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Professeur Swaley Kasenally: «Une hausse du prix des carburants pas justifiée»

1 octobre 2018, 23:30

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Professeur Swaley Kasenally: «Une hausse du prix des carburants pas justifiée»

La situation est préoccupante mais pas dramatique. L’ancien ministre de l’Énergie revient sur une future hausse du prix des carburants causée par les tensions entre les États-Unis et l’Iran.

Le Petroleum Pricing Committee (PPC) devrait se réunir cette semaine à la lumière des tensions internationales entre les États-Unis et l’Iran qui font flamber le cours du pétrole. Une augmentation du prix des carburants est-elle justifiée à Maurice?

l faut faire très attention à chaque fluctuation des prix sur le marché mondial. Les commentateurs à Maurice prédisent une hausse des prix, mais ce n’est pas aussi simple. Il y a un mécanisme qui existe mais ce qui est plus important c’est que cette fluctuation est plus ou moins proche du prix de référence établi en juin.

D’après les projections du PPC, la tonne métrique des carburants s’élèverait à 730 dollars. On fait tous référence à Brent, car il y a un lien entre le cours du Brent et les prix des produits finis. Notamment entre ceux du gasoline, diesel et l’huile lourde qu’on utilise à Maurice. Pour moi la situation est inquiétante mais pas dramatique. On doit être conscient que toutes les forces du marché qui vont s’opérer à partir de maintenant seront au-delà de notre contrôle. Et ce sont les consommateurs qui seront à la merci de ces développements géopolitiques et économiques.

Si le prix augmente légèrement à l’étranger, je crois que le gouvernement doit pouvoir gérer la situation sans procéder à des augmentations. Il faut attendre la deuxième vague de sanctions américaines en novembre ou décembre. Pour le moment, une hausse n’est pas justifiée.

Que peut-on dire justement sur la gestion de cette crise ?

Le gouvernement doit pouvoir gérer cette situation avec beaucoup de sérieux. Une gestion qui n’a cependant pas été exempte de tout reproche dans le passé. Vous savez depuis ces trois dernières années, soit depuis que le nouveau gouvernement est aux commandes, le pays a profité énormément de la chute du prix du pétrole et toutes les indications démontrent que nous n’avons pas géré cette manne pétrolière comme il se doit.

Le gouvernement a profité pour empocher tous les gains et nous les avons mis dans le Consolidated Fund pour financer d’autres dépenses. Au lieu de faire profiter les consommateurs de cette baisse, il a au contraire imposé une taxe additionnelle (Build Mauritius Fund, NdlR) de Rs 4 pour les projets de développement. Il y a déjà énormément de taxes que le gouvernement collecte. Je ne veux pas revenir sur tous ces détails, mais selon la structure actuelle du prix, un litre d’essence avec le coût de l’assurance et du fret nous revient à Rs 20 et les taxes sous différentes formes se chiffrent à Rs 25.

Rs 45 qui s’ajoutent aussi aux contributions faites par la STC pour Rodrigues et ses propres projets comme le Storage Tank. Ce qui nous amène au prix de vente de Rs 49. Les Rs 25 de taxes sont déjà assez conséquentes alors que le prix initial est de Rs 20.

Quoique le gouvernement dans la dernière structure avait réduit légèrement le MID fund (30 sous). Cet item avait d’ailleurs disparu. Les contributions pour les subsides de la farine, du riz et du gaz ménager ont également diminué. Mon explication est que le gouvernement dépense moins pour ses subsides car les Mauriciens consomment moins de riz «ration». Ce que je voudrais savoir c’est combien le gouvernement a dépensé pour les subsides même pour le gaz ménager dont le prix a chuté sur le plan international ? Le gouvernement doit expliquer pourquoi certains impôts ont été éliminés du prix du diesel mais pas de l’essence.

Selon vous, comment le gouvernement auraitdû procéder ?

Je maintiens qu’on n’a pas bien géré cette manne pétrolière. Pour moi, les rentrées d’argent liées aux carburants n’auraient pas dû être gaspillées pour des dépenses assez farfelues. Il fallait réduire ces taxes et laisser respirer l’économie. D’autant plus que l’essence et le diesel sont des «imputs» cruciaux pour l’économie d’un pays. Ce ne sont pas des produits de luxe. Il fallait répercuter cette baisse non seulement aux automobilistes mais aussi aux operateurs (industrie, transport public, camionneurs). Cette manne pétrolière était énorme tout comme le mur fiscal érigé par le gouvernement. Les indicateurs macro-économiques le démontrent : en 2014, quand le prix était à son plus haut niveau, nos importations en produits pétroliers étaient d’1 million de tonnes et la note était de Rs 30 milliards. L’année suivante, nous avons importé 1,1 million de tonnes et le prix total était de Rs 21 milliards. C’est pour vous dire l’impact de cette dégringolade.

Pour le CEB, en 2014, le coût de ses importations de l’huile lourde était de Rs 3,8 milliards. En 2015, c’était Rs 2,6 milliards alors qu’il a acheté une plus grosse quantité. 

Le prix de l’électricité aussi aurait dû baisser lui aussi?

Pour moi le CEB a fait des économies massives de Rs 4 à 5 milliards ces trois dernières années. Les consommateurs n’en ont pourtant pas bénéficié. Il n’y a eu aucune baisse des tarifs d’électricité. Pourtant quand le prix au niveau mondial augmente, tout de suite on fait payer les consommateurs. Il est normal que quand les prix des «imputs» chutent, les Mauriciens en sortent gagnants. Mais cela n’a pas été fait. Le CEB a possiblement utilisé ce pactole pour rem bourser ses dettes. C’est ce qu’on veut savoir en fait. Comment cet excès d’argent a été utilisé ? Maintenant que les cours du pétrole montent, il faudra savoir administrer cette situation avec beaucoup de doigté. Ce qui est aussi valable pour les autres secteurs. D’après mes calculs, la note pétrolière pour le pays pour 2018 sera de Rs 35 milliards pour 1,4 million de tonnes de produits pétroliers. Cela aura incontestablement des répercussions sur la balance des paiements déjà déficitaire. Quoiqu’une bonne partie de ces importations va être réexportée comme l’aviation fuel et les marine bunkers. Malgré cela, la note sera salée pour le pays.

Dans ce contexte, il est impossible que le gouvernement revoie les taxes sur ces produits ?

Je ne dis pas de retirer complètement les taxes, mais d’ajuster la structure pour que quand les prix augmentent, ils ne soient répercutés aussi brutalement sur les consommateurs. Je disais que le litre d’essence nous coûte à l’origine Rs 20 mais avec les taxes et la TVA, cela nous arrive à Rs 25. Ce qui représente des recettes de Rs 6,5 milliards.

Pour le diesel, les taxes sont de l’ordre de Rs 15 sur chaque litre et rapportent Rs 4,5 milliards. Rs 11 milliards, voilà la part des produits pétroliers dans les caisses de l’État. En sus de cela, la STC importe des produits comme l’aviation fuel qu’elle revend comme le marine diesel oil pour les navires. Pour moi les profits devraient avoisiner les Rs 3 milliards. Le secteur «pétrole» est un secteur clé dans les finances du gouvernement. C’est très conséquent.

«Les gouvernements ont utilisé les produits pétroliers pour renflouer les caisses.»

Je serais malhonnête de dire que c’est seulement ce gouvernement qui en profite. Tous les gouvernements précédents ont utilisé les produits pétroliers pour renflouer les caisses. Mais le gouvernement actuel aurait pu faire davantage en raison du contexte international. Il aurait pu par exemple ne pas imposer cette taxe de Rs 4 pour le Build Mauritius Fund. Même si on ne voit plus cet item sur le tableau, cette taxe est incluse sous l’excise duty qui est maintenant de Rs 14,80.

Quelle est votre lecture de l’évolution des prix ?

Les prix de l’essence, du diesel et de l’huile sont tous liés avec le Brent. Le cours du Brent avait dégringolé pour atteindre 40 à 45 dollars le baril en 20152016. Ce chiffre a presque doublé en passant à 80 dollars.

J’estime que dans le temps, le cours atteindra 85 dollars.

Dans le temps ?

C’est-à-dire dans six mois environ, mais si la situation géopolitique dans la région se dégrade entre-temps avec les sanctions imposées sur l’Iran cela peut compliquer davantage les choses. Si les exportations de l’Iran, qui sont de trois millions de barils par jour, diminuent pour atteindre 1 million de barils, clairement il y aura un manque de pétrole brut sur le marché mondial.

Et la conséquence immédiate sera que le prix du Brent va grimper pour atteindre les 90 dollars. Ce sera alors très difficile pour notre économie. J’espère qu’il n’y aura pas d’escalade à ce niveau. Mais en géopolitique tout peut arriver.

Mais si cela arrive, nous savons que Mangalore s’approvisionne de l’Iran, doit-on s’inquiéter d’une pénurie ?

Logiquement si Mangalore ne peut pas fournir, nous allons être confrontés à un manque ici mais je ne crois pas que cela va se produire. Je crois que l’Inde et Mangalore vont trouver d’autres sources d’approvisionnement qui pourraient coûter beaucoup plus cher. Je ne peux prédire l’avenir mais tout est possible. C’est une situation qu’on devra suivre de près.

Est-ce une bonne idée d’acheter la totalité de nos produits pétroliers de Mangalore ?

Je lai toujours dit. J’ai vu que le PMSD a abordé la question tout comme le MMM récemment. Il fallait importer que 50 % du pétrole de Mangalore et pour le restant on aurait dû diversifier nos sources d’approvisionnement comme cela a été dans le passé. Quand on procède ainsi on peut faire jouer la concurrence. On aurait ainsi différents fournisseurs qui seront obligés de proposer des prix plus compétitifs. Nous l’avions fait dans le passé.

À partir de 1982, on ne pouvait pas laisser les multinationales faire la pluie et le beau temps. Suite à un mouvement lancé par le regretté Kader Bhayat, nous avions pris la décision que pour la moitié de nos besoins en produits pétroliers, on allait s’approvisionner auprès de la Kuwait Petroleum Corporation à hauteur de 25 %. Les multinationales Shell et Caltex, qui importaient déjà chacun leurs produits, ont ainsi dû «match» les prix. Ce qui a été avantageux sur le plan économique et au niveau de la sécurité. On ne peut mettre tous nos œufs dans un seul panier. Cette crise va d’ailleurs nous montrer qu’une telle mesure est nécessaire. Je pense que ce gouvernement ou le prochain gouvernement doit considérer cet aspect. On peut le faire sans offenser Mangalore ou l’Inde.

Maurice et les Seychelles vont bientôt lancer des opérations de forage sur le plateau continental. Du pétrole chez nous, ça vous évoque quelque chose ? Est-ce qu’il y a du pétrole dans nos océans ?

Possiblement. Grâce aux nouvelles techniques avec l’apport des technologies de pointe et images satellite, ils ont peut-être découvert qu’il y a du potentiel. Mais ces informations sensibles sont rarement partagées au grand public. Cela me ramène à 1975 quand Caltex avait obtenu une autorisation de feu sir Seewoosagur Ramgoolam pour effectuer des forages dans nos eaux territoriales. Mais cela n’avait rien donné après des données sismiques élémentaires. En 83, j’avais relancé ce projet en faisant réinterpréter ces données mais cela na pas été concluant et nous avons tourné la page. Mais avec le «satellite imaging» très sophistiqué de nos jours, peut-être ils ont décelé la présence d’hydrocarbures dans la région. Si les résultats sont concluants, ce sera forcément une manne pour le pays, mais on ne peut trop dépendre sur cette découverte pour le moment.