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Affaire L’Amicale: «Nous ne faisons rien pour trouver les vrais coupables»
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Affaire L’Amicale: «Nous ne faisons rien pour trouver les vrais coupables»
Expliquez-nous comment les condamnés de l’Amicale ont pu être libérés hier, alors que c’était la date du 17 mars 2019 qui avait été avancée pour leur libération ?
Ce qui s’est passé c’est qu’en tant qu’avocats, nous avions préparé un rapport intitulé Wrongfully Convicted. Finalement, lorsque la Human Rights Commission rend son rapport, en 2014, elle conclut qu’il n’y a pas eu de «new evidence» mais qu’il y a bien des zones d’ombre. C’est à partir de là que nous allons de l’avant avec la Commission de pourvoi en grâce. Il faut comprendre que la sentence était une condamnation à vie et la Commission de pourvoi en grâce a finalement revu cette peine à 19 ans de prison.
Nous sommes en 2015, les quatre condamnés doivent encore passer quatre ans en prison. La date de la libération était fixée à mars 2019. À l’époque, nous avions aussi fait appel au Conseil privé de la Reine. Appel qui avait été refusé mais nous avions alors décidé de contester sur la base de la comptabilité de la date.
Il faut savoir qu’au total, 13 mois devaient être enlevés de la date du 17 mars 2019. Deux mois, parce que pendant deux ans, le 12 mars, la présidence de la République a accordé une réduction d’un mois aux prisonniers, à l’occasion de la fête de l’Indépendance. Ensuite, il faut prendre en compte la période passée en détention provisoire.
La première fois, c’était au moment de l’arrestation, lorsque les condamnés attendaient de passer en cour et la seconde fois c’était au moment où nous avions fait appel et que nous attendions le jugement. Sans compter qu’ils ont eu un comportement exemplaire en prison et qu’ils ont accumulé des heures dans leur travail en cuisine. C’est ce qui fait 13 mois. C’est pour cela que nous disons qu’ils devaient être libérés depuis un moment déjà. Soit en février 2018.
Au final, qui a décidé de les libérer ?
C’est le président de la République par intérim qui a pris la décision. J’avais envoyé une première lettre au Premier ministre puis une deuxième, pour dire qu’il y a eu des erreurs commises dans cette affaire. Entre-temps, j’ai obtenu une réponse de la Commission de pourvoi en grâce, pour une réduction de peine de trois mois. Ils devaient donc sortir en décembre 2018. J’ai envoyé une troisième lettre au Premier ministre. Son bureau m’a contacté et m’a assuré qu’il y aurait un suivi.
J’ai aussi parlé au commissaire des prisons. La réponse, à l’époque, était : «Nous considérons la demande.» De son côté, le commissaire des prisons a fait une demande à la Commission de pourvoi en grâce, qui a soumis sa décision à la présidence, dans le cas de dix détenus, y compris les quatre condamnés de l’Amicale. Je parle pour les quatre. Le président par intérim a signé leur libération mardi.
Vous parliez plus haut de zones d’ombre. Lesquelles ?
La liste est longue. Le plus important dans cette affaire c’est que les coupables de l’incendie de l’Amicale sont toujours libres et que nous ne faisons rien pour les retrouver. J’ai proposé que l’on offre une récompense substantielle à qui viendrait donner des informations. J’ai aussi proposé que l’État offre une garantie de l’anonymat de ces sources, pour que cette affaire soit déverrouillée.
Vous vouliez des exemples de zones d’ombre ? Le jour de l’incendie, le 23 mai 1999, les casernes de pompiers ont reçu pas moins de 117 appels. Et ce même jour, le Champ-de-Mars et d’autres maisons de jeu ont été attaqués. La police, elle, pensait à sécuriser les bâtiments du gouvernement, pensant que ces derniers seraient également pris pour cible.
Autre anomalie : le coffre-fort qui se trouvait dans l’enceinte de l’Amicale a été brûlé mais il a aussi été déplacé sur une distance de 72 mètres, sans que l’on ait obtenu une explication. Sans compter que les Log Books des pompiers et ceux de la police de Pope Hennessy ont disparu. Je parle depuis des années mais la classe politique refuse de m’écouter.
Quand vous dites la classe politique, vous parlez également du Parti travailliste…
Je parle de tous les partis politiques… mais il n’est jamais trop tard pour se réveiller.
Vinod Appadoo: «J’ai conseillé les détenus de l’amicale comme un grand frère»
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<p>Le commissaire des prisons, Vinod Appadoo, l’a répété : l’administration pénitentiaire n’a pas fait d’erreur de calcul concernant les jours de détention des quatre condamnés de l’Amicale. Lors d’un point de presse, jeudi 23 août, il a expliqué qu’en 2015, la Commission de pourvoi en grâce a revu la peine des quatre détenus et a fixé la date de leur libération au 17 mars 2019.</p>
<p>«<em>Mais, à ce moment-là, il n’y avait pas encore la Judicial and Legal Provision Act. Me Valayden m’a envoyé une lettre pour me dire que les détenus n’ont pas obtenu de “full credit”… En tant que responsable des prisons, j’ai parlé à ces détenus pour leur dire comment se comporter une fois libérés. Je l’ai fait comme un grand frère</em>», soutient-il.</p>
<p>Cette loi préconise qu’une lettre peut être envoyée au président de la République, pour qu’un détenu fasse une demande, afin d’obtenir le «full credit», c’est-à-dire pour que tout son temps passé en détention soit comptabilisé. Nous avons contacté le président de la République par intérim. Ce dernier n’était pas disposé à réagir. Mais dans son entourage, l’on affirme que Barlen Vyapoory a un droit de réserve et qu’il ne fera pas de commentaire à ce sujet.</p>
Conseil privé : l’appel des condamnés rejeté
Après le jugement rendu par Paul Lam Shang Leen le 20 novembre 2000, aux Assises, les quatre condamnés de l’affaire de l’incendie de l’Amicale ont fait appel à la Commission présidentielle de pourvoi en grâce et, aussi, au Privy Council. Leur peine avait été commuée à 18 ans de prison, le 1er octobre 2015, par la présidente de la République d’alors, Ameenah Gurib-Fakim. Ils devaient être libérés le 17 mars 2019.
Les condamnés ont aussi obtenu le feu vert du Conseil privé, le 3 février 2016, pour contester leur condamnation à perpétuité. Dans un jugement rendu le 22 mai 2017, les Law Lords britanniques ont cependant rejeté leur demande. Ils étaient représentés par Mes Robin Ramburn, Rama Valayden, Shameer Hussenbocus et par l’avoué Omar Bahemia. Le Directeur des poursuites publiques, Me Satyajit Boolell, représentait l’État.
Chronologie
<p><strong>Dimanche 23 mai 1999 à 17 heures : </strong>l’arbitre siffle la fin du match entre la Fire Brigade et le Scouts Club, au stade Anjalay. La Fire Brigade remporte le championnat. Des incidents éclatent dans les gradins, aux alentours du stade et sur le trajet du retour à Port-Louis.</p>
<p><strong>18 h 55 : </strong>la maison de jeu l’Amicale de Port-Louis est prise d’assaut. Elle est incendiée, de même que des véhicules et motocyclettes. Par la suite, des émeutiers saccagent le poste de police de Pope Hennessy.</p>
<p><strong>19 h 30 : </strong>policiers et pompiers débarquent à la maison de jeu et tentent de circonscrire l’incendie. Il faudra plusieurs heures pour maîtriser le sinistre.</p>
<p><strong>23 h 15 : </strong>les pompiers et les membres du Forensic Science Laboratory pénètrent dans la maison de jeu.</p>
<p><strong>00 h 10 : </strong>le premier cadavre est retiré de l’Amicale.</p>
<p><strong>00 h 40 : </strong>six autres corps sont extraits des décombres et envoyés à la morgue de l’hôpital Victoria, à Candos. Le médecin légiste découvre que la grossesse d’une des victimes était arrivée à terme…</p>
<p><strong>Lundi 24 mai : </strong>le pays se réveille dans l’horreur, en apprenant que sept personnes ont péri dans cet incendie. Les funérailles de trois victimes ont lieu dans l’après-midi.</p>
<p><strong>Vendredi 28 mai : </strong>les funérailles des autres victimes se tiennent. Environ 100 000 personnes sont présentes dans les rues de Port-Louis pour saluer les convois mortuaires.</p>
<p>L’enquête policière aboutit à l’arrestation des frères Sheik Imran et Khaleeloodeem Sumodhee, ainsi qu’à celle d’Abdool Naseeb Keramuth et Muhammad Shafeek Nawoor. Au terme d’une enquête préliminaire, les quatre accusés sont déférés aux Assises. Le 20 novembre 2000, ils sont condamnés à perpétuité par le juge Paul Lam Shang Leen.</p>
<p>En octobre 2015, la condamnation à vie est commuée à 18 ans de prison.</p>
Condamnés à perpétuité
<p>Lundi 20 novembre 2000, 14 h 26. Le verdict du juge-président Lam Shang Leen vient de tomber <em>: «penal</em> <em>servitude for life». </em>Des pleurs et des grincements de dents fusèrent de toutes parts dans la salle d’audience : les quatre accusés viennent d’être condamnés à vie.</p>
<p>«<em>Zot inosan. Pa zot ki finn fer sa</em>», hurlaient des dames. À une majorité de huit contre un, les jurés ont trouvé les quatre accusés coupables, cela même s’ils ont clamé leur innocence à maintes reprises. Dans la rue, les proches des accusés pleuraient et étaient inconsolables. Une femme devait même s’évanouir.</p>
<p>Les quatre hommes sont reconnus coupables de crime d’incendie ayant causé la mort de sept personnes, dont deux femmes et deux enfants. L’une des femmes était enceinte de huit mois.</p>
<p>Lors de ce procès aux Assises, les frères Sumodhee étaient défendus par Me Yousuf Mohamed, <em>Senior</em> <em>Counsel, </em>alors que les deux autres accusés avaient retenu les services de Mes Azam Neerooa et Imthiaz Mamoojee. L’accusation était représentée par Me Satyajit Boolell, <em>Assistant Solicitor General</em>, assisté de Mes Bobby Madhub et Aruna Narain–Ramloll, <em>Principal State</em> <em>Counsels, </em>et Denis Mootoo, <em>State Counsel.</em></p>
Sept morts, dont une femme enceinte et deux enfants
Il est 17 heures, le 23 mai 1999, lorsque les premiers incidents éclatent au stade Anjalay, à Belle-Vue. Ces accrochages gagnent rapidement la capitale. Et la maison de jeu l’Amicale, sise à la rue Royale, est prise pour cible. À ce moment-là, une centaine de clients s’y trouvent. Un incendie éclate. Sept personnes y trouveront la mort.
Il s’agit de Yeh Ling Lai Yau Tim, 34 ans, l’épouse du propriétaire de l’Amicale ; Jean Noël Lai Yau Tim et ses deux filles Catherine Elizabeth, 6 ans et Eugénie Louise, 2 ans ; leur beau-frère, Jean Alain Law Wing, 30 ans. Ainsi que trois employés de l’Amicale : la baby-sitter des deux enfants décédées, Janette Ramboro, 26 ans, qui était enceinte, le secrétaire Babooram Krishna Luckoo, 67 ans, et Fawzi Hakim, 42 ans, qui y avait travaillé depuis une dizaine d’années.
La police est prise de court. Elle révélera par la suite que la National Intelligence Unit, le service de renseignements de l’époque, disposait d’informations selon lesquelles des incidents pouvaient éclater aux alentours du stade. Les limiers étaient toutefois loin de s’attendre à l’ampleur qu’ont prise les violences.
Celles-ci ont gagné les routes menant à Port-Louis, des champs de canne ont été incendiés, des véhicules endommagés, des commerces à Vallée-Pitot attaqués. Même le poste de police de Pope Hennessy et des bâtiments administratifs aux alentours ont été pris pour cibles. Au total, 17 véhicules, dont 13 motocyclettes, ont été endommagés.
Face à cette situation, les différentes unités de la police sont déployées sur le terrain. Entre autres, la Special Mobile Force et la Special Supporting Unit. Peu après 00 h 15, lundi 24 mai, les corps des victimes de l’incendie de l’Amicale sont extraits des décombres…
Vingt-quatre heures après, la Criminal Investigation Division de Port-Louis Nord arrête six suspects. Neuf policiers sont suspendus de leurs fonctions : cinq qui étaient de service à l’Amicale, un sergent et trois policiers qui étaient de faction au poste de police de Pope Hennessy.
Le 17 juin 1999, Sheik Imran et Khaleeloudeen Sumodhee ainsi que Abdool Naseeb Keeramuth et Muhammad Shafiq Nawoor sont placés en détention. Ils étaient alors âgés, respectivement, de 38, 37, 20 et 19 ans.
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