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Le footballeur Francis Rasolofonirina: «Maurice au Mondial, c’est possible»

17 juin 2018, 19:30

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Le footballeur Francis Rasolofonirina: «Maurice au Mondial, c’est possible»

Cette Coupe du monde, vous la vivez comment?

À la télé, comme tout le monde ! (rire) Ça aurait été un rêve de jouer un Mondial. Un footballeur, qu’est-ce qu’il peut faire de mieux ? Pas grand-chose… À 31 ans, ce ne sera pas pour moi.

Du coup est-ce frustrant d’être devant son écran?

Non, parce que j’apprends. J’observe le travail, les déplacements des défenseurs (son poste au Cercle de Joachim et en sélection, NdlR), j’essaie de m’en inspirer. Regarder un match de Coupe du monde, pour moi, c’est un peu comme aller à l’université.

Le Club M a échoué au premier tour des éliminatoires. Que vous manque-t-il pour aller plus loin?

De l’expérience. On est tombé contre le Kenya sans être ridicule, en tenant le nul là-bas. La différence majeure entre eux et nous, c’est qu’ils ont plusieurs joueurs qui évoluent en Europe, y compris en Premier League. Sans un championnat fort, Maurice ne peut pas avoir une sélection nationale forte. Ou alors, il faut jouer en club à l’étranger, or les joueurs mauriciens s’exportent peu.

«Sans un championnat fort, Maurice ne peut pas avoir une sélection nationale forte.»

Comment l’expliquez-vous?

Tout part de la formation des jeunes, et même de la préformation (il s’y consacre en étant entraîneur à l’académie Riverland de Tamarin, NdlR). Les meilleurs, très tôt, doivent se frotter à ce qui se fait de mieux dans la région. Cela veut dire jouer des tournois, organiser des déplacements, il faut un peu de moyens financiers. Les clubs en manquent.

Le salaire d’un footballeur oscille entre Rs 10 000 et Rs 20 000 par mois. Cela ne suffit pas pour nourrir une famille, il faut travailler à côté, tu n’as pas l’esprit concentré à 100 % sur le football. Des joueurs appelés en sélection, parfois, ne viennent même pas. Ils ne peuvent pas se permettre de manquer une semaine de travail.

L’Islande, avec la population des Plaines-Wilhems, est au Mondial…

Si le foot était une question de démographie, la Chine et l’Inde seraient déjà champions du monde. L’Islande, c’est l’exemple-type : ils jouent tous dans de bons clubs européens. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Ils

se sont posé les bonnes questions, ont compris que pour renforcer la sélection, les jeunes ne devaient pas rester au pays. Ils s’en sont donné les moyens. Cela doit inciter les Mauriciens à se dire : «Pourquoi pas nous ?».

Maurice en Coupe du monde, c’est possible?

Bien sûr que c’est possible ! Tout est possible si l’on s’en donne les moyens. Ce n’est pas pour demain, mais pour après-demain peut-être. Il faut y aller par pallier, commencer par viser une participation à la Coupe d’Afrique des Nations, et pourquoi pas la Coupe du monde 2026. En huit ans, on peut bâtir une équipe compétitive. Il faut rêver plus grand, être ambitieux.

Si, quand j’étais enfant dans mon petit village malgache miné par la sécheresse, quelqu’un m’avait dit que je jouerai un jour en sélection contre des pointures de Ligue 1 ou de Premier League, je ne l’aurais pas cru.

«En huit ans, on peut bâtir une équipe compétitive. Il faut rêver plus grand, être ambitieux.»

Vous êtes né et avez grandi à Tsihombe, à l’extrême sud de Madagascar. Comment avez-vous atterri à Maurice?

Je me suis exporté, justement ! Dans mon village, il n’y avait pas d’eau, pas de télé, mais il y avait le foot et les tournois

de village, ça a été mon académie. Je n’avais pas d’équipe attitrée, je jouais pour tout le monde, un peu comme un mercenaire (rire). J’aidais le plus offrant à remporter le bœuf et je rentrais chez moi avec ma petite enveloppe.

Le bœuf?

Un vrai bœuf, c’était le trophée des tournois de quartier. Il y en avait tout le temps. La semaine, je ne jouais pas, j’allais en classe. Le week-end, pour les finales, les équipes m’appelaient : «Francis, vinn donn enn koudmé». C’était loin de chez moi, je partais en taxibrousse le vendredi soir pour rentrer le lundi matin. Comme je n’avais pas un sou, un «recruteur» payait pour moi à l’arrivée.

Je jouais, je gagnais… Les autres, ils allaient boire et faire la fête avec leur bœuf. Moi, je prenais mes Rs 200 et je partais jouer une autre finale. Cet argent soulageait ma mère, qui élevait seule trois garçons.

C’est là que vous êtes repéré?

Oui, c’est grâce aux tournois intervillages que j’ai commencé à être connu dans le Sud. De fil en aiguille, j’ai été recruté par le meilleur club de Tana, puis par le coach malgache de Petite Rivière Noire, Bruno Randrianarivony, qui cherchait à l’époque un renfort. C’est comme ça que j’ai débarqué à Maurice, fin 2008.

En 2015, vous êtes intégré au Club M…

Entre-temps, je me suis marié. Ma femme est Mauricienne, nous avons un fils, j’ai eu ma nationalité. La sélection malgache m’a convoqué au même moment. J’ai eu un choix difficile à faire, je l’ai fait et je ne le regrette pas.

Qu’est-ce qui a fait pencher la balance?

Je craignais un peu la réaction de ma mère. Je l’ai appelée et je lui ai dit: «Maman, je rêvais de porter le maillot des Baréa (le surnom de la sélection malgache, NdlR), mais maintenant c’est à l’île Maurice que je vis et que je me sens heureux.» Elle a compris, c’était réglé.

Mouillez-vous : il est pour qui, le «bœuf» moscovite?

(Direct) Le Brésil… parce que leurs joueurs sont parmi ceux qui s’exportent le plus à l’étranger.