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Michael Meadon: «Les crimes financiers ont coûté Rs 350 Mds aux entreprises africaines listées»

8 août 2018, 02:00

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Michael Meadon: «Les crimes financiers ont coûté Rs 350 Mds aux entreprises africaines listées»

À Maurice récemment pour animer un atelier de travail de deux jours sur les crimes financiers, Michael Meadon soutient que l’Afrique démontre actuellement une volonté pour combattre les crimes en col blanc. Et d’ajouter que Maurice demeure, jusqu’à preuve du contraire, une juridiction crédible et transparente.

Vous avez entrepris, en mars, une enquête pour le compte de Thomson Reuters sur 19 pays d’Afrique subsaharienne concernant le coût réel des crimes financiers auprès de grosses sociétés africaines. Elles révèlent des statistiques choquantes. Lesquelles ?

Les résultats de cette enquête, rendus publics en mai, sont effectivement choquants et donnent froid au dos. Avec notamment des statistiques liées aux crimes financiers, qui démontrent l’ampleur de ce phénomène en Afrique subsaharienne. Savez-vous que sur la base des renseignements obtenus auprès de 2 300 Senior Managers opérant dans de grosses sociétés dans 19 pays africains, excluant Maurice, on relève que les crimes financiers sont à l’origine de USD 10 milliards (Rs 350 milliards), de pertes de chiffres d’affaires sur un total de USD 341 milliards réalisés par 253 compagnies listées dans cette partie d’Afrique.

Comment définissez-vous les crimes financiers ?

Pour le besoin de cette enquête, nous avons donné une large définition à ce qu’on appelle généralement le crime financier. Afin de donner une image aussi complète de l’impact social et financier du crime financier, Thompson Reuters a inclus le pot-de-vin et la corruption, le blanchiment d’argent, la fraude, le vol, le cybercrime, l’esclavage ou encore le trafic humain. Donc, une large définition de ce phénomène, qui est présent à l’échelle mondiale et particulièrement en Afrique, notamment dans plusieurs secteurs d’activités, allant de l’agriculture à la construction, en passant par les mines, la grande distribution, la manufacture et les services financiers.

Peut-on affirmer sans risque de se tromper qu’en Afrique, toutes les sociétés ont pratiquement eu affaire, à un moment ou à un autre, aux crimes financiers ?

Tout à fait. Notre enquête a révélé, d’ailleurs, que 53 % des Senior Managers interviewés reconnaissent que leurs entreprises ont été victimes au moins une fois d’un crime financier durant les 12 derniers mois. Aussi, il y a le cybercrime et la fraude qui sont les plus communs.

Comment expliquez-vous que la situation soit plus préoccupante en Afrique ?

Effectivement, l’Afrique est plus affectée par les crimes financiers. À mon avis, il y a plusieurs raisons. Je n’en relèverai que deux. D’abord, les pressions grandissantes auxquelles les entreprises africaines sont appelées à faire face quotidiennement, qu’elles soient pour augmenter leurs profits, développer de nouveaux marchés, conquérir de nouvelles parts de marché ou encore améliorer le cadre régulateur dans lequel elles opèrent.

Face à cette situation, les risques devant l’incapacité de ces entreprises de se conformer au cadre juridique et autres législations pour combattre les crimes financiers sont grands. Bien souvent, et cela a été noté lors de cette enquête, elles avouent leur échec.

Ensuite, il y a l’absence d’éducation, voire de campagnes d’information, sur l’enjeu économique et social des crimes financiers dans certains pays africains. Mais aussi l’absence d’une véritable banque de données sur l’ampleur de ce phénomène. Résultat des courses : des pertes colossales sous forme de revenus fiscaux dans ces pays.

Des revenus qui auraient pu être utilisés pour financer les projets de développement dans ce pays ?

Certainement ! Si on prend, par exemple, l’argent qui est blanchi en Afrique et accessoirement dans le monde, c’est un manque à gagner important pour certains États africains, vu qu’il exerce de fortes pressions sur leurs revenus. C’est l’avis exprimé, d’ailleurs, par 42 % des sondés. En fait, 1 milliard de dollars américains évaporés dans le circuit aurait financé la scolarité de 327 000 étudiants primaires et secondaires au Mexique et assuré la construction de 2 000 nouvelles écoles en Inde. Et autant en Afrique !

Mais il y a aussi un coût humain ?

Bien sûr. Il ne faut pas occulter le coût humain du crime financier. Selon Global Slavery Index, réalisé par la Walk Free Foundation et l’International Labour Organisation, plus de 40 millions de personnes subissent aujourd’hui l’esclavage moderne, y compris le travail forcé. Et il n’est un secret pour personne que de nombreux pays africains y sont directement affectés.

Ce qui m’amène à rappeler les liens que le rapport a fait ressortir entre le crime financier et son coût économique et humain. Au niveau de l’Union européenne, une récente enquête a chiffré le coût économique de l’esclavage et du trafic humain à USD 30 milliards et à l’échelle mondiale autour de USD 150 milliards.

Quand on évoque la problématique des fraudes et corruptions ou encore du blanchiment d’argent en Afrique, des pays comme le Nigeria restent-ils incontournables ?

Il est vrai que le Nigeria a cette réputation au niveau de la corruption. Mais je crois que c’est une mauvaise publicité que l’on fait, car il y a des efforts réels qui sont réalisés actuellement pour améliorer l’image de ce pays à ce niveau. Je connais bien le cadre régulateur des services financiers de ce pays et je sais que le gouvernement tient beaucoup à ce que les crimes financiers soient combattus à travers un renforcement de son arsenal juridique.

D’ailleurs, le gouvernement est allé très loin avec de nouveaux règlements imposés par sa Banque centrale et des sanctions sévères infligées aux directeurs et au personnel des banques commerciales qui n’assurent pas suffisamment de surveillance contre les différentes formes de crimes financiers.

Et Maurice ?

Maurice n’a pas fait l’objet de cette enquête, mais je sais que la juridiction a subi des pressions récemment de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group sur son engagement à combattre le blanchiment d’argent. Mais je persiste à croire que la juridiction mauricienne demeure malgré tout une juridiction crédible et transparente. Cependant, il faut que tous les stakeholders soient constamment «onalert», car le pays n’est pas à l’abri de ces risques.