Publicité

Exil: la parole aux Chagossiens d’ailleurs

2 octobre 2018, 21:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Exil: la parole aux Chagossiens d’ailleurs

(Partie I) À part Liseby Elysé, à La Haye, en septembre, la dimension humaine de l’archipel y était peu présente. De Maurice, on entend davantage les Chagossiens vivant au pays que ceux qui se sont exilés en Grande-Bretagne. Qui sont pourtant passés par la même agonie du déracinement. «L’express» vous propose de retrouver, en quatre épisodes, l’histoire, le vécu, les espoirs et les déceptions des Chagossiens de Crawley.

C’est le plus grand groupe représentant les Chagossiens en Angleterre. Le Chagos Islanders Movement (CIM) est composé de plus d’un tiers des expulsés de l’archipel. Depuis des années, ce groupe essaie de se battre pour revendiquer quelques droits, mais surtout pour venir à bout des préjugés et autres clichés qui leur collent à la peau.

«Non, nous ne mangeons pas du bacon and eggs au petit déjeuner ici», lance d’emblée Eliane Chery, 29 ans, et membre du groupe. Cette jeune fille, nièce de Charlésia Alexis, veut ainsi répondre aux propos de «bann Morisien ki krwar nou lavi roz ici». Non, en Angleterre, les Chagossiens ne sont pas des millionnaires. D’ailleurs, même s’ils ont le passeport britannique, ils n’ont pas les mêmes droits que tous les autres sujets de la reine.

Le début

L’expulsion des Chagossiens de l’archipel est une histoire connue. Mais les drames que cette expulsion a causés le sont bien moins. Le cas de Marie Célestine Louis, relaté dans l’édition de l’express du 9 septembre, n’est pas isolé. Des centaines de Chagossiens étaient venus à Maurice pour des soins et n’ont jamais pu regagner leur île. Ce qu’ils avaient sur eux était, dès lors, leurs seuls biens.

Le refus du droit de retour a commencé dès 1962, affirme José Jacques, porteparole du CIM. Par la suite, les habitants de l’île ont été transportés vers Maurice et les Seychelles par vagues. Felicity Velou, aujourd’hui âgée de 72 ans, se souvient du moment où toute sa famille a été évacuée de Salomon à Peros Banhos pour attendre le navire qui devait les ramener à Maurice. Des mois durant, ils n’ont pas reçu les denrées de base que Maurice envoyait auparavant régulièrement et ont dû se débrouiller pour subvenir à leurs besoins. Le gouvernement des Seychelles a dû affréter un bateau de vivres pour qu’ils puissent se nourrir en attendant leur départ. Mais le peuple chagossien n’était pas au bout de ses peines.

Nous sommes le 2 juin 1973. Raymonde Désiré a alors 25 ans et est enceinte de neuf mois. Elle est parmi le dernier groupe à quitter l’archipel. Sur les îles, il n’y a pas de médecin. Le régisseur de l’île, qui a été infirmier, lui a dit qu’il peut aider si jamais elle accouche en route. Raymonde monte à bord du bateau. De toute façon, elle n’a pas le choix. Lors de l’escale aux Seychelles, elle va voir un médecin qui lui déclare qu’elle n’accouchera pas avant d’arriver à Maurice. Quelques heures plus tard, elle commence à avoir des contractions.

Malgré les années, les détails du traumatisme sont toujours bien vivaces. Sa silhouette, menue de nature, se recroqueville encore plus lorsqu’elle relate les événements. «Nou tou ti dan enn lakal. Mone bizin monte leskalyer ale dan enn kabinn lao.» Comme le capitaine n’est pas là, Raymonde doit accoucher seule, sans assistance. C’est «lamé Bondié» qui a fait que tout se soit bien passé. Pour elle, et tous les autres qui sont sur le même bateau, ce n’est rien de moins qu’un miracle. Par la suite, elle doit être redescendue dans le bateau sur un hamac.

Le voyage des Seychelles pour arriver à Maurice dure cinq longs jours. Dans la cale, elle ne cesse de remercier Dieu pour la présence de ses amies, qui se sont occupées de ses trois autres enfants. «Mo ti pé gagn malad lamer, ti pe bizin get tibaba, get lezot zenfan. Mo pa kapav mem expliker sa sink zour la», dit-elle, le regard toujours perdu dans le vide.

«Manz dimounn»

À Maurice, la situation n’est pas non plus meilleure. Certes, il y a des promesses, mais bien rares sont-elles tenues. Raymonde Désiré doit avoir une maison et une pension. Finalement, elle doit se débrouiller pour avoir un toit en tôle et commence à travailler pour payer son loyer. Comme elle, des milliers de personnes se retrouvent sans rien.

Puis, il y a la discrimination. «Kot nou pase, dimounn zour nou. Ena ti pe dir nou manz dimounn, pa ti pe les zanfan zoue», raconte Felicity Velou. Les Chagossiens sont logés dans les cités «zilwa». La discrimination envers eux ne tarde pas à faire surface. Certains trouvent du travail dans le port, d’autres doivent se contenter de petits boulots pour survivre. Il faut se battre pour que les enfants trouvent une place à l’école. Même là, la discrimination se fait sentir. Les enfants des «zilwa» sont mis à l’écart.

Raymonde Désiré, enceinte de neuf mois, a été expulsée de son île natale en 1973. Louis Bouchary, 66 ans, souffre en Angleterre de la barrière de la langue.

Et les compensations dans tout cela ? En 1978, ils reçoivent Rs 7 090, et cinq ans plus tard, c’est la somme de Rs 35 000 qui est versée à certains. D’autres ont des lopins de terre. «Ankor enn fwa, bann Morisien mem koz nou, dir nounn gagn tou mé nou pann avanse», déplore Felicity Velou. Mais l’argent ne reste pas longtemps avec eux. Entre les dettes qu’ils ont accumulées sur le loyer, les crédits que les boutiquiers leur ont faits et les dépenses courantes, leur compensation fait vite de disparaître.

Cette compensation empire le regard des Mauriciens sur eux. «En plus, la deuxième fois, on nous a fait renoncer à nos droits sans même nous dire sur quoi on mettait nos empreintes», tient à préciser Raymonde Désiré. Car si les Chagossiens ne savent pas lire, c’est parce qu’il n’y avait pas d’école sur l’archipel. Dès lors, sans le savoir, ils sont devenus un peuple sans terre et sans bien.

Louis Bouchary explique qu’il a dû vendre le terrain qu’il a obtenu pour payer ses dettes. D’autres Chagossiens se sont fait escroquer par les propriétaires mauriciens, à l’instar de cette dame qui a acheté une maison en tôle à Rs 5 000, y a fait des aménagements mais qui a tout perdu lors d’un cyclone car sa maison a été complètement dévastée.

Migration

En 2002, la donne change. La loi sur la citoyenneté des territoires d’outre-mer britanniques est amendée. Les habitants de ces territoires ont droit à la nationalité anglaise. L’archipel des Chagos fait théoriquement partie de la British Indian Ocean Territory. De ce fait, les Chagossiens ont droit au passeport britannique. Plusieurs décident d’aller voir si l’herbe est plus verte là-bas. Surtout, pour fuir la discrimination. Pour la deuxième fois de leur vie, ils changent de pays et doivent tout recommencer à zéro.

Eliane Chery a 15 ans lorsqu’elle arrive en Angleterre avec ses parents, en 2003. Elle fait partie du deuxième groupe, composé de 47 personnes, qui ont décidé de partir pour la Grande- Bretagne. Dès la descente de l’avion, le ton est donné. Ils ne peuvent pas entrer car les officiers de l’immigration ne reconnaissent pas leur passeport. De plus, ils n’ont pas d’adresse et pas de points de contact sur place. Après des discussions de plusieurs heures, le groupe est libéré. Pour la deuxième fois de leur vie, ces personnes se retrouvent dans un pays étranger sans rien. «Nounn ress lotel enn an avan gagnn enn lakaz», se souvient Eliane Chery. Les problèmes commencent et sont toujours d’actualité.

Tous les Chagossiens se sont retrouvés à Crawley. Le premier groupe qui est venu avait un point de contact sur place et, par la suite, les autres ont suivi, car au moins, il y avait une partie de leurs connaissances dans cette ville. «Ensuite, lorsqu’il a fallu commencer à travailler, la plupart ont trouvé des emplois dans l’aéroport de Gatwick et l’hôpital de Redhill, tous deux à proximité. Koumsa ki nou tou inn ress ici mem», explique José Jacques.

La première génération des Chagossiens n’a pu décoller à cause de la barrière de la langue. Même aujourd’hui, leur quotidien est difficile à gérer. «Que ce soit pour aller à l’hôpital, faire des courses ou effectuer des démarches administratives, nous sommes totalement dépendants des autres», déplore Louis Edouard Bouchary, 66 ans. Petit à petit, d’autres groupes sont arrivés et les problèmes ont perduré.