis dit, c’est marrant, c’est le même nom. Je suis allé voir le gars, qui m’a dit : «oui, oui, c’était mon père qui était là avant». J’ai expliqué que je fais des photos pour une expo.

Pourquoi ne travaillezvous qu’à l’argentique ?

Ce n’est pas un choix technique, mais philosophique. Ce qui m’intéresse, c’est que le geste photographique ne disparaisse pas et que je puisse le transmettre. Je fais des ateliers dans des écoles, où je leur montre ce que c’était la photo avant. Et comment on peut penser la photo aujourd’hui.

C’est pour dire, la photo, c’était mieux avant ?

Pas du tout. C’est pour que ce qu’il y avait avant ne disparaîtra pas. Mon obsession c’est la perte de la mémoire. S’il ne doit en rester qu’un, je serais celui-là.

*L’exposition Regards croisés est visible au Café du Vieux Conseil jusqu’au 30 mai.