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Chagos: «Mo pou kontign lager pou twa, mo ti zil»

9 septembre 2018, 22:00

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Chagos: «Mo pou kontign lager pou twa, mo ti zil»

Le témoignage – en kreol – de Liseby Elysé en a ému plus d’un, non seulement au sein de la Cour internationale de justice (CIJ) mais à travers le monde. À tel point que même la partie britannique a tenu à la saluer. Mais elle n’est pas la seule à avoir une histoire poignante à raconter. Marie Célestine Louis se souvient du moment où les autorités lui ont dit qu’elle ne pouvait pas rentrer chez elle. Depuis, le coeur meurtri, elle attend…

Elle a 82 ans, se déplace en fauteuil roulant. Qu’importe, elle est toujours sur le pied de guerre. Elle a fait le déplacement depuis l’Angleterre pour assister aux plaidoyers devant la CIJ, à La Haye, aux Pays-Bas. Cette Chagossienne n’a pas eu accès à la salle d’audience, mais la colère aidant, elle a tenu à passer la journée devant la Cour avec sa pancarte bien vissée sur les genoux, pour exposer le sort de son peuple au public, aux médias étrangers, au monde entier, dit-elle avec détermination. «Oui, je vis en Angleterre depuis sept ans. Avant j’étais à Maurice, puis mes petits-enfants m’ont demandé de les rejoindre car j’étais seule…»

Les souvenirs l’assaillent. Célestine a quitté Peros Banhos pour venir à Maurice de son plein gré – ou presque – lorsqu’elle avait 24 ans. Elle devait se faire opérer. Il n’y avait pas d’hôpitaux sur l’archipel. Au moment de rentrer, «biro Rogers» lui fait savoir qu’elle ne pourrait pas le faire… La raison étant que le prochain bateau vers les Chagos transportait de l’essence. «Nou ti koné kan bato saryé lésans, pa saryé dimounn», avance-t-elle. Elle a attendu le prochain. En vain.

 

«Inn pas martir sa. Nou’nn vini, pa ti éna kas, pa ti éna travay, pa ti éna linz. Mo bann frer inn dormi dan simitir Bois-Marchand.»

 

Trois mois plus tard, elle ne pouvait toujours pas rentrer. «Lerla ki’nn dir nou inn vann nou ti zil…» Ce n’est que bien après qu’elle a appris les dessous de l’affaire, que le gouvernement avait commencé à rapatrier les siens… L’incompréhension a cédé la place à la colère, puis au désarroi.

Oui, Maurice est sa patrie, souligne la vieille dame, digne, fière. Mais elle ne peut s’empêcher de se dire que cette patrie l’a dupée, maltraitée. «Inn pas martir sa. Nou’nn vini, pa ti éna kas, pa ti éna travay, pa ti éna linz. Mo bann frer inn dormi dan simitir Bois-Marchand», raconte-t-elle avec amertume. Il y a également eu le moment des revendications et des grèves, des coups de bâtons de la police. Son père est mort de chagrin quelques jours après le 12 mars 1968…

Sur son île, là-bas, au moins, elle travaillait. Elle a touché à tout. «Ti pé travay dan koko. Apré, mo’nn al nétwayé. Ti pé gagn Rs 3 par zour. Nou lavi ti zoli.» Elle économisait pour venir en vacances à Maurice. Désormais, elle n’a qu’une envie, c’est de pouvoir rentrer quand elle le souhaite. Si elle en avait la possibilité, elle rentrerait sur le champ. Pour y faire quoi ? Tout est à reconstruire… Qu’importe. «Séki éna pou fer, nou pou fer li. O mwin nou pou kot nou…»

«Délo koko ti nou dité gramatin. Friapin ti nou dipin. Nou pa ti pé travay, mé nou’nn viv bien. Lévé gramatin, kas koko, lapes…Nou ti bien…»

Célestine rappelle que les Chagossiens ont vécu sans l’aide de Maurice pendant sept mois lors de la Seconde Guerre mondiale, le bateau qui approvisionnait l’île ne pouvant pas faire le déplacement. Célestine explique qu’ils ont improvisé. «Délo koko ti nou dité gramatin. Friapin ti nou dipin. Nou pa ti pé travay, mé nou’nn viv bien. Lévé gramatin, kas koko, lapes…Nou ti bien…»

D’ailleurs, lorsque le bateau chargé de les ravitailler a finalement pu se rendre sur l’archipel, les Chagossiens étaient tellement habitués à leur nouveau régime qu’il n’y a pas eu de ruée vers les aliments. Non, Célestine n’a pas peur d’abandonner son confort, le luxe, pour retourner vivre sur son île, où la nature est généreuse. Et puis, précise-t-elle, la jeune génération est éduquée et de ce fait, a les compétences pour non seulement tout reconstruire mais aussi pour gérer l’archipel.

Au milieu du récit, elle marque un temps d’arrêt, le regard perdu dans le vide, un sourire béat lui fendant le visage. Elle y est déjà retournée, sur sa terre natale. C’est pour que son rêve se réalise, pour que ses petits-enfants puissent connaître la terre de leurs ancêtres, qu’elle a tenu à être là. «Ariv séki ariv. Mo pou kontign lager pou twa, mo ti zil !»