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Commission sur l’élimination de la discrimination raciale: des «concluding remarks» très sévères
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Commission sur l’élimination de la discrimination raciale: des «concluding remarks» très sévères
La participation et la représentation politique dans les différents organismes publics sont «hautement influencées par l’appartenance ethnique d’une personne». Les Créoles de Maurice, de Rodrigues et d’Agalega «subissent une discrimination de fait dans toutes les sphères de la vie». La Commission sur l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies égratigne l’État mauricien dans un document rendu public jeudi.
Introduction
Tout en reconnaissant les mesures positives prises par l’État mauricien pour contrecarrer la discrimination raciale qu’elle résume à cinq points, la Commission sur l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) des Nations unies a rendu publiques ses «concluding remarks», jeudi. Document dans lequel la CEDR se montre très sévère envers l’État mauricien.
Dans son contre-rapport au rapport de l’État mauricien, soutenu par l’avocat José Moirt devant la CEDR le 14 août, Affirmative Action avait avancé que le système de gouvernance mauricien est «le socle de toutes les formes de discrimination à Maurice». Car trop de pouvoirs sont concentrés entre les mains d’une seule personne, en l’occurrence le Premier ministre.
Participation politique
Tout en notant que les réformes électorales en cours et le système politique en vigueur à Maurice n’excluent pas légalement un groupe de la participation politique, la CEDR se dit cependant concernée du fait que cette participation ne reflète pas les diverses composantes de la population mauricienne. Et que la participation et la représentation politique dans les différents organismes publics sont «hautement influencées par l’appartenance ethnique d’une personne».
De ce fait, la CEDR recommande que l’État mauricien «accélère le processus de réforme électorale». Elle réitère ses précédentes recommandations d’aborder efficacement les obstacles à la participation politique, de sorte qu’il y ait une représentation adéquate de tous les groupes ethniques. De plus, la CEDR demande à l’État mauricien de soumettre dans son prochain rapport périodique des statistiques décomposées par sexe et groupes ethniques de la représentation politique au sein du gouvernement, du Parlement, du système judiciaire et du maintien de l’ordre public. «Le CEDR encourage l’État mauricien à poursuivre ses efforts pour la participation active de tous les segments de la société à toutes les sphères de la vie publique.»
Classification de la population
Relativement à la classification de la population, tout en tenant compte des explications fournies par la délégation officielle mauricienne par rapport au Best Loser System, la CEDR se dit concernée à propos de la «classification constitutionnelle persistante de la population mauricienne, qui ne reflète pas pleinement les identités des divers groupes la composant». La CEDR réitère sa précédente recommandation selon laquelle l’État mauricien organise des consultations nationales afin d’apporter des modifications à la classification existante des différents groupes inclus dans la Constitution «en tenant dûment compte du principe de l’appartenance auto-déclarée et la recommandation générale de la Commission sur l’identification avec un groupe ethnique particulier».
Malgré les protestations de l’Attorney General à propos de la publication des statistiques des détenus décomposées par groupes ethniques, la CEDR réclame de l’Etat mauricien qu’il fournisse dans son prochain rapport périodique des statistiques décomposées par groupes ethniques de la population des systèmes judiciaire et carcéral. Plus globalement, la CEDR regrette le «State party’s persistent position not to collect data disaggregated by ethnicity which in the view of the Committee impedes the assessment of the enjoyment of human rights by the different ethnic groups present in the State Party».
Discrimination
Dans son contre-rapport, Affirmative Action soutient avec des exemples à la clé que l’État mauricien «niait aux Créoles une égalité de jouissance des droits civils et politiques du fait qu’ils n’existent pas officiellement» et qu’on leur «niait leur droit à l’auto-appartenance ethnique». Par rapport à cette question, la CEDR se dit notamment «très concernée» par le fait que les Créoles de Maurice, de Rodrigues et d’Agalega «subissent une discrimination de fait dans toutes les sphères de la vie» et qu’ils demeurent désavantagés dans la jouissance des droits humains. Elle les trouve «vulnérables de façon disproportionnée» à la pauvreté et note qu’ils ont un accès limité à l’emploi, au logement, à la santé et à l’éducation.
La CEDR se dit aussi concernée par rapport au fait que les mesures prises par l’État mauricien et l’Equal Opportunities Commission pour y remédier n’ont généré qu’«un impact limité à relever la situation socioéconomique des Créoles». La commission note aussi «l’absence de mesures spécifiquement ciblées pour améliorer leur situation». Elle exhorte l’État mauricien à adopter et appliquer, avec la participation de représentants des Créoles, «une stratégie dotée de ressources adéquates pour traiter la discrimination enracinée à laquelle les Créoles de Maurice, de Rodrigues et d’Agalega font face».
La CEDR recommande par ailleurs à l’État mauricien d’évaluer l’efficacité des mesures de redressement qui seront prises à cet effet et de concevoir et d’appliquer d’autres mesures, y compris des dispositions spéciales, en étroite collaboration avec les communautés concernées et les organisations de la société civile appropriées pour s’assurer que les Créoles aient effectivement accès à l’emploi, à des logements adéquats, aux services de santé et à une éducation inclusive de qualité.
La langue créole
La commission ne comprend pas comment la langue créole ne jouit toujours pas d’un statut officiel et demande à l’État mauricien de lui conférer un statut de langue nationale. Cela, afin de faciliter son utilisation au sein de l’administration, des systèmes judiciaire et éducatif et ainsi prévenir l’exclusion sociale de ceux qui ne parlent que le créole.
Discours haineux et politiciens
La CEDR est en outre préoccupée par les incidents de stigmatisation et de stéréotypage de groupes ethniques, notamment des Créoles, de même que des cas de discours haineux à leur encontre sur les réseaux sociaux et dans la bouche d’hommes publics et de politiciens. En sus de recommander la tenue de campagnes de sensibilisation contre la stigmatisation et le stéréotypage ethnique et de prendre des mesures pour combattre cette forme de racisme, la CEDR recommande que les politiciens qui tiennent des discours haineux «fassent l’objet d’enquêtes policières et qu’ils soient sanctionnés en cas de culpabilité avérée».
Profilage racial
Elle demande de surcroît que la police arrête le profilage racial, que toutes les allégations faites à ce propos fassent l’objet d’enquêtes, que les responsables rendent officiellement des comptes et que de l’aide soit apportée aux victimes. De façon plus globale, la CEDR réclame à nouveau des statistiques décomposées par sexe sur la situation socioéconomique et la représentation dans l’éducation, l’emploi, la santé, le logement, la vie politique des groupes ethniques incluant les Créoles, les Chagossiens, les descendants d’origine africaine et les migrants afin d’avoir des données empiriques pour évaluer l’égalité de jouissance des droits tombant sous la Convention.
Loi et commission
En sus de réclamer que laConvention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination soit pleinement intégrée dans les lois nationales, la CEDR demande que l’Equal Opportunities Act soit amendée pour permettre à l’Equal Opportunities Commission d’enquêter sur les plaintes à propos des fonctionnaires. Le rapport de la Commission Justice et Vérité n’a pas été oublié puisque la CEDR réclame l’application de ses recommandations, y compris l’établissement d’un Intercontinental Slavery Museum et que toutes les réclamations de dépossession des terres soient traitées afin de favoriser la réconciliation et la justice transitionnelle.
Informations à soumettre
La CEDR demande à l’État mauricien de fournir, dans un an de l’adoption de ces «concluding observations», des informations sur l’application de la reconnaissance de la langue créole comme langue nationale et sur la poursuite de ses efforts pour que les Chagossiens puissent retrouver leur terre natale et l’amélioration des conditions de vie de Chagossiens vivant à Maurice. L’État mauricien est tenu de soumettre ses 24e et 25e rapports officiels combinés où il fera état de toutes les mesures prises en accord avec les recommandations des «concluding remarks» d’ici le 29 juin 2021.
Bien que ces remarques et autres recommandations de la CEDR n’aient pas force de loi, l’État mauricien devra rendre des comptes aux États membres de l’ONU, le 7 novembre prochain, au cours de l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Et selon un observateur, l’État mauricien pourrait être très mal perçu sur plusieurs fronts et son image de pays multiracial et multiculturel pourrait prendre un sérieux coup sur la scène internationale s’il n’y a pas d’amélioration au niveau de toutes les préoccupations soulevées par la CEDR.
L’administration pénitentiaire tient bien un registre ethnique
«Nous devons savoir qui est Créole, qui est Musulman, qui est Hindou...», a soutenu le commissaire des prisons, Vinod Appadoo. Il prend à contre-pied la déclaration de l’Attorney General, Maneesh Gobin, devant la commission des Nations unies.
La confirmation vient du commissaire des prisons lui-même. Vinod Appadoo, interrogé par l’express, explique que l’administration des prisons tient bien un registre sur l’appartenance ethnique des détenus. Pourquoi ? «…Nous devons savoir qui est Créole, qui est Musulman, qui est Hindou. Ils ont le droit à des pratiques religieuses en prison mais j’ai fait bannir tous les rites», a déclaré Vinod Appadoo.
Déclaration qui vient contredire les propos tenus par l’Attorney General Maneesh Gobin lors des auditions de la délégation mauricienne devant la Commission des Nations unies sur l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) les 14 et 15 août. L’Attorney General s’était opposé à ce que ce décompte ethnique soit effectué «par soin de préserver le tissu social». Maneesh Gobin avait alors déclaré : «Si je commence à chercher des statistiques sur l’ethnicité des personnes se trouvant dans les prisons, ne suis-je pas en position de maintien d’un système qui ne devrait pas être en place ? Un détenu est jugé par un tribunal indépendant… Comment les membres du comité peuvent me demander ce genre de statistiques ?».
«Dans chaque famille, il y a un paratonnerre, les gens de cette communauté sont les paratonnerres de l’Île Maurice.»
Dans ses conclusions rendues publiques jeudi, la CEDR a maintenu que Maurice devrait soumettre des statistiques sur le nombre de détenus, décomposées par groupe ethnique. Un décompte ethnique qui s’effectue, selon l’aveu même du commissaire Appadoo à l’admission d’un détenu dans n’importe quel centre pénitentiaire de l’île. «Officiellement, nous devons le savoir pour insérer cette information dans le dossier des prisonniers. Asterla, si mo bizin aret pran sa bann informasions-la, mo bizin enn government policy lor-la» a-t-il déclaré, en répétant la phrase qu’il a prononcée ci-dessus. Ne ferait-il pas l’amalgame entre religion et ethnicité ?
La Constitution définit quatre communautés : la communauté hindoue (l’hindouisme étant une religion), la communauté musulmane (le musulman étant celui qui pratique la religion de l’islam), la communauté des sino-mauriciens (comprenez des Mauriciens qui sont d’origines chinoises) et la population générale (communauté qui regroupe ceux qui ne peuvent être classés dans les trois autres catégories). Nous avons demandé l’avis du constitutionnaliste Milan Meetarbhan sur ce point précis.
«Oui, deux des quatre groupes mentionnés dans la Constitution sont définis par l’appartenance religieuse et les deux autres par l’appartenance ethnique. Mais il faut comprendre qu’il y a une raison très spécifique qui fait que la Constitution a défini quatre groupes. C’était pour les besoins de notre système électoral et donc pour le Best Loser System. C’est évident que la société mauricienne a évolué et qu’il faut revoir ce système. Autrement, dans d’autres contextes, la Constitution ne fait aucune distinction entre les communautés. Le Chapitre 2 de la Constitution est très clair et concerne les droits fondamentaux des individus», soutient Milan Meetarbhan.
Le constitutionaliste poursuit en disant qu’il est en faveur de la protection des droits des individus plutôt que celle des groupes. «Les individus font partie des groupes. Autant protéger les individus. Par contre, si l’on protège des groupes, on perpétue les clivages qui peuvent exister au sein d’une nation», explique-t-il.
Après une vaine tentative d’obtenir des recherches universitaires sur le classement ethnique dans les prisons (NdlR : le recensement ethnique est interdite par la loi depuis 1982 ; toute référence ethnique se fonde sur le dernier recensement, c’est-à-dire celui de 1972) décourageant même les plus vaillants universitaires qui s’intéresseraient à la question - nous nous sommes tournés vers ceux qui fréquentent le milieu carcéral régulièrement. Nos sources préfèrent, évidemment, préserver leur anonymat mais expliquent que le milieu carcéral compte bien «une minorité ethnique» qui est représentée en majorité.
Ils estiment que chez les hommes, 70 % des détenus sont issus des cités ouvrières des faubourgs de la capitale ou encore des régions telles que Flacq, Richelieu et Beau-Vallon, Mahébourg, mais aussi des cités se trouvant autour des villes telles que Curepipe, Quatre-Bornes, Rose-Hill, Beau-Bassin. Concernant les femmes, elles sont 50 % à venir de ces mêmes régions, alors que l’autre moitié de la population féminine carcérale est composée d’étrangères. Par rapport aux jeunes détenus dans le Correctional Youth Centre, ils sont 90 % de jeunes à venir des régions périphériques de Port-Louis et de Goodlands. Un autre interlocuteur, habitué lui-aussi des centres de détention, explique que la communauté la plus représentée en prison est aussi celle qui est considérée comme étant «la plus pauvre, la moins éduquée, la moins instruite». «Dans chaque famille, il y a un paratonnerre, les gens de cette communauté sont les paratonnerres de l’île Maurice», soutient-il.
Les rastas privés de leur liberté religieuse ?
<p style="text-align: justify;">Un de nos interlocuteurs nous parle de la situation des rastas en prison. <em>«Ils sont les plus discriminés»</em>. Sous l’ancienne administration de la prison, la <em>National Preventive Mechanism Division</em> de la <em>Human Rights Commission</em> avait fait une réclamation, il y a quatre ans, pour dire que c’est dans la religion des rastas de ne pas se couper les cheveux en mentionnant que la Constitution garantit la liberté religieuse à tout citoyen. <em>«De ce fait, à l’époque, les rastas pouvaient garder leur dreads et ne pas se raser»</em>, soutient notre source. Sauf que l’actuel commissaire des prisons a, lui, aboli cette pratique. <em>«J’ai aboli tous les rites. La Constitution ne reconnaît pas le mouvement rastafari comme une religion. Ailleurs, c’est le cas mais pas à Maurice»</em>, soutient le commissaire Appadoo. Mais les habitudes alimentaires des rastas peuvent, par exemple, confirmer leurs pratiques religieuses ? <em>«Il y a 2 500 détenus, vous pensez que je peux avoir des considérations individuelles ?»</em>, soutient Vinod Appadoo.</p>
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