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Gerald Lincoln contre de nouvelles taxes au Budget

23 mai 2018, 23:30

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Gerald Lincoln contre de nouvelles taxes au Budget

Le patron d’Ernst & Young n’écarte pas une cascade d’augmentations suivant la majoration de prix de l’essence et du diesel. À l’approche du Budget, il ne voit pas Pravind Jugnauth se déguiser en père Noël pour distribuer des cadeaux électoraux à tour de bras. Avant de faire une plaidoirie pour développer davantage le secteur des services.

C’est la grogne populaire après l’augmentation de 10 % des prix des carburants. Estimez-vous que c’est un bon timing et ce, à quelques jours de la présentation du Budget 2018/19 ?
Ce n’est jamais un bon timing pour rehausser les tarifs du CEB, de la CWA ou encore des prix des carburants. Dans le cas de l’augmentation de l’essence et du diesel, la réalité est que le cours du baril s’est renforcé de manière conséquente ces derniers jours suivant des questions d’ordre géopolitique. Or, comme on ne produit pas de pétrole, on est forcément tributaire des prix à l’échelle mondiale.

À Maurice, le prix est réglementé par la State Trading Corporation qui dispose d’un mécanisme transparent pour réajuster les prix de produits pétroliers.

Vous parlez de timing ! On est encore loin des élections générales et beaucoup de choses peuvent se passer entre maintenant et les prochaines élections. Mais je dirai que cette hausse, même si elle est importante, était un mal nécessaire.

N’empêche qu’il faudra s’attendre à une cascade d’augmentations suivant cette majoration de prix des produits pétroliers ?
Malheureusement, oui. Tous les commerçants vont en profiter, allant des boulangers du coin aux chauffeurs de taxi, en passant par des propriétaires de vans scolaires.

À quelques jours de la présentation du Budget, quelles sont vos attentes ? Estimez-vous, comme beaucoup d’analystes, que ce soit un Budget préélectoral ou carrément électoraliste, à un peu plus d’une année de la prochaine échéance ?
Je ne m’attends pas à un Budget électoraliste car il y aura un dernier Budget l’année prochaine avant les élections générales. C’est, du moins, le souhait du Premier ministre et ministre des Finances. Ce sera alors peut-être un exercice budgétaire préélectoral. Mais je ne m’attends pas à des cadeaux pour faire plaisir à la population. J’attends en revanche une continuité des mesures annoncées par Pravind Jugnauth ces trois dernières années, et ce, en ligne avec sa stratégie économique.

Évidemment, le prochain Budget, comme ceux des années précédentes, fera la part belle au social. C’est important pour la paix sociale. Déjà, il y a énormément de projets enclenchés et d’autres en chantier sur le front de logements sociaux. Ensuite, les grosses dépenses publiques en infrastructures vont continuer. Je considère ces dépenses de l’État comme étant très importantes pour le développement économique car cela crée un buzz dans le pays en générant des emplois pour nos jeunes mais aussi en permettant aux entreprises locales, notamment celles dans le secteur de la construction, de rouler à plein régime.

À la fin de la journée, c’est une île Maurice moderne qui sortira de ces différents chantiers, qui ne pourra qu’être une fierté pour la population comme c’est le cas aujourd’hui avec notre aéroport international et demain forcément avec le Metro Express.

En parlant de social, il y a eu aussi la «Negative Income Tax» et la «Solidarity Tax» dans le dernier Budget. Ces mesures éminemment sociales ont-elles eu l’effet escompté ?
Je n’ai pas les chiffres pour faire un bilan de ces deux mesures. Le ministre des Finances aura le loisir de le faire dans le prochain Budget. D’ores et déjà, je peux affirmer que sur le principe ces deux mesures vont dans le sens de la croissance inclusive recherchée par tous les gouvernements aujourd’hui à l’échelle mondiale et que les opérateurs économiques à Maurice et ailleurs y participent pleinement. 

Car c’est quoi la finalité de l’impôt négatif ? C’est carrément mettre de l’argent entre les mains de gens au bas de l’échelle pour les aider à grimper l’échelle sociale, voire à consommer dans certains cas. Et c’est bien que pour cet exercice, les gens les plus fortunés de la société, soit ceux touchant plus de Rs 3 millions de revenus annuellement, y participent à travers la Solidarity Levy.

Et vos attentes ?
Je souhaite que ce Budget fasse la part belle à la nouvelle économie, soit à tout ce qui touche à l’économie digitale, à l’intelligence artificielle, à la robotique. Il ne faut pas que Maurice rate le coche par rapport à ce nouveau créneau économique. Le pays a bien joué dans le passé la carte de la BPO (Business Process Outsourcing). Il suffit de voir le nombre d’entreprises qui s’y sont engagées à la cybercité d’Ébène. C’est l’occasion aujourd’hui de prendre des mesures incitatives pour encourager le développement de la nouvelle économie. Il y va du nouveau positionnement stratégique de Maurice et de son ambition à passer au statut de pays à revenu élevé.

Chaque année, c’est la même question qui est posée. Le ministre aura-t-il une marge de manœuvre pour son prochain exercice budgétaire ?
On ne peut pas dire que le ministre des Finances a une grande marge de manœuvre. Pour pouvoir dépenser, il faut disposer de l’argent qui est essentiellement sous forme de la taxe. Or, à Maurice, la principale source fiscale est la taxe sur la valeur ajoutée qui est à 15 %. Il y a des pressions pour l’augmenter. Je ne crois que ce soit la bonne démarche comme il ne faut pas la réduire non plus. Le pays est fait pour avoir une TVA à 15 % dans le moyen terme. 

En parlant de la marge de manœuvre budgétaire, je dois dire qu’elle est toujours limitée car le pays est relativement endetté. On dit qu’on a une dette publique de plus de Rs 300 milliards. Mais je persiste et signe : il ne faut pas s’arrêter aux chiffres absolus. Cela ne veut rien dire. Il faut savoir que les secteurs qui attirent le gros de ces investissements sont principalement l’éducation, la santé, la pension universelle et la sécurité sociale. 

Donc des dépenses qui vont dans le social pour permettre au pays d’avoir un Welfare State et un niveau de vie correct pour sa population. D’autres pays comme le Japon, les États-Unis ou la France ont des niveaux d’endettement élevés mais leurs économies ne sont pas dans le rouge ; tout est une question de choix prioritaires pour les investissements, s’ils sont injectés dans des secteurs productifs ou pas…

Évidemment, il y a des arbitrages à faire mais tout compte fait, je suis contre l’imposition de nouvelles taxes dans le prochain Budget. Je suis favorable à un Tax Neutral Budget.

Autour de quels secteurs économiques va graviter le prochain Budget ?
Il y a le secteur des services qui doit continuer à attirer l’attention du gouvernement. Beaucoup a déjà été fait mais il y a encore de l’espace pour le développer davantage. Je pense surtout au knowledge hub qui commence à prendre de l’ampleur. Mais aussi à la nouvelle économie et à l’innovation où le pays doit prendre les devants pour s’y imposer. Cela d’autant plus qu’on a les compétences locales pour soutenir ce secteur. Des pays comme l’Angleterre ou Singapour ont développé des industries de services, notamment celles de la finance, et sont devenus des références mondiales.

Reste que le secteur manufacturier qui est en déclin ?
Cela ne surprend pas car depuis longtemps, le secteur manufacturier a perdu son avantage comparatif par rapport à d’autres pays. Aujourd’hui, il n’y a aucune logique pour un investisseur de venir s’implanter à Maurice. Et ce pour plusieurs raisons : d’une part, le pays est loin des fournisseurs de matières premières et, d’autre part, le coût de la main-d’œuvre n’est plus compétitif. 

La preuve en est que tous les grands groupes textiles mauriciens ne produisent plus à Maurice. Leurs sites de production sont ailleurs, en Inde, au Bangladesh, à Madagascar, soit dans des pays où le coût de production est plus compétitif. Donc, je ne vois pas comment on peut relancer ce secteur en créant une plateforme de production.

Il y a le sucre qui mérite des mesures urgentes de relance. Faut-il encore compter sur ce secteur à l’avenir ?
La situation est certainement préoccupante dans le secteur sucre avec un prix dérisoire sur le marché mondial, près de Rs 11 000 la tonne pour les planteurs. En même temps, on peut se passer de cette culture qui est associée depuis 300 ans à l’histoire économique et sociale du pays. 

On ne peut pas mettre une croix sur ce secteur car, en retour, il faudra se demander ce qu’on fera des terres actuellement sous culture de la canne. La solution, c’est des mesures de relance pour donner un nouveau souffle à ce secteur et éviter que les planteurs abandonnent leurs cultures. C’est dans ce sens que le comité conjoint gouvernement/secteur privé a formulé un certain nombre de recommandations.

Différents mémoires budgétaires ont souligné la nécessité de promouvoir davantage la gent féminine dans l’activité économique du pays. On a chiffré à 130 000 une main-d’œuvre féminine inexploitée. Comment analysez-vous cette situation ?
La question de D&A (Diversity & Inclusiveness) est aujourd’hui à l’agenda de tous les conseils d’administration et des multinationales à l’échelle mondiale. D&A touche au genre du personnel, à son orientation sexuelle, aux origines ethniques ou encore à son contexte social. Les boards ont de tout temps été dominés par les hommes. Il y a une réflexion engagée actuellement autour de female empowerment dans les entreprises. Le concept de D&A est plus que jamais une réalité dans la vie économique et politique des pays. Il y a déjà une percée de femmes au niveau du pouvoir économique et politique dans le monde.

D’ailleurs, chez EY, notre personnel est à 72 % féminin et occupe des postes de responsabilité. Je constate d’ailleurs qu’au niveau de CV que je reçois, les femmes sont nettement meilleures que les hommes. Elles ont un parcours académique et professionnel impressionnant. Il n’y a aucune comparaison avec leurs collègues masculins.

Est-ce un phénomène nouveau ?
C’est un phénomène nouveau qui est mondial. C’est une manière, voire un moyen pour les femmes de se libérer de certaines pesanteurs historiques, de pouvoir adopter une posture économique indépendante et concilier la vie professionnelle et celle de mère de famille. Autant de raisons qui expliquent aujourd’hui, à l’ère de l’autonomisation féminine, qu’il y a un réservoir de talents qui peut potentiellement trouver preneur dans les entreprises.

Le troisième Budget de Pravind Jugnauth sera aussi son deuxième comme Premier ministre et ministre des Finances. Estimez-vous que cette double responsabilité aura renforcé son image comme chef de gouvernement ?
Je trouve que le Premier ministre prend graduellement une posture d’homme d’État. Il faut lui donner sa chance. Attendre la fin de son mandat pour dresser son bilan. L’avenir nous le dira.