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Yerrigadoo et ses acolytes: intouchables !

25 septembre 2018, 23:45

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Yerrigadoo et ses acolytes: intouchables !

Aujourd’hui, cela fait un an depuis que la police de Mario Nobin et de Shiva Coothen a débarqué chez trois de nos journalistes aux petites heures du matin. Au lieu d’interroger Ravi Yerrigadoo et ses amis sur la structure de blanchiment d’argent que nous avons dénoncée – 33 documents à l’appui, contenus dans un affidavit –, les enquêteurs ont tout fait pour nous intimider et tenter de saisir les portables de nos journalistes. Une année après, que deviennent les quatre protagonistes du Yerrigadoogate ?

Un an après, que sont-ils devenus ?

Rahim: le protégé de la police

Il continue ses frasques. Celui qui a fait éclater toute l’affaire Yerrigadoogate n’a pas cessé de faire la une des journaux comme dans notre édition d’hier (lundi 24 sep- tembre). Cette fois-ci, le «self-confessed swindler» n’aurait pas respecté un droit d’hébergement. En juin dernier, le trentenaire a été accusé d’avoir tabassé un enseignant autrement capable devant le poste de police de Nouvelle-France. Dans les deux cas, Husein Abdool Rahim a pris le soin d’envoyer un communiqué par mél à toute la presse. Par contre, il a refusé de répondre aux questions envoyées par l’express vendredi dernier sur le Yerrigadoogate. Husein Abdool Rahim est actif sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook où il a créé une page en son nom. À hier, il comptait 492 abonnés. Fait notable, bien qu’il ait fait de nombreux va-et-vient aux Casernes centrales, il n’a toujours pas été arrêté à ce stade. Husein Abdool Rahim, qui a tenté de sauver Yerrigadoo en disant publique- ment que son affidavit, le document qui incrimine l’ex-Attorney General, était faux, se prend pour un protégé de la police. Il est également accusé dans une affaire de sextorsion alléguée.

Yerrigadoo: au-revoir ou adieu

Il avait promis que «ce n’était qu’un au revoir» et un an après, Ravi Yerrigadoo semble avoir fait un adieu définitif au poste d’Attorney General. Depuis qu’il a versé des larmes sur les ondes d’une radio privée, Ravi Yerrigadoo s’est fait de plus en plus discret, notamment sur la scène politique. Toutefois, il répond présent à certaines invitations, comme lors de l’ouverture de la conférence de la Financial Services Commission, le 19 septembre dernier. L’ex-Attorney General poursuit normalement ses activités en tant qu’avocat. Il a été convoqué aux Casernes centrales dans le but d’authentifier son écriture et «uniquement à titre de témoin» à en croire son avocat, Me Ravin Chetty. Contacté par l’express vendredi, ce dernier a fait comprendre que son client n’est «ni accusé ni suspect dans cette affaire». «Les accusés sont chez vous», a lancé l’avocat, qui a tenté de faire de l’esprit. De son côté, Ravi Yerrigadoo n’a pu être joint au téléphone.

Sundanum: rejeté par la blanchisserie

Le Yerrigadoogate lui a coûté son poste de General Manager à la compagnie Dry Cleaning Services Ltd. Sylvio Sundanum avait été suspendu de ses fonctions lorsque l’affaire avait éclaté en septembre 2017, mais l’un des directeurs a confirmé à l’express qu’il a bel et bien été renvoyé. Même si Sundanum a utilisé son ordinateur au bureau, «la compagnie n’a rien à voir avec cette affaire. Nous avons fait le nécessaire lorsqu’il s’est passé des choses qui vont à l’encontre de l’image de la compagnie. Pour notre part, l’affaire est close», souligne-t-on du côté de Dry Cleaning. A-t-il réglé sa facture de Mauritius Telecom du mois d’août 2017 qui, pour rappel, s’élevait à Rs 254 382 (révélée par l’express en octobre 2017) ? «Ce sont des informations confidentielles», a fait comprendre la direction. A-t-il trouvé un autre emploi depuis ? C’est un mystère puisque le sexagénaire body-builder n’a pas répondu à nos appels.

Les protagonists

Roshi Bhadain, ex-avocat de Rahim

Roshi Bhadain, ex-avocat de Rahim.

«Une année pour une telle enquête ? Elle aurait dû avoir été bouclée depuis belle lurette. Rahim est un self-confessed liar. À part les faits (notamment contre Yerrigadoo) qu’il a démontrés avec des preuves, il n’a fait que mentir aux autorités pour les manipuler, donner de fausses dépositions, monter les médias les uns contre les autres. C’est clair que la police ne veut pas l’inquiéter. Tout comme elle ne veut pas inquiéter Sudhir Sesungkur. C’est symptomatique de la police : quand on est proche du pouvoir, on est au-dessus des lois.»

Shakeel Mohamed

Husein Abdool Rahim était allé le voir avant de venir à l’express. Il sait donc tout de la genèse du #Yerrigadoogate. Son avis aujourd’hui : «Ravi Yerrigadoo a publiquement confirmé avoir écrit la lettre en faveur de Rahim. Quand l’Attorney General démissionne, Rahim se rétracte en direct sur RadioPlus et provoque les larmes de Yerrigadoo. C’est un Soap Opera bien triste. Ni la police, ni l’ICAC n’ont convoqué Yerrigadoo pour cette lettre. Un an après, rien n’a changé. Ce scénario ne fait pas honneur aux institutions.»

Zahira Radha, rédactrice en chef de Sunday Times

Zahira Radha, rédactrice en chef de Sunday Times.

Avant que Rahim ne vienne voir l’express, il était allé la solliciter, mais les deux ne s’étaient pas entendus sur le jour de parution de l’article. Ce témoin privilégié qui a d’ailleurs déposé au CCID estime que «la façon dont la police a traité cette affaire est tout à fait révoltante. Un an après, le protagoniste principal n’a toujours pas été inquiété, bien qu’il ait tenté de manipuler l’enquête tandis que les journalistes de l’express ont, eux, été traités comme de vulgaires criminels dès le départ alors qu’ils n’ont fait qu’exposer la vérité au public. Un traitement de deux poids, deux mesures qui saute aux yeux.»

Ashley Hurhangee, ex-avocat de Rahim

«L’enquête est d’une lenteur… Un an après, la police n’a toujours pas fait la lumière dans cette affaire. Je souhaite de tout cœur que la vérité triomphe et que les vrais coupables soient amenés devant une cour de justice.» Y avait-il séquestration, comme l’a prétendu Husein Abdool Rahim ? «Il n’y avait pas de séquestration directe ou indirecte. C’est trop facile de faire des allégations dans le but de ternir l’image des professionnels. C’est à la police d’enquêter dignement et non pas arbitrairement. »

Inspecteur Coothen, PPO

L’inspecteur Shiva Coothen.

Avec un sérieux non feint, Shiva Coothen, avait allègrement annoncé l’arrestation de nos trois journalistes. Un an après, alors qu’aucun d’eux n’a été traduit en cour pour être inculpé, le responsable de communication maintient ce qu’il avait déclaré aux Casernes centrales. «C’était écrit released on parole sur le document officiel qu’on m’avait remis ce jour-là. Une personne qui n’est pas arrêtée ne peut être relâchée sur parole. I stated facts. Mo pa la pou fer sensasyon ou fer grimas. Si mo pa ti dir sa linformasyon la sa zour la, ti pou malonet de ma part», a tenté de justifier l’inspecteur Shiva Coothen hier au téléphone.

Où en est l’enquête ?

Un an et douze jours depuis que Ravi Yerrigadoo a démissionné. Un an et treize jours qu’un affidavit a été juré contre lui et que l’enquête a démarré. Un an et quatre jours depuis que Husein Abdool Rahim a retourné sa veste si vite qu’il a risqué un déboîtement de l’épaule, qu’il nous a accusés de séquestration et de complot sur des ondes complices. Un an jour pour jour depuis que les policiers ont débarqué chez nous. Où en sont les choses ? La police n’a pas été en mesure de répondre. Le PM a fait déposer une réponse selon laquelle la police et l’ICAC enquêtent, sans en dire plus. Et les autres affaires d’escroquerie que Rahim traînait avant et dont nous avions fait état la première fois que nous avons parlé du Yerrigadoogate ? Et les affaires qui sont survenues après, dont celle rapportée pas plus tard qu’hier ? Et l’aveu selon lequel il a juré un faux affidavit ? Rien non plus. D’ailleurs, il y a quelques semaines, une dame nous a contactés de France et a affirmé qu’elle s’est aussi fait escroquer par Husein Abdool Rahim.

Un an après, j’essaie toujours de comprendre l’histoire de séquestration. Je connais très peu de personnes qui, pendant leur séquestration, peuvent sortir seules, aller chercher leur passeport chez elles et revenir se faire séquestrer un moment avant de ressortir pour aller à la gym et re-revenir se faire séquestrer. Ça, je n’aurais pas mis ça dans mes films. Sauf si c’est un film pour adultes qui traite de la soumission. Ou une comédie de série B. Mais bon, comme je ne suis pas enquêteur, je ne saisis peut-être pas tout…

Question : Où en est l’enquête sur l’affaire Bet 365 ? Et celle sur le complot etc. ? La réponse de la police à cet e-mail est toujours attendue. C’est quand même assez frustrant de ne pas avoir les détails d’une affaire qui concerne soi-même directement. Surtout que pour venir perquisitionner notre domicile, il y a un an jour pour jour, la police n’a pas perdu beaucoup de temps.

Est-ce qu’elle avait un mandat de perquisition ? Personne ne l’a vu. Et non, contrairement à ce que la radio avait annoncé aux infos de 8 heures le lundi 25 septembre, personne ne nous avait contactés au préalable pour nous demander de nous rendre aux Casernes centrales ou nous informer que nous étions recherchés. Sinon, nous n’aurions pas été – à moitié – surpris ce fameux lundi, lorsque nous avons reçu un appel à 4 h 50 nous informant que la police était chez moi. Oui, nous n’étions qu’à moitié surpris car les limiers de la CID avaient fait une tournée à Terre-Rouge, la veille, pour demander mon adresse de manière pas subtile à tous mes voisins. Je me suis donc dit que ce n’était certainement pas pour une visite de courtoisie. Remercions, au passage, nos amis des Casernes centrales qui ont eu la gentillesse de nous prévenir ce qui se tramait dans l’ombre. Je dois avouer que rester à la maison uniquement dans le but de voir un groupe d’hommes en uniforme dans ma chambre en pleine nuit paraissait une bonne idée sur le coup, mais on m’a convaincu du contraire.

Nous avons aussi eu droit à trois jours d’interrogatoire. Les officiers du CCID étaient courtois, ce qui a rendu ces journées un peu plus agréables. Mais il faut aussi dire que nous ne savions toujours pas où en étaient les choses à l’époque. Entre Nad Sivaramen qui a été «unarrested» et le fait que personne n’avait de mandat d’arrêt mais que la police a quand même essayé de nous sortir du lit pour nous emmener, toute l’affaire était floue. Un an après, la situation n’a pas beaucoup évolué. Et certains, en faisant exprès d’occulter les faits en allant jusqu’à dire, à l’ère du journalisme d’investigation, que «zurnalis pas sipozé fer lankét», ont tenu des débats sur l’éthique dans le confort climatisé des studios dignes de Bollywood où l’on vient pleurer.

La genèse d’une saga

Samedi 9 septembre 2017, 14 h 25. C’est un appel manqué sur WhatsApp, vite suivi d’un message de Touria Prayag qui m’alerte :«It’s about a guy who is filing a complaint against the Attorney General on Monday. He has an incriminating letter and astonishing email exchanges. He wanted his story out by Monday (…)He’s probably gone to some other publication by now. He did not want me to hold on to it until Thursday when Weekly comes out...» Tout démarre à partir de ce message.

Ce samedi-là,j’étais pris par une page de l’express-dimanche : j’essayais de caser une vingtaine de photos d’une soirée (que l’express avait patronnée la veille au Sofitel). Le photographe avait mitraillé pas mal de personnes lors de cette soirée de publicistes. Je voulais que ce soit une page quelque peu artistique, pour être à la hauteur de la soirée et du talent de nos amis et j’avais un deadline assez serré. Du coup, je n’ai pas pu répondre à Touria et j’ai demandé à l’un de nos journalistes de l’appeler pour en savoir plus. Mais Touria ne voulait pas en dire davantage et insistait pour me parler. Un peu las, je lui ai fait dire : «OK donne mon numero de portable au monsieur et dis-lui de venir me voir le lendemain au bureau.» Je n’y ai plus pensé après.

Le lendemain, alors que je lisais les (trop) nombreux journaux dominicaux, mon téléphone a sonné.

- «C’est Nad ? Ici c’est Rahim. Touria m’a donné votre numéro.»

-«Oui c’est moi. C’est comment votre nom ?»

-«C’est Rahim. Husein Abdool Rahim. On m’a conseillé de vous parler…»

-«Oui Touria m’a parlé de vous. Vous venez au bureau…»

- «Puis-je venir plus tôt que prévu ? Dans 15-20 minutes ? Je ne pourrai pas venir après car je dois aller jouer au squash…»

- «…Euh...Pas de souci, suis au bureau. Appelez-moi quand vous arrivez ?»

-«D’accord…»

Je lui donne les directions. Il me dit qu’il se fera déposer par une personne. Je me dis que cela doit être moins sérieux que me l’a fait croire Touria puisque le monsieur trouve le temps d’aller jouer au squash…

Une quinzaine de minutes plus tard. Rahim, une sorte d’armoire à glace dans un T-shirt de footballeur, au sourire espiègle, débarque à Riche-Terre. J’ai un mauvais pressentiment en le voyant – pourtant je ne l’avais jamais vu avant. Je demande à Yasin, qui était quelque part dans la rédaction, d’assister à la rencontre. Je pensais lui refiler l’affaire une fois les intros faites….

Yasin, Rahim et moi, on est entré dans une petite salle jouxtant la grande salle de rédaction. Rahim a ouvert son file bleu et a sorti les documents. Dès que je les ai vus, j’ai dit quelque chose du genre :«C’est pas possible. Non ! Comment avez-vous fait pour avoir de tels documents ?»

***

Dimanche 24 septembre 2017. C’est l’appel d’un «ami d’enfance» devenu policier, comme dans nos jeux d’antan. C’est un appel qui a changé le cours des choses.

Depuis que nous avons révélé le Yerrigadoogate, nos portables n’arrêtent pas de sonner ; trois fois plus qu’avant. Depuis que l’escroc Husein a retourné sa veste contre nous afin de sauver Ravi Yerrigadoo, sur les ondes complaisantes de Radio Plus, c’est devenu infernal. Sur les chaînes de radio, on annonce, chaque heure, notre interrogatoire imminent. Dans des salles de rédaction du pays, on parle de notre arrestation imminente. Et ce, depuis deux jours au moins. Parmi tous ces appels, mon «ami d’enfance» s’affiche sur l’écran, en fin d’après-midi, ce dimanche. Je décroche après deux, trois sonneries. Pas de salutations rien. Juste quelques mots, et puis il raccroche. Le ton est sérieux :

- «Nad, bann-la pe sorti trois heures du matin demain, pe vinn kot twa Port Chambly. Enn lot lekip pe ale kot Yasin Terre-Rouge, ek lot Axcel Flic-en-Flac. Pa res lakaz. Zot pou signale photographes Le Défi ek cameramen MBC tout.

Pe envi déstabilisé zot. Vire la table lor zot. Manz ar li !»

Dès lors, je savais, avec certitude, que nous n’avons qu’une longueur d’avance sur les autorités, mais juste une longueur, pas plus.

Je devais convaincre Axcel et Yasin de venir avec moi quelque part ce soir-là. Mais où ? Je ne le savais pas encore. Mais je savais qu’on devait rester ensemble cette nuit-là – ce sera sans doute l’une des plus longues nuits de notre vie.

Un autre appel, cette fois-ci sur le portable de Yasin, me facilite la tâche. Il répète d’une voix qui laisse transparaître stupeur et révolte :

- «Ki ena bouncers p rode mwa lakaz?!»

Il apprendra plus tard que ce sont en fait des membres du CCID en reconnaissance chez lui, avant la descente des lieux prévue à l’aube...