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Requins: les tuer ou les protéger ?

25 août 2018, 22:08

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Requins: les tuer ou les protéger ?

«Si pa touy bann rékin, sé zot ki kapav vinn manz nou… Ki ou préfer ?» Ce sont les propos des pêcheurs de la région de Grand-Gaube, rencontrés en fin d’après-midi, jeudi. L’un d’eux a capturé un requin tigre, mercredi, et les photos ont circulé sur les réseaux sociaux et dans la presse, suscitant diverses réactions. Mais les pêcheurs sont catégoriques : la pêche aux requins se pratique depuis longtemps.

«Mo kapav amenn ou enn plas kot ou pou trouv rékin», disent d’emblée les pêcheurs. Ces derniers préfèrent garder l’anonymat, car après la publication des photos du requin tigre, tué mercredi, ils ont été la cible de critiques virulentes sur les réseaux sociaux. «Dimounn pé fer kouma dir nou bann kriminel. Mo kwar zot pé atann ki rékin manz enn dimounn», lâchent-ils, visiblement très remontés.

Certains des petits du requin tué mercredi ont été relâchés vivants, disent des pêcheurs.

Pourtant, il n’y a jamais eu d’attaques de requins dans nos lagons. À cela nos interlocuteurs répondent que si elles ne sont pas tuées, ces bêtes peuvent s’en prendre aux hommes.

Les pêcheurs remettent les pendules à l’heure : «À Grand-Gaube, nous avons toujours eu des requins. J’ai 53 ans, je pêche depuis mon enfance et je peux vous dire qu’on les a souvent aperçus», avance un des interlocuteurs. Et ils ne se seraient pas contentés d’observer ces bêtes puisqu’ils les ont aussi capturées. D’ailleurs, à l’heure où il nous parlait, il se préparait à aller pêcher le requin avec un groupe de jeunes.

Avant, précise-t-il, les pêcheurs ne connaissaient pas le nom des différentes espèces. «Nou pa ti koné sa bulldog, lot tig. Nou pa ti koné ki sa agrésif.» Et il n’y avait pas les réseaux sociaux. «Les gens n’avaient pas cette information ou des photos.»

Mercredi, un requin tigre a été capturé, à Grand-Gaube. La mâchoire de cette espèce de requin a beaucoup de valeur.

Toutefois, il serait courant qu’ils rapportent des requins à terre. «Li enn zafer normal sa», apprend-on.

La pêche, relatent-ils, se fait facilement. «Parfois, nous n’allons pas pêcher spécifiquement le requin. Mé zot mord lalign. Ki ou lé nou fer», avancent-ils. Leur appât : les poissons. «Zot vini par zot mem.»

Les pêcheurs connaissent les endroits spécifiques où ces bêtes se font repérer. «Il y a la fosse aux requins», indiquent-ils. Vontils dans ces territoires spécifiquement pour avoir une bonne prise ? Les pêcheurs nient. «Nous ne pêchons que ceux qui viennent dans le lagon. Dé fwa, nou al impé andéor, mé pa kot zot fossé», affirment-ils.

Il leur arrive d’y amener des touristes pour admirer les requins. Mais bien souvent ces bêtes jouent les abonnés absents. «Pa trouv zot laba, la plipar ditan.»

Pensent-ils à l’écosystème marin lorsqu’ils pratiquent la pêche au requin ? Ces pêcheurs disent qu’ils n’en ont que faire. Le plus important est de gagner leur vie «honnêtement». «Oken plass pa dir ki pa gagn dwra sa», soutiennent-ils.

Autre point, s’il leur arrive de prendre des bébés requins dans leurs filets par malchance, ils les relâchent. «Nou pa manzé sa.» Quid de ceux de la femelle capturée et tuée mercredi ? «Il y en a qui étaient vivants, nous les avons remis à l’eau.»

Une mâchoire qui vaut près de Rs 15 000

Plusieurs pêcheurs voient dans le requin une aubaine pour se faire un peu d’argent. Outre l’aileron, qui est vendu aux restaurateurs, la mâchoire et les dents de cette bête sont vendues à des touristes. «Une grande mâchoire peut coûter Rs 15 000, même plus», dit un artisan qui a plus de 30 ans d’expérience dans la confection des produits artisanaux à base de coquillages et de produits de la mer.

Mais, selon notre source, le prix d’une mâchoire varie selon l’espèce et la taille du requin. Ainsi celle du requin blanc et tigre a le plus de valeur. «Mais on en trouve rarement sur le marché local, ajoute notre interlocuteur. En revanche, ce que les pêcheurs écoulent à Maurice vaut Rs 3 000.» De préciser que, depuis plusieurs années, il importe des dents et des mâchoires de requins des Philippines.

Cependant beaucoup des pêcheurs préfèrent enlever les dents de la mâchoire car celles-ci sont plus rentables. Montées sur de l’argent ou de l’or, elles ont plus de valeur. Un bijou en argent avec une dent de requin peut varier entre Rs 400 et Rs 1 200, dépendant de la taille de la dent.

Quid de l’animal en entier ? Celui-ci peut rapporter à partir de Rs 16 000, dépendant de sa taille. «Nou vann li par laliv. Soit Rs 20 à Rs 50 par livre.» Les pêcheurs soutiennent qu’ils n’ont pas de clientèle spécifique. Souvent ce sont des gens de la région qui achètent de la chair de requin.

Un champion de l’équilibre marin

L’évolution a favorisé les requins. Si bien qu’ils se sont retrouvés au sommet de la chaîne alimentaire. Mais sans les requins, l’écosystème marin serait déséquilibré. Et à Maurice, depuis plusieurs mois, la population s’inquiète que l’aquaculture attirerait les requins.

«Ces prédateurs jouent un rôle crucial dans l’océan, en particulier dans l’écosystème des récifs coralliens où ils contrôlent et maintiennent les différentes populations d’espèces qui vivent aux alentours», explique Olivier Pasnin, passionné de conservation marine et étudiant à l’université de Stellenbosch, en Afrique du Sud.

Outre l a préservation de spécimens marins, ils agissent en tant qu’éboueurs des mers. Comment? Ils empêchent que des carcasses d’animaux ne pourrissent dans l’eau et causent des contaminations. Une trop grande présence de déchets organiques dans l’eau entraînerait le «développement d’autres espèces situées à un niveau inférieur de la chaîne alimentaire et qui élimineraient, à leur tour, les plus petites espèces», indique l’océanographe Vassen Kauppaymuthoo.

À titre d’exemple, si les requins des mers venaient à disparaître, la population de mérous, un poisson prédateur, augmenterait. Ils se nourriraient de plus en plus d’espèces herbivores et le nombre de ces derniers diminuerait. Cela entraînerait considérablement la prolifération des algues qui empêcheront les coraux de vivre. Ainsi, l’ensemble du récif en serait affecté. Cela est communément appelé une cascade trophique.

Quelles espèces trouve-t-on dans nos lagons ?

Depuis le début de l’année, des requins bouledogue et un requintigre ont été ramenés à terre par des pêcheurs de Grand-Gaube. Mais ce ne sont pas les seuls squales que l’on trouve autour de Maurice.

«Il y a souvent des requins à pointe blanche sur la pente récifale externe près des récifs», dit Vassen Kauppaymuthoo. Toutefois, plusieurs espèces différentes ont été retrouvées plus près des côtes, fait-il ressortir. «Cela peut être lié soit aux activités humaines telles que l’aquaculture et l’éviscération des poissons ou encore à la baisse de la quantité de nourriture dans les eaux océaniques avec l’effondrement des stocks de poissons. Il peut y avoir une combinaison de plusieurs facteurs.»

Cependant il y a un manque d’études extensives sur les requins alors même que plusieurs espèces sont vues et pêchées. «Jusqu’à présent, aucun inventaire n’a été fait sur les requins vivant près de nos côtes», explique Olivier Pasnin. D’ajouter qu’à Maurice, les squales sur lesquels les pêcheurs et les plongeurs tombent le plus souvent sont des requins marteau, tigre, à pointe noire et blanche, des requins gris de récif, des requins taupe-bleu et bouledogue.

Un prédateur qui se respecte

«Nous avons tendance à diaboliser les requins, suivant des films comme Les dents de la mer… » Pourtant, il ne faut pas oublier deux choses concernant ces animaux sauvages. C’est l’homme qui empiète sur leur territoire et ces prédateurs ont évolué spécifiquement pour la chasse.

«Les requins existent depuis plus de 360 millions d’années, dit Vassen Kauppaymuthoo. Ces animaux ont développé un système nerveux très sophistiqué qui leur permet de détecter leurs proies sur plus d’un kilomètre.»

L’océanographe poursuit : «C’est nous, les humains, qui sommes en train d’envahir et de détruire leur milieu de vie, alors qu’ils ont leur rôle à jouer dans la chaîne alimentaire.»

«Il est écrit nulle part qu’il nous est interdit de pêcher des requins…»

Il souligne que ce ne sont pas tous les requins qui sont considérés comme dangereux. «La majorité des attaques sur des humains sont liées au grand requin blanc, tigre, marteau et bouledogue, ainsi que celui à pointe blanche océanique.»

Un plan de protection

Maurice doit encore trouver le juste équilibre entre la protection de cette espèce et l’interdiction de la pêcher. Un consultant a soumis un rapport au ministère de la Pêche pour la protection

des requins, apprenons-nous d’une source de ce ministère.

Mais la situation n’est pas aussi simple. «Si, par exemple, un requin est pêché accidentellement, c’està- dire, que ce soit un by-catch, on ne pourra pas agir», déclare-t-on. Maurice est signataire de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) et autres protocoles pour la protection des certaines espèces. Le pays est donc dans l’obligation de prendre des mesures pour protéger les squales qui figurent sur la liste de ces divers accords.

Le requin tigre et le requin bouledogue, entre autres, ne sont pas sur la liste de la CITES. Contrairement au requin marteau qui est aussi présent dans nos eaux.

Un territoire «propice» à la reproduction

À l’exemple du requin femelle pris mercredi dernier et qui portait plus d’une trentaine de petits, il est probable que les requins trouvent autour de Maurice un territoire propice à la reproduction. Les observations vont dans ce sens mais, sans aucune étude approfondie, cela reste de l’ordre de la supposition.

«Pour ce qui est des habitudes reproductives et de la ponte, nous ne savons pas quand et où cela se produit car aucune étude n’a été faite pour comprendre les requins», avance Olivier Pasnin. «En s’appuyant sur les espèces observées, nous pouvons supposer où se reproduiront les requins et mais nous avons besoin de plus d’informations sur leur population et leur diversité autour des îles.»

À Maurice, des bébés requins ont été aperçus dans les mangroves et les eaux peu profondes. Ils s’y cachent pour éviter les autres prédateurs jusqu’à ce qu’ils soient assez gros pour retourner aux récifs coralliens ou même en pleine mer. Seule une petite poignée d’entre eux atteint l’âge adulte et l’âge de la reproduction.

La consommation pas interdite

Le commerce et la consommation de la chair de requin ne sont pas interdits. Cela parce qu’elle n’est pas toxique. D’autres poissons et produits de mer sont, eux, considérés comme toxiques par le ministère de la Pêche. Il y a notamment la tortue et le barracuda.

En moyenne, 8 000 tonnes d’ailerons sont récupérés par an. cela équivaut à 200 000 tonnes de requins pêchés.

(Sources: Planetoscope et Sea Shepherd Conservation Society)