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Deva Armoogum : «Où en est-on avec l’objectif de produire bio à 50 % d’ici 2020 ?»

27 juin 2018, 21:54

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Deva Armoogum :  «Où en est-on avec l’objectif de produire bio à 50 % d’ici 2020 ?»

Avec une longue carrière dans le public et le privé, Deva Armoogum, qui est impliqué dans la permaculture, parle du potentiel du secteur agricole pour Maurice.

Lors du dernier Budget, le gouvernement a parlé de relancer l’industrie de substitution à l’importation à travers le secteur agricole, entre autres. Il est question de créer 100 fermes sous le «sheltered farming scheme» durant les deux prochaines années. Pensezvous que cette ambition soit réalisable compte tenu de la petite part qu’occupe le secteur agricole dans l’économie locale à ce jour ?

 À mon avis, c’est précisément pour cette raison que le gouvernement souhaite apporter un nouveau souffle à l’agriculture, bien qu’on ne sache pas si cela pourra se réaliser en deux ans ou plus longtemps. Nous avons un gros problème de sécurité alimentaire. Nous importons 77 % de nos produits alimentaires, selon le dernier Budget. De plus, 96 % des slaughtered cattle sont importés. Ce qui fait qu’on a un déficit commercial assez élevé. Il y a donc une logique à lancer une stratégie de substitution à l’importation. Je pense que l’on peut en grande partie devenir autosuffisant au niveau de l’alimentation. Il y a, à ce titre, beaucoup de produits alimentaires sur lesquels nous pouvons être autosuffisants.

Par exemple ?

Prenez les fruits. On doit pouvoir être à 100 % autosuffisant en fruits. On l’est déjà mais on en importe aussi beaucoup, comme les oranges, alors que l’on peut en produire suffisamment ici. Il y a aussi les mandarines, les bergamotes. L’express a publié plusieurs articles pour attirer l’attention sur le problème de pesticides sur les produits locaux. Mais il faut savoir que pour les produits importés, c’est pire. Les pommes, par exemple, au moment de la floraison jusqu’à la récolte, sont plusieurs fois aspergées de produits chimiques. De plus, les fruits importés,lorsqu’ils sont cueillies verts, sont aspergés de produits pour retarder le mûrissement avant l’exportation. Nous pouvons aussi être autosuffisants en légumes, bien que l’on soit affecté par des cyclones en début d’année. Certains opérateurs locaux, comme Médine, pratiquent l’agriculture raisonnée, ce qui est une bonne chose. Produire localement et acheter localement aideraient aussi à réduire notre empreinte carbone. C’est d’ailleurs l’un de nos objectifs en permaculture.

Le gouvernement a également annoncé des mesures pour attirer les jeunes vers l’agriculture avec l’aide du FAREI. Or, selon les chiffres de l’emploi pour 2007-2017, l’emploi dans le secteur des services grimpe alors que dans les secteurs manufacturier et agricole il régresse d’année en année. Pensez-vous que les mesures proposées soient suffisantes pour attirer les jeunes ?

Quand on parle de manque de maind’oeuvre, il faut se rappeler que près de 24 % des jeunes sont au chômage, dont beaucoup de gradués. Plusieurs d’entre eux ont des diplômes en informatique, en comptabilité et en gestion, etc. Pas question pour eux d’aller travailler la terre. Même ceux qui ont étudié l’agriculture ne veulent pas forcément cultiver la terre ! C’est une question de mentalité. Afin d’attirer les jeunes vers l’agriculture, il faudrait une campagne très forte. Il faudrait aussi revoir le système éducatif pour encourager les jeunes à aller vers l’agriculture car elle touche pratiquement à tous les secteurs économiques. Les points forts du Budget relatifs à l’emploi, l’environnement ou encore la qualité de la vie et l’inclusion, entre autres, ont tous un lien avec l’agriculture.

Les risques liés aux changements climatiques ne sont pas mentionnés dans le Budget alors que Maurice en est déjà affecté. Qu’en pensez-vous ? Le changement climatique est un phénomène mondial et il y va de la responsabilité de toutes les nations, y compris Maurice, de travailler pour inverser la situation. Il y a un plan stratégique établi par le ministère de l’Agriculture pour la période 2016-20 qui comprend tout un chapitre sur le changement climatique avec une liste de mesures pour en mitiger l’impact sur le secteur. Parmi, il y a révision de l’utilisation des terres. La superficie des terrains boisés (forested areas) rétrécit régulièrement. Une tendance qu’il faudrait inverser en plantant des forêts, y compris dans les zones urbaines, en bordure de routes, par exemple. Cela aidera énormément à créer des microclimats. Maurice en compte d’ailleurs une vingtaine. Outre la production d’oxygène, les arbres contribuent également à la rétention de la terre et l’absorption d’eau.

De plus, il faudrait également aller vers l’agriculture biologique. Contrairement à l’agriculture conventionnelle où on nourrit la terre avec les fertilisants, ici on régénère la terre complètement avec de la matière organique. Cela aide à stocker le carbone dans la terre, ce qui contribue à réduire l’émission de gaz à effet de serre. Il faut aussi augmenter la diversité de plantes. Le FAREI devrait investir dans la recherche et voir comment intégrer l’agriculture et la lutte contre le changement climatique. Toutes ces mesures ne paraissent peut-être pas dans le Budget mais elles sont dans le plan stratégique.

De l’autre côté, cela m’attriste que l’on ait enlevé du Budget le programme-based budgeting. Auparavant, chaque ministère mettait en place sa stratégie, qui s’étalait sur trois à cinq ans. Et c’est à partir de ces plans que l’on travaillait sur le Budget. Cela permettait d’avoir des indicateurs de performance pour connaître la progression de chaque stratégie. Le rapport du ministère de l’Agriculture est très bien, mais qui fait le suivi ? Où est l’accountability dedans ? Le public et le Parlement sont-ils au courant de ce rapport ? Je vois mal pourquoi le suivi ne peut pas se faire de manière efficace, voire en temps réel, avec le développement informatique.

«La superficie de terrains boisés (forested areas) rétrécit régulièrement. unetendance qu’il faudraitrenverser en plantantdes forêts.»

Que pensez-vous du développement de l’agriculture biologique à grande échelle ? S’il n’y a aucune mention dans le dernier Budget, ce type de culture avait bel et bien été mentionné dans le Budget 2016-17…

 Il y a plusieurs mesures incitatives déjà en place, comme le biofarming promotion scheme. Mais je ne suis pas trop partisan de l’agriculture biologique à grande échelle car au final cela revient au même. Il s’agit d’agriculture industrielle, qui ne fait que remplacer les intrants chimiques par des intrants organiques Ces derniers coûtent cher. D’ailleurs, les produits bio s’adressent surtout à ceux qui ont les moyens. Dans ce présent Budget, le gouvernement a fait mention de microfarming, de sheltered farming et de jardins verticaux, entre autres. Mais d’abord faudrait-il savoir comment tout cela sera mis sur pied ! Y aura-t-il des statistiques pour savoir combien de personnes y ont adhéré ? Le gouvernement sait-il combien de familles il vise à travers ces projets ? Qui fera le suivi ?

«Des formations professionnelles peuvent être développées par le mitd et le hrdc pour les jeunes.»

Par contre, le Budget fait également provision pour la création de fermes alliant à la fois agriculture et production d’énergie renouvelable, particulièrement pour les petits planteurs et les coopératives. Cela pourrait-il représenter une opportunité de modernisation pour les planteurs ?

Ce qui est intéressant ici, c’est l’utilisation des terres marginales pour le développement de fermes solaires. Mais ce faisant, rien n’empêche qu’on puisse faire autre chose sous les panneaux solaires, en les construisant de manière plus élevée. Cela comporterait une bonne surface de captage d’eau. Ce qui peut mener à la création de bassins pour des besoins agricoles. Sans compter que sous ces panneaux solaires, l’on peut envisager la culture de plantes qui peuvent pousser à l’ombre.

L’énergie solaire peut également servir à produire de l’électricité pour faire tourner les pompes et contrôler le système d’arrosage, par exemple. Cela peut contribuer à un apport technologique dans l’agriculture, un élément qui pourrait attirer les gens. Il y a des systèmes d’irrigation automatisés, la circulation de l’eau avec les intrants déjà mélangés ou encore mesurer l’humidité dans le sol, autant de choses auxquelles peut contribuer la technologie alimentée par l’énergie solaire.

 C’est justement à ce niveau qu’il faudrait attirer les jeunes car jusqu’ici la plupart des schemes s’adressent surtout aux planteurs  traditionnels. Il faut toutefois s’assurer que les jeunes soient correctement formés avant de se lancer, pas nécessairement avec un degré en agriculture. Il faudrait des formations structurées, pas uniquement avec des petits cours de Zero Budget farming, mais de véritables brevets de technicien. Des formations professionnelles peuvent être développées par le MITD et le HRDC. À travers ces formations les jeunes peuvent apprendre beaucoup de choses comme la culture sous serre, l’aquaponie ou encore l’utilisation de pesticides biologiques. Tout cela doit se faire à travers des cours théoriques annexés à la pratique. Je pense que les jeunes doivent passer par là et que le gouvernement devrait les encourager à travers des schemes. La formation peut aussi être développée par le MITD en partenariat avec le FAREI sur une durée de six mois.

«il y a énormément de potentiel pour augmenter les capacités de production, intéresser les jeunes à s’y lancer tout en proposant des produits sains à la population.»

Comment voyez-vous l’avenir du secteur agricole à Maurice ?

La contribution du secteur au PIB a régressé ces dernières années. Mais il y a énormément de potentiel pour augmenter les capacités de production, intéresser les jeunes à s’y lancer tout en proposant  des produits sains à la population. Le tourisme représente également une bonne opportunité pour le secteur. Il y aura, sans nul doute, de plus en plus de demandes pour les produits frais. L’on nous demande de consommer cinq fruits et légumes par jour et les gens commencent à s’y mettre. À partir de là, il y a aussi une demande pour le bio. Le surplus de production peut par la suite être exporté.

Il est clair qu’on ne pourra pas dépendre de l’agriculture pour promouvoir l’économie, car nous sommes tournés vers une économie de service. Mais il faut voir l’agriculture dans sa globalité et voir comment il touche à d’autres secteurs. Prenez la production de produits biologiques. On peut créer notre label. Nos produits bio peuvent être commercialisés dans les restaurants et hôtels. Les touristes sauront qu’ils pourront y trouver des produits bio. Les produits bio impliquent également les plantes médicinales ou encore les huiles essentielles, qui pourront être utilisées dans les spas et centres de santé. Les hôtels peuvent encourager la communauté aux alentours à planter du bio et de les acheter. Cela va non seulement provoquer une incitation à acheter localement mais également à créer de l’emploi. Une question demeure : selon le plan stratégique du ministère de l’Agriculture, l’objectif est que notre production locale soit à 50 % bio d’ici 2020. Où en est-on ?