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Jean-Luc Schneider: «Je n’ai publié personne de Maurice, ce n’est pas faute d’avoir sollicité»
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Jean-Luc Schneider: «Je n’ai publié personne de Maurice, ce n’est pas faute d’avoir sollicité»
Jean-Luc Schneider, responsable de la maison d’édition réunionnaise Des bulles dans l’océan, était de passage récemment. Sa spécialité : la bande dessinée. Cet éditeur est distribué par Flammarion, en sus d’être régulièrement présent au Festival de la BD à Angoulême. Façon grandeur et décadence, il décrit les joies et les peines de faire connaître la BD de l’océan Indien.
Quelle est la ligne directrice de la maison d’édition Des bulles dans l’océan ?
On me propose des projets toutes les semaines, parfois de l’étranger. Si cela n’a pas un lien avec l’océan Indien, même si le projet me plaît, je ne l’accepte pas. C’est aussi une façon de me limiter par rapport aux moyens financiers disponibles. Nous publions 12 albums, cela veut dire un par mois, c’est beaucoup. Je n’ai pas de structure me permettant d’aller au-delà.
En huit ans d’existence, quelle est l’évolution des histoires publiées par Des bulles dans l’océan ?
Depuis 20 ans, Des bulles dans l’océan c’est d’abord un réseau de librairies spécialisées dans la bande dessinée. Nous faisons de l’édition depuis huit ans. L’évolution est surtout technique. Nous accompagnons des auteurs qui publient un premier livre, ce qui leur permet en- suite de progresser. Je n’ai pas de stars dans le catalogue. J’ai quelques albums avec des auteurs un peu connus, des gens que j’ai publiés au début. Depuis, je n’ai que de jeunes auteurs.
C’est voulu ?
C’est un peu le hasard. Si un grand auteur me propose une histoire sur l’océan Indien, je dirais oui. Le problème c’est qu’ils n’ont pas forcément besoin de moi pour leurs albums. C’est tout le paradoxe. Les jeunes auteurs ne le sont plus au bout de deux ou trois albums.
Quel auteur mauricien avez-vous publié ?
Je suis basé à La Réunion, je publie des auteurs essentiellement réunionnais et malgaches (NdlR : dont notre collègue Pov). Je n’en ai pas de Maurice. Il n’y en a pas beaucoup et ceux que je connais ne m’ont jamais proposé quelque chose. Ce n’est pas faute de les avoir sollicités.
C’est un regret ?
Oui, parce que ce serait bien d’avoir des auteurs de Maurice.
Vous cherchez des auteurs dans un genre spécifique ?
Au mois d’août, je lance le premier manga fait par un Réunionnais. J’ai une ligne éditoriale, des collections mais pas forcément de limites de contenu.
Le critère qui prime c’est la qualité artistique ?
Il faut déjà avoir un niveau suffisant pour être publié. Il m’est arrivé de passer deux ou trois ans avec des auteurs chez qui il y avait un potentiel mais qui n’avaient pas encore le niveau. La bande dessinée a des codes de narration, de construction. Si le lecteur s’ennuie au bout de trois pages, il ferme le livre.
Quelle considération donnez-vous aux bandes dessinées historiques ?
L’histoire en tant que telle n’est pas intéressante en bande dessinée. Il faut qu’elle serve de décor. Il faut que ce soit une fiction qui se serve de la période historique pour placer des choses vraies, comme des costumes, des dates, des lieux. Sinon, on fait un livre d’histoire avec des images. On peut aussi raconter l’histoire de manière en partie fictive. Par exemple, nous avons publié une bande dessinée qui s’appelle Le marron, sur l’esclavage, en deux tomes. Cela a demandé un long travail d’iconographie. L’auteur a passé six mois à La Réunion, aux archives départementales, pour valider tout ce qu’il avançait dans la bande dessinée, sur la façon de chasser, de se protéger du froid, de construire des abris. À côté de cela, il y a un personnage de fiction. Tout ce qui lui arrive a forcément dû se produire, mais ce n’est pas l’histoire vraie. La subtilité est là. C’est d’autant plus intéressant que si le public accroche à la qualité du récit, il va se souvenir du fond.
Dans le cas de Pov et Dwa, dans Lundi noir dans l’île rouge, on publie un album lié à l’histoire malgache. Elle sert de décor à une histoire d’amour, aux problèmes qu’il y a à Madagascar entre les gens des Hauts Plateaux et les côtiers. On n’est pas sur des systèmes de castes indiens mais il y a des séparations fortes. Il était intéressant de traiter de cette relation entre un homme et une femme, qui était quasiment impossible, à l’époque du coup d’État. On peut faire un parallèle avec la situation d’aujourd’hui. Cela met le doigt sur le phénomène récurrent de l’instabilité politique à Madagascar, sans pour autant poser un jugement.
Quelles sont les histoires qui vous sont le plus fréquemment proposées ?
L’important, c’est que les auteurs aient une identité graphique. Madagascar est très intéressante, parce qu’il n’y a pas d’écoles de la bande dessinée. Les gens sont autodidactes. Ils n’ont pas de stéréotypes par rapport au dessin. C’est une expression très personnelle. Il y a une palette graphique très large. Mais ce qui leur fait défaut c’est la technique – il faut compléter la palette graphique – et la culture générale. Ils ne sont pas trop ouverts au monde. Mais ils apprennent très vite et ils maîtrisent quelque chose qui leur est propre.
En Europe, il y a beaucoup de styles, avec beaucoup d’auteurs qui s’inspirent d’un style. Même si c’est bien fait, on ne sent pas la touche personnelle. C’est là, la vraie force des Malgaches et des Réunionnais, qui ont les beaux-arts mais pas vraiment une école de la bande dessinée.
Pour ce qui est des histoires, il y a celles qui parlent de La Réunion, de la vie d’il y a 30 ans, de la vie aujourd’hui. Un concept qui m’intéresse, c’est la transposition du quotidien en bande dessinée, raconter des choses aperçues dans la rue qui sont propres au pays. Cela, ça fonctionne très bien. À La Réunion, il y a Tiburce qui fait ça. À Madagascar, il y a un potentiel énorme.
Des choses propres au pays, mais avec un côté universel ?
J’insiste : si l’histoire est trop typée, elle est difficilement compréhensible. L’humour, les références culturelles ne sont pas les mêmes partout. Par exemple, une histoire sur la vie quotidienne à Maurice ne peut pas être racontée en créole mauricien avec des expressions que seuls les Mauriciens comprennent. Cela ne va intéresser que les Mauriciens. Ma dé- marche c’est de promouvoir le côté universel de certains talents.
L’univers de la bande dessinée est-il toujours majoritaire- ment masculin ?
Cela évolue doucement. Cela a long- temps été un métier d’homme. Chez nous, il y a deux auteurs qui sont des femmes. Le public est de plus en plus féminin. Il a un goût différent de celui des garçons. Dans le manga c’est le cas : le shonen pour les garçons, le shojo pour les filles. Dans la BD franco-belge, ça commence à poindre.
J’ai un projet fabuleux avec une jeune Malgache qui s’appelle Catmouse James, que j’ai repérée il y a deux ans, quand j’ai piloté un projet financé par l’Europe, entre des dessinateurs réunionnais et malgaches.
Quels sont les avantages d’être distribué par Flammarion ?
On est distribué en France, au Cana- da, en Belgique, dans tous les pays francophones. C’est le même groupe que Tintin et Fluide glacial.
Donc vous cherchez des histoires qui parlent au public francophone ?
Complètement. Je vends à peu près 500 albums par an au Canada. On est référencé à la Fnac, sur Amazon. Ce qui nous fait encore défaut c’est une certaine visibilité. La bande dessinée c’est globalement 5 000 albums par an. Quand on en produit dix à 12, ce n’est pas beaucoup. Le deuxième handicap c’est le manque de notoriété des jeunes auteurs. Tout cela fait que nous ne sommes pas bien prescrits auprès des libraires.
J’ai décidé de changer de stratégie. Plutôt que de ventiler cinq à six albums sur l’année, j’en ai regroupé sept. Cela va me permettre de présenter, tous les trois mois, des argumentaires qui permettent de donner envie. La durée de vie d’un livre en France, sauf quand il a du succès, c’est 10-12 jours.
Parfois pour trois ans d’efforts ?
Soit le livre rencontre son public et ça fait du buzz, soit il repart dans les stocks. Dans la zone, c’est différent. Il y a toujours la curiosité des visiteurs qui veulent savoir ce que l’on fait. Je vends encore des exemplaires des premiers albums édités il y a sept ans. C’est deux marchés différents.
Depuis sept ans, je suis au Festival de bande dessinée d’Angoulême, en France. Cette année, j’ai présenté 17 auteurs. Les gens ne viennent pas hasard. Quand ils découvrent nos produits ils disent, «c’est super, vous faites des trucs de qualité». Pour faire de l’argent, il ne faut pas faire de la culture. On a d’autres satisfactions : celle de créer, de partager des émotions. C’est des rencontres, des voyages. Mais financièrement, c’est la galère.
Vous ne gagnez pas votre vie comme éditeur ?
Pire que cela. Je suis allé très loin. Le métier d’éditeur c’est comme celui de producteur. On est sans arrêt à mettre de l’argent dans des projets, en espérant qu’ils seront rentables. C’est quasiment jamais le cas. J’ai mis ma boîte en danger. Bon, là ça va, j’ai récupéré. J’ai une librairie à côté. Petit à petit ça progresse. Je me dis qu’on a atteint à peu près l’équilibre, parce qu’on vend plus de 15 000 albums par an.
Combien d’albums sont rentrés dans les frais ?
Un ou deux. Aujourd’hui, je fais des tirages de 2 000 à 2 200 exemplaires en moyenne. C’est peanuts. J’ai déjà vendu 10 000 exemplaires sur deux ans, en étant persévérant. Si, demain, il y a un titre qui fait un best-seller, qui obtient le prix d’Angoulême, c’est sûr que cela change tout.
Vous n’allez pas abandonner ?
Je savais dès le début que cela allait être très difficile.
Mais pas aussi difficile ?
Franchement non. Quand je me suis lancé, le marché n’était pas tout à fait le même. Je me suis obstiné. Aujourd’hui, c’est compliqué et fragile, mais on tient debout. Je me donne un an pour réussir. Si dans un an ou deux je n’ai pas un titre qui sort du lot, à un moment donné֖ je me poserais la question : est-ce que je continue ou pas une aventure qui ne me mènera pas à grand-chose ? Je me suis fixé dix ans. J’en ai fait huit déjà. J’ai publié 50 albums. J’en aurais 70 d’ici là. En dix ans c’est beaucoup.
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