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L’Archipel du Sagrin: le roman de Nando Bodha fera-t-il date?

27 août 2018, 21:34

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L’Archipel du Sagrin: le roman de Nando Bodha fera-t-il date?

Solange, une Chagossienne déportée, tombe amoureuse de Larry, un journaliste américain. Ils auront un fils prénommé… Diego. C’est la trame du roman historique de Nando Bodha. «L’Archipel du Sagrin», publié par l’agence Immedia, a été lancé la semaine dernière.

Le titre hybride où le français «archipel» côtoie le mot-îlot : «sagrin», interpelle. Question de style. De créoliser ce désespoir infini, ce déracinement qui fait mal à en crever, qu’ont connu des vagues de déportés chagossiens. Sauf que la démarche ne va pas jusqu’au bout.

L’orthographe tout ce qu’il y a de plus officiel du créole n’est pas respectée, dans ce texte. De vigoureux accents aigus sont utilisés pour «derasiné» et «plissé», néologisme pour l’action de «plisser» la noix de coco.

Nando Bodha est un auteur très entouré. D’abord, il installe son panthéon. Ananda Devi en quatrième de couverture, qui dit avoir «lu avec beaucoup d’émotion ce roman historique». Pour les remerciements, la figure tutélaire du poète Edouard Maunick est convoquée. Lui qui – c’est l’auteur qui le dit  – l’a encouragé à écrire.

Mais avant cela, il y a «toute la gratitude exprimée» à sept prénoms, parmi lesquels on reconnaît l’éditeur Rama Poonoosamy de l’agence Immedia et le journaliste et auteur Sedley Assonne. Nando Bodha leur dit merci pour «un travail aussi minutieux que précieux, une tâche qui a enrichi le texte pour que les mots soient plus justes».

Tout processus d’écriture qui se respecte demande réécriture, recherches et apports. Mais avec autant de regards, de suggestions, pour ne pas dire d’ajouts, le lecteur est en droit de se demander ce qui reste du texte initial de Nando Bodha.

En choisissant le thème de l’exil forcé des Chagossiens, Nando Bodha ambitionne de rejoindre la famille très peu nombreuse d’écrits romanesques sur le sujet. Citons «Le silence des Chagos» de Shenaz Patel paru chez l’Olivier en 2005, ou encore «Chago, orphelin de l’Histoire» de Jean Michel Fillol (2014).

C’est en trois parties : exil, guerre et combats, droit de retour, que se déroule l’histoire. D’un point de vue chronologique, le lecteur est ballotté dans le temps et l’espace. Il passe du Nordvaer – bateau qui a transporté des déportés – en 1973, puis au Pentagone en 1958. Il fait un clin d’œil à l’officier La Fontaine qui a exploré Diego en 1769, repart pour les États-Unis, cette fois pour la Maison Blanche en 1963, avant de revenir à bord du Nordvaer, en 1973. De quoi donner le mal de mer.

Une fois le vertige passé, c’est reparti pour un tour. La première image du roman est celle d’un bombardier américain survolant les Chagos. La dernière, celle de l’archipel, «laba», où une brume enveloppe les cocotiers. Au sens strict, dans un roman historique, la période choisie est un décor, un fond, une nourriture qui enrichit l’histoire imaginée par l’auteur. Dans «L’Archipel du Sagrin», c’est le fond qui est à l’avant-plan, quand il n’écrase pas totalement l’histoire tragique de Solange et Larry.

On en oublie même ces personnages fades, face aux figures emblématiques que sont Lisette Talate et Charlesia Alexis. D’autant plus que le texte hésite entre roman et traité d’histoire. En témoignent les références en bas de page à «L’an prochain à Diego Garcia» de Jean Claude de l’Estrac ou au documentaire «Stealing a nation» de John Pilger.

Ce n’est pas une coïncidence si ce livre – lancé par le Premier ministre – est sorti quelques jours avant le début des auditions à la Cour internationale de justice, le 3 septembre. Il s’agit d’une volonté affichée de s’inscrire dans l’Histoire. D’autres – avant Nando Bodha – préférant éviter la confusion des genres, ont attendu d’avoir quitté les arcanes du pouvoir, pour publier. Car le temps du roman n’est pas celui des cinq ans d’un mandat.

Une question s’impose. Ce texte fera-t-il date ? Que ce soit dans l’histoire des Chagossiens ou dans la littérature locale. Qui se souvient encore de «Beaux songes», précédent roman de Nando Bodha, paru en 1999?