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Dr Naazim Mohungoo: les enfants d’abord
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Dr Naazim Mohungoo: les enfants d’abord
Ce fils du sol s’est spécialisé en psychiatrie des enfants et des adolescents en Irlande. Il est revenu dans l’optique de mettre ses compétences au service du plus grand nombre, c’est-à-dire ajouter la pratique publique à sa pratique privée. Or, ses appels du pied n’auraient intéressé personne au ministère concerné.
Le Dr Naazim Mohungoo aurait très bien pu se contenter de ne faire que de la pratique privée. Que ce soit dans son cabinet de Sodnac, au sein de cliniques fréquentées par des gens cossus ou d’organisations non gouvernementales encadrant les enfants présentant des troubles du comportement ou des retards mentaux. «Je ne veux pas d’exclusivité. J’ai toujours voulu offrir mon expertise à tout le monde, toucher le plus grand nombre», explique ce Mauricien de 36 ans.
C’était le cas en Irlande. Il y a passé 17 ansà étudier et à travailler. Les troubles du développement de l’enfant sont là-bas envisagés et traités en équipe pluridisciplinaire, comprenant un chef de service, qui est le pédopsychiatre, un psychologue, un ergothérapeute, un orthophoniste, des travailleurs sociaux, des social care workers et des infirmiers(es), afin que l’évaluation de l’enfant soit globale. Un schéma qui peut s’appliquer à la médecine privée à Maurice mais pas dans les hôpitaux publics.
Le Dr Mohungoo a fait quelques tentatives pour mettre son expertise à la disposition du ministère de la Santé. «J’ai rencontré quelques personnes à la Santé. Je voulais les aider à monter un cadre, pour que cette approche de traitement multidisciplinaire fonctionne dans les hôpitaux, pour une évaluation globale du développement de l’enfant. Cela n’a abouti à rien. C’est désolant…»
Naazim Mohungoo est le fils cadet d’Hamid, chimiste au ministère de l’Agriculture et d’Harira, qui a terminé sa carrière comme comptable au Registrar of Compagnies, tous deux à la retraite aujourd’hui. Lorsqu’ils se projettent dans l’avenir, les Mohungoo voient leurs deux fils médecins. Ils contractent des emprunts pour financer leurs études. Leur fils aîné, qui a fréquenté le collège Royal de Curepipe, va étudier la médecine en Grande-Bretagne. Il se spécialise en dermatologie et s’établit dans ce pays.
Leur cadet, Naazim, fréquente le collège Royal de Port-Louis et n’a pas les mêmes aspirations. Il se voit étudier l’informatique. Il est accepté dans une université en Floride. Sauf que peu de temps après sa demande de visa, le11 septembre 2001 secoue les États-Unis et le monde entier. Il ignore pourquoi mais malgré son admission, le visa lui est refusé. Comme il a raté les inscriptions universitaires en Grande-Bretagne, un de ses amis lui parle de l’Irlande.Il hésite car de ce pays, il n’a entendu parler que de l’IRA et des conflits entre protestants et catholiques.
Il finit par s’inscrire en médecine au Royal College of Surgeons à Dublin. Les portes de l’établissement lui sont ouvertes. Sur place, il est agréablement surpris par la gentillesse et le sens de l’accueil des Dublinois. Il entame ses études de médecine générale. Exposé en deuxième année à la psychologie et la psychiatrie, il est fasciné. Dans ce domaine, il obtient ses meilleures notes. Lorsqu’il termine ses cinq années de médecine générale, il complète son année d’internat et il se dirige vers la psychiatrie générale, qu’il maîtrise en trois ans. Comme il apprécie ses interactions avec les familles, en particulier les enfants, il se spécialise en pédopsychiatrie. Il a l’occasion de travailler à Clondalkin, région de Dublin où vivent des familles défavorisées. À la fin de ses trois ans de spécialisation, Naazim Mohungoo est affecté dans un hôpital psychiatrique pour enfants.
Il travaille en équipe pluridisciplinaire et est très sollicité car les pédopsychiatres sont rares en Irlande. Lorsqu’il traite de cas d’enfants présentant des troubles de comportement graves nécessitant un internement en hôpital psychiatrique «in the best interest of the child», il doit se rendre en cour pour demander un ordre.
Il existe un mythe entourant le psychiatre et, par extension, le pédopsychiatre qu’il veut briser. Celui-ci n’abreuve pas ses patients d’anxiolytiques et autres médicaments qui les mettent dans un état second. «On croit à tort que le psychiatre ne fait que prescrire des médicaments. Or, en moyenne, sur dix patients, il n’y a que deux à trois d’entre eux dont l’état nécessitera la prescription de médicaments.»
Marié à une professionnelle mauricienne et père de deux enfants de trois et d’un an, à octobre 2017, lui et sa petite famille n’envisageaient pas de revenir s’installer. Ils se contentaient de vacances. Mais à chacunede ses visites, les psychologues qu’il croisaitlui parlaient de l’absence de pédopsychiatreà Maurice et de la nécessité d’un tel professionnel sur place. Et puis, comme à chaque départ, c’était un déchirement pour ses enfants et leurs grands-parents.
La famille est donc rentrée en février. Au cours de ses quatre mois de pratique, le Dr Mohungoo a noté une anomalie à propos des médicaments disponibles sur le marché. «Il n’y a pas les médicaments qu’il faut à Maurice. Quand il y en a, le stock est de courte durée, de sorte que les enfants sont sous-traités. Et je doute de certains médicaments disponibles, qui occasionnent plus d’effets secondaires qu’autre chose.»
Trois organisations du privé lui ont demandé de travailler à mi-temps pour elles. Mais pour toucher un plus grand nombre d’enfants et d’adolescents, surtout ceux venant de familles qui n’ont pas les moyens de se payer des consultations privées, il espérait pouvoir reproduire dans le secteur public le schéma de fonctionnement du pédopsychiatre dans les hôpitaux européens. Il se dit triste de voir comment sont traités les enfants à Maurice.
«J’ai visité l’hôpital Brown Sequard. Je ne blâme pas les psychiatres pour adultes travaillant dans le secteur public car ils sont débordés. Ni les infirmiers, qui n’ont pas la formation voulue pour travailler avec les enfants et ados souffrant de troubles psychiatriques. Je ne crois pas que l’on accorde suffisamment d’importance à la santé mentale des enfants. Il n’y a pas assez d’ouverture d’esprit au sein du gouvernement. La structure de fonctionnement dans le secteur public est rigide.» À ce sentiment de tristesse s’ajoutent des regrets professionnels, qui pourraient bien le faire repartir en Irlande un jour. Et après, les officiels se plaindront de la fuite des cerveaux…
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