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Immobilier: faut-il réduire l’accès aux étrangers ?

5 septembre 2018, 22:27

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Immobilier: faut-il réduire l’accès aux étrangers ?

Le prix des terrains à Maurice depuis les cinq dernières années a enregistré une hausse constante selon certains opérateurs. Une augmentation qui serait liée à plusieurs facteurs dont, parmi, un accroissement des projets immobiliers destinés aux étrangers. Alors que la Nouvelle-Zélande a pris la décision draconienne de ne plus vendre de biens immobiliers aux riches étrangers afin d’endiguer l’inflation des prix et permettre à sa population d’acquérir un logement à un prix décent, Maurice devrait-elle revoir sa stratégie de développement immobilier par rapport aux étrangers afin de protéger le pouvoir d’achat de sa population ? Débat.
Hausse moyenne de 40% du prix des terrains

Délicat sujet qu’est le prix des terrains et l’influence des riches investisseurs sur leur valeur. Maurice devrait-elle revoir sa politique de vente de bien immobilier, un peu à la manière néo-zélandaise ?Si la plupart des opérateurs interrogés n’ont pas souhaité faire de commentaire, Kentish Moorghen, Chartered Valuation Surveyor et CEO de la firme Prime Pillar se dit, lui, «inquiet» de la situation. Et pour cause ! Le coût des terrains a augmenté en moyenne de 20 à 40 % à travers le pays. Mais dans les régions dites ‘primaires’, soit les régions où il y a une plus forte concentration de demande et d’habitations, la valeur des terrains s’est appréciée de 30 à 35 % selon lui.

Il cite à ce propos l’exemple de Grand-Baie, Rivière-Noire, Quatre-Bornes ainsi que certaines parties du Nord. Quant aux régions où il y a plusieurs projets immobiliers de luxe destinés aux étrangers, de types Integrated Resort Scheme (IRS), Real Estate Scheme (RES) ou encore Property Development Scheme (PDS), le prix des terrains à la toise a grimpé jusqu’à 40 % et 50 %, soutient le CEO de Prime Pillar. Il faut ajouter à cela le ‘Ground + 2’, soit une mesure du gouvernement introduite en 2017 pour permettre aux étrangers d’acquérir des appartements dans des immeubles de plus de deux étages moyennant un investissement de plus de Rs 6 millions.

«Ce qui m’inquiète, c’est l’impact que cela pourrait avoir au département du Registrar General. Il faut savoir que lorsqu’il y a une transaction foncière, le Registrar General peut ne pas être d’accord avec la valeur d’un bien enregistré par un propriétaire. Pourquoi ? C’est parce qu’il a des comparables avec des bâtiments similaires», explique notre interlocuteur.

En d’autres mots, s’il subsiste deux types de prix dans un même bâtiment, un plus cher pour les étrangers et l’autre moins cher pour le Mauricien, le Registrar peut tout bonnement demander à l’acheteur local de revoir la valeur de son bien à la hausse afin de réduire la disparité entre le prix du bien vendu à l’étranger et celui de l’acheteur local. «Cela va pénaliser les Mauriciens car ils vont devoir payer plus cher en termes de duties», déplore-t-il. Raison pour laquelle notre interlocuteur soutient qu’il faudrait davantage de réglementation à ce sujet.

Dans le concret, l’arrivée de riches étrangers à Maurice a-t-elle contribué à faire grimper le prix des terrains comme c’est le cas en Nouvelle-Zélande ? «Il faut dire que dans les régions où il y a eu de gros projets d’envergure, les prix ont augmenté par pratiquement 40 % à 50 %», observe le Chartered Valuation Surveyor. Pour sa part, l’économiste et ex-directeur du défunt Joint Economic Council, Azad Jeetun, rappelle que le gouvernement avait donné une certaine flexibilité aux étrangers pour l’achat des terrains dans les années 80-90, ce qui avait contribué à une «flambée des prix» des terrains.

Rs 60 milliards

Commentant la mesure du gouvernement néo-zélandais, Kentish Moorghen est d’avis que le pays des kiwis a pris la décision qui s’impose afin de protéger sa population et lui permettre d’avoir accès au logement selon ses moyens. À savoir que le coût du logement a connu une inflation de 56 % ces dix dernières années en Nouvelle-Zélande.

Au niveau local, les choses ne sont pas très reluisantes non plus. Selon le CEO de Prime Pillar, le «rate of ownership» en termes d’achat de terrain et de construction de maisons demeure assez faible. Citant les chiffres compilés par la Banque de Maurice relatifs aux prêts octroyés au secteur privé à juillet 2018, Kentish Moorghen rappelle que quelque Rs 60 milliards ont été avancées en termes de prêt immobilier (housing) par les banques. «Ces Rs 60 milliards n’englobent pas uniquement les Mauriciens qui ont acheté des terrains et construit des maisons. Elles comportent aussi ceux et celles qui ont contracté un prêt pour une rénovation, voire pour ajouter un étage à la maison familiale», analyse-t-il. Ce qui lui fait dire que le pourcentage de Mauriciens qui parviennent à s’acheter un terrain et y construire une maison reste faible.

Immobilier de luxe : la poule aux œufs d’or

<p><strong>Rs 8,7 milliards.</strong></p>

<p>&nbsp;C&rsquo;est l&rsquo;apport du segment des activités immobilières sur les Rs 17,5 milliards d&rsquo;investissement direct étranger perçues par Maurice en 2017. De ces Rs 8,7 milliards, Rs 5,7 milliards concernaient uniquement les projets immobiliers de luxe.</p>

 

 Protéger la classe moyenne

Le plus important, pour le CEO de Prime Pillar, c’est que le gouvernement puisse équilibrer le pourcentage de vente de biens immobiliers entre les étrangers et les Mauriciens. Pour ce faire, il y a «tout un aspect fonctionnel entre l’État et les promoteurs» qu’il faudrait revoir «de fond en comble», soutientil. Un manquement qui crée un flou, voire un certain désordre dans le type de projets commercialisés et l’évaluation des terrains. Ce qui affecte directement le consommateur. «Si vous ouvrez le journal de ce jour, vous verrez plusieurs produits. Mais y a-t-il souvent des prix de terrains à Rs 2 millions ou Rs 3 millions ? Non ! Ceux-là, vous pouvez les compter sur les doigts d’une main. Le problème c’est qu’au fil des années, tout le monde s’est cru évaluateur et s’est permis de mettre son prix sur un bien», déplore-t-il. Or, l’on ne peut «permettre à n’importe qui de mettre des projets sur le marché». Kentish Moorghen demande à ce titre que le gouvernement mette sur pied une Real Estate Authority afin de mettre de l’ordre dans le secteur.

 

Selon l’économiste et auteur Éric Ng, il est primordial de protéger les biens destinés à la classe moyenne contre les étrangers. Il fait dans la foulée une distinction entre le segment de l’immobilier de luxe destiné aux étrangers et le segment résidentiel réservé aux Mauriciens. «Les biens dont la vente est réservée aux étrangers opèrent sous un régime distinct», explique-t-il. Les prix ainsi que les modalités d’acquisition sont bien définis sous les différents régimes (IRS, RES, PDS) qui ne s’appliquent pas au marché local. Quant au prix des terrains pour les Mauriciens, l’économiste explique que celui-ci dépend surtout de la demande. «À Maurice, l’on a tendance à spéculer sur le prix des terrains toujours à la hausse. Or, ce n’est pas nécessairement le cas. Les prix de vente sont souvent négociés entre le vendeur et l’acheteur. Ce dernier peut négocier plus bas, un aspect qui n’est pas nécessairement mis en avant», explique-t-il.

L’économiste rappelle par ailleurs que l’immobilier demeure l’un des principaux leviers de l’investissement étranger à Maurice (voir encadré). «Depuis son introduction il y a une quinzaine d’années, l’immobilier destiné aux étrangers rapporte énormément au pays, notamment en termes de devises étrangères», explique-t-il. Raison pour laquelle il ne faudrait pas fermer le robinet de l’immobilier de luxe. Mais là où Maurice pèche, c’est par le manque de diversification de ses sources d’investissements directs étrangers (IDE) selon Éric Ng.

 Point que rejoint Azad Jeetun. «Nous n’avons pas su attirer plus d’investissements dans les secteurs productifs comme la manufacture, l’agriculture ou encore la zone franche», déplore-t-il. Éric Ng ajoute pour sa part que Maurice devrait revoir sa stratégie économique, qui reste pour l’heure surtout centrée sur la construction, notamment avec les Smart Cities ou encore les produits immobiliers de luxe.

L’une des solutions ne serait-elle pas d’augmenter le pouvoir d’achat des Mauriciens ? Si plusieurs mesures comme le salaire minimum, l’impôt négatif, le retrait de la taxe sur l’achat d’un premier logement ont été instaurées en ce sens, elles seraient loin d’être suffisantes, estime Azad Jeetun. Pour lui, il faudrait plus de mesures incitatives pour aider les gens à acquérir un logement. «Auparavant, l’on avait la possibilité de contracter un prêt sur notre assurance-vie, ce qui nous permettait d’avoir une déduction sur notre fiche d’impôt», rappelle-t-il. Or, cette mesure n’existe plus. L’économiste s’inquiète également du taux d’épargne qui demeure «très bas» depuis les dix dernières années, élément qui affecte la capacité d’investir des individus.

L’Ouest : parmi les régions les plus chères

<p>Rs 50 000 la toise pour les terrains où se construisent les propriétés &laquo;gated&raquo; de type haut de gamme destinées aux étrangers. Si vous aspirez à vivre dans les environs de ces propriétés, il vous faudra compter entre Rs 25 000 et Rs 35 000 la toise pour les terrains résidentiels destinés au marché local. C&rsquo;est ce que nous indique un opérateur qui a requis l&rsquo;anonymat. L&rsquo;on retrouve cette gamme de prix dans l&rsquo;Ouest, où il y a une grosse concentration de projets immobiliers de luxe ainsi que le développement de grands morcellements. Notre interlocuteur tient toutefois à préciser que dans le cas des projets de luxe destinés aux étrangers, les prix sont imposés alors que ceux orientés vers la clientèle locale varient selon la superficie du terrain et la demande. La hausse des prix pour les Mauriciens s&rsquo;explique aussi en raison de la forte demande pour certains endroits en particulier, comme Tamarin.</p>

<p>La station balnéaire de Flic-en-Flac n&rsquo;est pas non plus en reste, compte tenu du nombre accru de projets à la fois destinés aux étrangers et aux Mauriciens. <em>&laquo;Quand Médine avait commencé sa première parcellisation, qui était le morcellement St Jacques à Flic-en-Flac, le prix pratiqué était de Rs 5 500 la toise. Aujourd&rsquo;hui, le prix est passé à Rs 25 000. Soit une hausse d&rsquo;environ 400 % entre 2002 et 2018&raquo;,</em> avance notre interlocuteur.</p>

<p>Quid des régions urbaines ? Les prix restent plus ou moins stables, observe notre interlocuteur. Sauf pour Quatre-Bornes, tout particulièrement dans la région de Sodnac. Le prix par toise y est passé à Rs 32 000 contre Rs 28 000 il y a quatre ans.</p>

<p>Commentant cette tendance, Kentish Moorghen explique que sur le long terme, si les prix continuent de grimper, l&rsquo;investissement dans un terrain sera trop cher. Ce qui poussera les gens à se tourner davantage vers les appartements. Tendance qui explique l&rsquo;engouement de bon nombre de promoteurs à proposer des logements en immeuble. Car au prix mentionné plus haut, le coût moyen pour acheter un terrain et y construire une maison avoi- sinerait les Rs 6 millions. Montant qui n&rsquo;est pas à la portée de tous.</p>