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Joyce Latiou: de coursière à secrétaire de direction
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Joyce Latiou: de coursière à secrétaire de direction
En sept ans, Joyce Latiou est passée de coursière à secrétaire de direction. Une ascension qu’elle doit à son sens de l’écoute, à sa volonté d’apprendre et aux opportunités offertes par ses patrons, le couple Veltri du groupe immobilier Sareg.
On ne le répètera jamais assez. La pauvreté n’est pas une fatalité. Pour énième preuve, le parcours de Joyce Latiou. Entrée comme coursière au sein du groupe Sareg, qui est engagé dans l’immobilier, en sept ans, cette trentenaire a gravi les échelons et agit désormais comme secrétaire de direction.
Or, la vie n’a pas toujours été facile pour cette habitante de Bambous, benjamine de trois enfants et dont la mère a longtemps travaillé comme femme de ménage et dont le père fait carrière comme charpentier. «Les revenus familiaux étaient très modestes», concède Joyce Latiou, très fraîche dans sa combinaison short noir et impeccablement maquillée. «S’il y avait toujours à manger sur la table, il n’y avait pas de place pour le superflu. Les parents ont toutefois fait le nécessaire pour que leurs trois enfants aillent à l’école et réussissent leur éducation», raconte-t-elle.
Elle est scolarisée à l’école primaire de Bambous puis au SSS Swami Sivananda où elle étudie jusqu’en Form V. «J’aimais mieux la littérature mais comme on disait qu’il n’y avait pas de débouchés avec les matières littéraires, j’ai dû m’orienter vers l’économie et le business.» Ce collège secondaire n’offrant pas à l’époque des classes de Form VI, c’est au collègue Bhujoharry à Port-Louis qu’elle va suivre les cours de Form VI et prendre son examen de Higher School Certificate. Elle obtient son certificat mais «moyennement», précise-t-elle. «Je n’aimais pas la comptabilité et les mathématiques.»
Elle se met alors à chercher du travail. Elle obtient un emploi de réceptionniste à l’hôtel Oberoi puis un poste similaire à l’usine de carton Dakri. Comme elle gagne moins que le salaire miminal, elle décide au bout de deux ans de passer à autre chose. Après avoir goûté aux affres du chômage pendant cinq mois, Joyce Latiou tombe sur une annonce du groupe Sareg, basé à la Pointe-aux-Cannoniers, qui cherche à remplir plusieurs postes vacants. Elle répond à l’offre de réceptionniste et est convoquée pour une interview par le patron du groupe Attilio Veltri. «La première question qu’il m’a posée c’est si je savais faire le café. J’étais un peu désarçonnée mais j’ai répliqué que faire le café ne me posait aucun problème. Ensuite, le téléphone s’est mis à sonner et il m’a demandé de décrocher. Je n’avais pas le choix et c’est ce que j’ai fait. Il a apprécié mon approche mais m’a dit de rentrer chez moi et de revenir en robe. Je m’étais habillée en pantalon. Ce n’était pas une approche sexiste. C’est simplement que M. Veltri aime bien que son personnel soit bien habillé et que les femmes soient féminines».
Ne pouvant pas refaire le trajet jusqu’à Bambous, elle s’est rendue chez Super U et s’est achetée une robe noire avant de regagner le bureau du groupe à Pointe-aux-Cannoniers. «Il a trouvé que c’était mieux et j’ai été embauchée comme réceptionniste», raconte Joyce Latiou. Mais dans la pratique, ses fonctions relèvent davantage du coursier. «Je faisais surtout le café. Ils sont de gros consommateurs de café ici. On m’envoyait aussi payer les factures ou faire des virements bancaires.» Bien que Pointe-aux-Cannoniers ne soit pas la porte d’à-côté, la jeune femme s’accroche. Elle quitte Bambous à 6 heures le matin pour être à l’heure au bureau et ne regagne son village que vers 19h30.
La voyant à l’écoute, de bonne volonté et sérieuse car ne s’absentant pas pour des peccadilles, le couple Veltri décide de lui offrir la possibilité de grimper dans l’entreprise. «M. Veltri est un homme très bien, un professionnel dans son domaine, qui peut vous expliquer quelque chose 40 000 fois. Mais dès que vous dites que vous avez compris, vous n’avez plus droit à l’erreur. Mme Veltri est plus conciliante et tempère. Ils sont très complémentaires tous les deux et c’est ce qui fait la force de leur couple, je crois.»
Au bout de deux ans, Joyce Latiou obtient une promotion et devient la secrétaire d’Attilio Veltri. Elle assiste à toutes les réunions et prend des notes, elle l’accompagne sur les chantiers des villas RES de son projet Mon Île. Au début, les termes techniques de la construction lui passent au-dessus de la tête. «Je ne comprenais rien du jargon de la construction, que ce soit le grade 316 que le ferraillage etc. Et pour converser avec le métreur ou l’ingénieur et même le contracteur, il fallait s’y connaître. Et M. Veltri m’a tout appris.»
Joyce Latiou ne se décourage pas pour autant. Elle précise que si elle n’a pas lâché prise, c’est en raison du fait que les Veltri défendent leurs employés. «Le premier projet du groupe appelé Mon Île a été ma souffrance», se remémore-t-elle en riant aujourd’hui. «Certains contracteurs faisaient mal le travail et s’attendaient tout de même à être payés. M. Veltri ne l’entendait pas de cette oreille. Nous avons reçu des menaces à l’effet que l’on viendrait éclater le bureau avec des clubs de golf ou encore qu’il serait déporté du fait qu’il n’avait pas encore eu sa naturalisation. M. Veltri n’en a pas fait grand cas. M. Veltri soit très exigeant, très perfectionniste et il veut que tout soit fait selon les normes européennes, ce qui n’est pas toujours le cas à Maurice. Ce que j’aime aussi, c’est que lui et son épouse ne vont jamais accepter que l’on dénigre leur personnel qu’ils considèrent comme faisant partie de la famille.»
Elle raconte avoir déjà vu M. Veltri remettre un investisseur à sa place. Ce dernier voulait contribuer au projet mais à condition que l’on vire les Mauriciens et qu’à la place on mette ses hommes. «M. Veltri lui a dit : dégage de mon bureau. Son épouse a eu la même attitude vis-à-vis d’un client qui exigeait que l’on mette un métreur à la porte. Pour cela, il était disposée à prendre deux villas au lieu d’une. Il avait même fait un chèque que Mme Veltri a déchiré sous ses yeux. Ce couple se bat pour son personnel et cela nous encourage à donner notre maximum dans le travail.»
Les efforts de Joyce Latiou sont récompensés en 2016 lorsqu’elle est nommée secrétaire de direction. Depuis, elle a son propre bureau et a davantage de responsabilités administratives qui s’accompagnent d’une hausse salariale importante. Une nomination qui a, bien entendu, fait jaser les esprits chagrins. «Lorsqu’un homme obtient une promotion, on ne dira jamais que c’est une promotion-canapé. Par contre, lorsqu’une femme l’a, c’est la première chose qui passe par la tête des esprits étriqués. Un ou deux anciens employés ont y ont allusionné». Comment réagit-elle face à cela ? «Cela ne me touche pas. C’est pareil comme lorsque certains contracteurs machos viennent au bureau et me parlent d’une façon hautaine car ils pensent que je ne suis pas qualifiée dans le secteur de la construction. Je m’en fiche. Je sais que je me suis donnée bien des peines pour arriver là où je suis et je sais ce que je vaux. Il faut être forte dans de tels moments et savoir s’imposer. A la longue, on s’habitue à tout et ça coule sur moi».
Et puis, ajoute-t-elle, plusieurs employés sont partis et les huit qui sont en poste sont très gentils. Parmi, il y a deux autres filles devenues ses copines. «On a longtemps cherché pour avoir du personnel de qualité et finalement on l’a eu.» Joyce Latiou et ses deux copines de travail essaient le plus possible de s’habiller chic et de se maquiller de la même façon car «c’est l’esprit du groupe que l’on veut représenter.»
Ses parents sont très fiers de son parcours. «Mes parents sont très contents de ce que j’ai accompli jusqu’ici. Lorsque mon père vient me voir au bureau, il ne s’en revient pas. Il répète : ma fille s’assoit dans un bureau et gère le personnel ! Il est trop fier. Ma mère aussi mais elle a la fierté discrète.» Son compagnon, à qui elle a donné une petite fille il y a 15 mois, nommée Anaya, partage ce sentiment.
Mais bien que Joyce Latiou ait aujourd’hui une bonne position et un salaire très attrayant, elle n’a pas oublié ses origines. C’est à Bambous et sur la maison de ses parents qu’elle a fait construire sa maison où elle vit avec sa petite famille. Et elle continue à prendre l’autobus pour se rendre au travail. Le conseil qu’elle donnerait aux personnes issues de milieux modestes qui entrent en milieu professionnel, c’est d’être à l’écoute, de faire preuve de bonne volonté et de persévérance et d’être ponctuels au bureau. «Ce ne sont pas forcément les diplômes qui vous feront avancer. Ils comptent oui mais ils ne sont pas une fin en soi. Par exemple dans mon cas, je ne m’y connaissais pas du tout dans le domaine de la construction. Mais j’ai été à l’écoute, j’ai voulu apprendre et j’ai persévéré. Je ne suis jamais arrivée en retard au travail et je ne me suis pas absentée pour des futilités. C’est en étant régulier et sérieux dans son travail que l’on va avancer.»
Et lorsque l’on réussit, ajoute-t-elle, il ne faut pas se donner de grands airs. «Je vis modestement, exactement comme j’étais avant d’être embauchée par le groupe Sareg. Certaines personnes pensent que je ne veux pas les fréquenter. Mais après une journée de travail, je n’ai qu’une hâte, c’est de rentrer m’occuper des miens. Il faut connaître ses priorités dans la vie… »
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