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Amendements à la BoM Act: «Net recul dans le combat contre la fraude et la corruption…»

18 août 2018, 01:30

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Amendements à la BoM Act: «Net recul dans le combat contre la fraude et la corruption…»

 

 

Rajen Narsinghen apporte un éclairage sur les amendements à la Bank of Mauritius (BoM) Act, qui démontrent un manque d’équilibre, penchant en faveur des corrompus et politiciens affairistes. Il regrette qu’on n’ait pu trouver un juste milieu face à cette problématique.

«L’intérêt général exige la dénonciation des fraudeurs, de la mafia et des gens malhonnêtes.»

Le Finance Bill 2018, adopté au Parlement, propose des amendements à l’article 64 (d) de la BoM Act pour durcir les sanctions contre la divulgation des secrets bancaires afin de protéger la juridiction financière mauricienne. Entre la publication des données bancaires pour dénoncer les transactions douteuses des investisseurs véreux et autres personnalités proches du pouvoir et la nécessité de protéger le centre financier, où vous situez-vous?

Toute loi doit impérativement concilier les divers intérêts d’une société démocratique. Le législateur doit peser et soupeser les différents intérêts, ce que Roscoe Pound, grand juriste et philosophe, qualifie de «jural postulates».

Un législateur responsable doit trouver un juste équilibre. C’est vrai que dans un pays qui se positionne comme une destination d’affaires, il faut protéger les informations et données des clients honnêtes. Sur ce point, je suis entièrement d’accord. Mais j’insiste : pour des clients honnêtes.

Dans le passé, des pays comme la Suisse, l’Autriche, les îles Caïmans et d’autres avaient érigé la confidentialité bancaire en dogme. Le grand philosophe suisse Jean Ziegler, dans son livre «L’Empire de la Honte», a expliqué les avantages obtenus pour la Suisse, les frasques des fraudeurs et de la mafia ainsi que des sanguinaires nazis qui ont débouché sur les dérives du système bancaire.

Or, aujourd’hui, sous la pression constante de l’Union européenne, de l’OCDE et des États-Unis, même des pays comme la Suisse et l’Autriche ont été dans l’obligation d’amender leurs lois et de se plier aux exigences internationales. Les États-Unis ont même légiféré une loi extraterritoriale, la Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), et peuvent exiger des informations d’une autre juridiction, ce qui est assez exceptionnel.

On voit une sorte de «whistleblowing» international et transnational qui se met en place. La France, avec l’affaire Cahuzac en 2013, les États-Unis et bien d’autres pays, pourtant berceaux du capitalisme, encouragent cela. À part l’intérêt du client de la banque et de la banque elle-même, l’intérêt général («public interest») doit être pris en considération et doit primer.

La confidentialité des données d’un client est une extension de la protection de la vie privée, tant sur le plan juridique que sur le plan de la protection de la sphère économique. Sur le plan philosophique et idéologique, c’est une consécration d’un ultra-libéralisme économique.

À Maurice, on n’épouse pas généralement l’ultra-libéralisme mais, ces derniers temps, on pousse dans cette direction. D’un libéralisme modéré couplé à une dose de socialisme depuis l’Indépendance, on bouge lentement vers un «capitalisme vampirique» et un «libéralisme sauvage». Et c’est une pente qui nous mènera tout droit à une fracture sociale encore plus béante et dangereuse.

Le législateur semble mettre l’intérêt d’un groupe ou des individus en premier au détriment de l’intérêt général. L’intérêt commun, qui normalement devrait chercher la maximisation du bonheur individuel de tous les membres d’un groupe et d’un pays, est sacrifié par la politique actuelle.

«Ces nouvelles lois et surtout le durcissement des sanctions donnent le champ libre aux fraudeurs et aux clients impliqués dans des activités illégales et douteuses.»

L’intérêt général, c’est l’intérêt d’un ordre supérieur. L’intérêt général exige la dénonciation des fraudeurs, de la mafia et des gens malhonnêtes. Cet amendement va dans une direction contraire à la nouvelle norme internationale qui se dessine, c’est-à-dire plus de transparence et une dénonciation des fraudeurs et de ceux impliqués dans de blanchiments d’argent et autres transactions douteuses et on exerce un contrôle des plus rigoureux sur les PEPS (Politically exposed persons).

L’amendement ne fait pas non plus la distinction et la démarcation entre la protection des clients honnêtes et les clients fraudeurs, véreux et malhonnêtes.

Ne pensez-vous pas que cet amendement vise à éviter que d’autres cas, après ceux liés à l’Euro loan de Vishnu Lutchmeenaraidoo et aux cartes Platinum d’Ameenah Gurib-Fakim, soient publiquement exposés?

Dans toute loi, on doit prendre en considération le principe de la proportionnalité et l’équilibre. Or, cette nouvelle loi est en faveur des banquiers et des détenteurs de compte.

À Maurice, les banques bénéficient déjà d’une protection et même d’une surprotection. Elles font des profits démesurés. Maintenant, il y a une loi qui protège encore plus les banques et leurs clients malhonnêtes, fraudeurs et douteux.

Vous avez raison, cette loi donne aussi une perception que les autorités veulent protéger d’autres brebis galeuses. Les cas du ministre Lutchmeenaraidoo et des cartes bancaires de l’ex-présidente Ameenah Gurib-Fakim sont gravés dans la mémoire collective du peuple. Est-ce qu’on veut instaurer une culture d’omerta à Maurice ? Est-ce qu’il y a d’autres PEPS qui ont peur ?

Toute nouvelle loi aurait pu être très sévère envers les gens qui divulguent les informations financières des clients honnêtes. Par contre, on doit protéger les dénonciateurs («whistleblowers») des clients malhonnêtes. Toute société démocratique doit mettre en place un tel cadre légal avant-gardiste.

Vous parlez de protéger les dénonciateurs de clients malhonnêtes. Faut-il justement protéger légalement ces «whistleblowers»?

Les fuites de données appartenant aux clients fraudeurs, aux trafiquants et autres malhonnêtes doivent être encouragées. Les banques, dans leur quête de maximiser leurs profits, malgré leurs exercices de «due diligence» et KYC, ne peuvent pas tout contrôler.

Or, les employés, surtout les professionnels honnêtes et intègres, découvrant des fraudes ou la mauvaise utilisation des conduits bancaires, doivent les dénoncer. Plusieurs pays comme les États-Unis, l’Angleterre et même d’autres comme la Serbie, nouvelle démocratie émergente, ont adopté une «Whistleblowing Act» ou son équivalent. Je ne comprends pas pourquoi on n’adopte pas une telle loi à Maurice. Est-ce que certains décideurs politiques ont peur ?

Aucune loi en Serbie ou ailleurs où on a adopté de telles législations ne peut empêcher un employé de faire du «whistleblowing». Ces lois protègent le «whistleblower» mais aussi les personnes associées aux «whistleblowers». La loi permet l’«internal whistleblowing», une dénonciation à l’employeur et l’«external whistleblowing», c’est-à-dire aux autorités compétentes et spécialisées, par exemple un «whistleblowing council».

D’une part, il faut donner des informations à la presse quand il y a un danger public et un risque sérieux d’atteinte à la vie qui sont en jeu. Il est envisageable de communiquer cette information dans le cadre d’une telle loi consacrée au «public whistleblowing».

D’autre part, une telle loi doit avoir des garde-fous. Par exemple, le «whistleblower» doit être sanctionné s’il divulgue des informations sachant qu’elles sont fausses ou manipulées ou encore s’il cherche des gains personnels ou divulgue des données sur des clients propres dans le but de nuire ou d’avoir des gains en partageant des données avec les compétiteurs. On doit réfléchir et avoir une loi adaptée aux réalités.

Êtes-vous favorable à une telle loi?

Je suis effectivement en faveur d’une telle loi. D’autant plus que d’autres pays, avec une culture et une expérience démocratique inférieures à celles de Maurice, l’ont adoptée. C’est vrai qu’il faut protéger Maurice comme une place financière par excellence, mais pas au détriment de la transparence.

Maurice doit être une juridiction propre et transparente. Les Panama Papers et les autorités indiennes et plus récemment la Mutual Evaluation de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG) nous ont montr https://www.lexpress.mu/article/335030/blanchiment-dargent-reproches-lesaamlg-et-reponses-mauriciennes és du doigt.

En fait, on doit suivre les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), de l’OCDE et d’autres instances régulatrices internationales. Mais l’amendement à l’article 64 de la BoM Act est un non-sens qui va à l’encontre des nouvelles directives et tendances internationales.

La «Whistleblower Act» de Maurice doit prévoir les trois types de «whistleblowing» : à l’interne, à une autorité compétente ou à la presse ou au public et ce dans des situations où la santé publique ou l’ordre public ou la sécurité sont menacés. Le juste équilibre doit être trouvé.

«C’est évident qu’une banque ne peut pas tirer profit en fournissant des données confidentielles à des tiers.»

Il y a donc double responsabilité dans la fuite d’un secret bancaire ?

Le principe de la double responsabilité a toujours été le cas. C’est évident qu’une banque ne peut pas tirer profit en fournissant des données confidentielles à des tiers. La divulgation sans justification, comme énoncé plus haut, engage à la fois la responsabilité contractuelle et délictuelle de l’employé et de la banque en vertu du principe de «vicarious liability». La banque peut aussi sanctionner un employé fautif. Il y a une jurisprudence constante en Angleterre et dans d’autres pays européens, et l’arrêt Tournier vs National Provincial Bank of England illustre ce point.

Parfois, il y a des accords spécifiques de non-divulgation, et même en son absence il y a une obligation implicite et le droit coutumier (Common law) a toujours imposé une obligation de confidentialité en vertu d’un contrat de mandat entre la banque et ses clients. Cependant, avec les abus et les scandales financiers récents, plusieurs pays ont essayé de trouver un équilibre pour protéger les intérêts des clients (consommateurs), mais aussi l’intérêt général.

L’employé a aussi une obligation de protéger les données des clients honnêtes. Il n’y a aucun mal à durcir les sanctions contre des employés qui donnent des informations confidentielles sur des clients qui respectent les lois et les normes. Par contre, on doit accorder cette possibilité à des employés et aux banques de dénoncer les clients impliqués dans l’illégalité ou des pratiques douteuses.

Ne pensez-vous pas que cet amendement va donner le champ libre à certains qui, se croyant tout permis, vont continuer à se livrer à des pratiques financières illégales vu qu’il n’y aura pas de contre-pouvoir pour les dénoncer publiquement dans la presse et autres instances?

Ces nouvelles lois, et surtout le durcissement des sanctions, donnent le champ libre aux fraudeurs et aux clients impliqués dans des activités illégales et douteuses. À mon avis, c’est un net recul dans le combat contre la fraude, la corruption, le blanchiment d’argent, les politiciens qui s’engagent dans des activités douteuses et contre les PEPS. Cela va tuer dans l’œuf la nouvelle politique de transparence qui est bien implantée en Europe et dans d’autres pays en voie de développement.

«Le plus grave, c’est d’aller contre la nouvelle tendance des instances régulatrices telles que le GAFI, l’OCDE ou encore l’ESAAMLG, etc. Au lieu de nous distancer de la liste noire, on s’enfonce un peu plus.»

Les amendements récents montrent un manque d’équilibre et la balance penche en faveur des corrompus, des fraudeurs et politiciens affairistes. On n’a pu trouver un juste milieu. Le plus grave, c’est d’aller contre la nouvelle tendance des instances régulatrices telles que le GAFI, l’OCDE ou encore l’ESAAMLG, etc. Au lieu de nous distancer de la liste noire, on s’enfonce un peu plus.

Les nouvelles politiques au niveau d’un assainissement du cadre réglementaire financier montrent des faiblesses systémiques et un manque de coordination entre le ministère des Finances, la BoM et la FSC. C’est un désordre et des signaux contradictoires sont envoyés aux opérateurs économiques, au public et aux instances internationales. L’intérêt public prend un sale coup.

La politique de transparence et le cadre légal de «whistleblowing» et un éventuel cadre légal pour la libre circulation de l’information avec une Freedom of Information Act auraient pu jeter la base d’une nouvelle étape de notre démocratie. On aurait pu donner l’exemple qu’on peut concilier les intérêts d’un groupe de capitalistes responsables et honnêtes et l’intérêt général.

Hélas ! On constate de plus en plus un décalage net entre la rhétorique au sens donné par Platon, c’est-à-dire un discours pour la manipulation et les actions réelles et concrètes pour une moralisation de la vie publique et le monde des affaires.

Peut-on rêver d’un monde des affaires où riment aussi l’éthique, l’équité, le partage de richesses et profits justes et raisonnables ou est-ce trop demander à nos décideurs politiques et surtout aux princes du jour ?