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La parole aux Chagossiens d’ailleurs…

3 octobre 2018, 22:03

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La parole aux Chagossiens d’ailleurs…

De Maurice, on entend davantage les Chagossiens vivant au pays que ceux qui se sont exilés en Grande-Bretagne. Qui sont pourtant passés par la même agonie du déracinement. Voici l’histoire, le vécu, les espoirs et les déceptions des Chagossiens de Crawley.

La reconnaissance

Au fil des ans, la communauté chagossienne établie à Crawley se retrouve de plus en plus isolée. Les Chagossiens ne reçoivent aucune aide de l’État, sauf pour les plus anciens. Au-delà de 65 ans, ils bénéficient d’une pension et disposent d’une maison, mais c’est à peu près tout. La plupart doivent toujours compter sur l’aide des enfants pour subvenir à leurs besoins. L’une des revendications du Chagos Islanders Movement (CIM) est dès lors une pension à vie pour les natifs.

Pour Eliane Chery, 29 ans, et membre du groupe, ce serait la reconnaissance de ce que ce peuple a subi. «Ils ont été déracinés par les Anglais. Qu’ils aient un peu d’argent pour passer leurs dernières années en toute dignité est la moindre des choses que le gouvernement britannique puisse faire pour eux.» Cette génération de natifs, qui est maintenant âgée, ne souhaite pas regagner l’archipel, d’où cette demande pour une pension un peu plus correcte. Aujourd’hui, elle touche une pension qui se situe entre 125 livres sterling et 200 livres sterling (Rs 5 500 et Rs 9 000 environ) par semaine, ce qui n’est pas suffisant, vu le coût de la vie au Royaume-Uni. Après avoir payé l’eau, l’électricité et les factures, il ne reste plus grand-chose pour vivre.

 

Le logement est un autre problème. Si la plupart des natifs ont une maison convenable, d’autres attendent toujours. C’est le cas d’Edmée Frivole, 89 ans. Atteinte d’Alzheimer et d’un cancer, elle est alitée dans une maison jugée inappropriée par son médecin. Elle vit allongée dans une chambre à l’étage, avec sa sœur, sa nièce Maita Frivole et les trois enfants de cette dernière. «Cela fait deux ans que je me bats pour avoir une maison équipée pour elle, mais en vain. Elle a été retirée de force de son pays et on ne peut pas lui donner une maison convenable pour ses derniers jours ?» demande-telle, incrédule. La vieille dame a gardé le lit tout l’été, n’est pas sortie prendre de l’air depuis plus d’un an car personne n’ose la faire descendre dans son état. Encore une demande à laquelle l’administration kafkaïenne peine à répondre.

Mais la demande de reconnaissance ne s’arrête pas là. Une des questions qui reviennent sans cesse sur le tapis est la reconnaissance de ce que le gouvernement mauricien a fait subir à ce peuple avant tout. Pourquoi est-ce que les enfants n’apprennent pas à l’école l’histoire des Chagossiens, qui font pourtant partie du peuple mauricien ? Lorsque ce point est abordé, l’amertume est toujours présente, surtout chez les natifs. Felicity Velou, Rosemonde Désiré, Marie-Orange Jacques et tous les autres se demandent la même chose. Pourquoi est-ce que le gouvernement mauricien a accepté leur expulsion, pourquoi a-t-il agréé à ce qu’ils renoncent à leurs droits ? Pourquoi la bataille se fait maintenant et pas avant ?

 

La réponse vient d’Isabelle Charlot, présidente du CIM. «Le gouvernement mauricien a utilisé notre peuple une première fois pour avoir l’Indépendance. Aujourd’hui, on nous utilise encore une fois pour avoir la souveraineté et avoir l’argent du bail des Américains», dit-elle sans détour. Comme la première fois, ceux qui ont été la monnaie d’échange dans l’histoire n’auront rien. Et non, ni elle ni Jean-Paul France, son bras droit, ne croient aux promesses. Tant qu’ils ne verront pas un plan établi par écrit, ils ne vont pas y croire.

De plus, jusqu’à présent, le montant du loyer pour Diego Garcia payé par les Américains aux Britanniques n’est pas connu. À chaque fois que cette question a été soulevée, la réponse a été différente. La première fois, le gouvernement leur avait dit que c’était 1 livre sterling symbolique. La deuxième fois, ils ont appris que le Royaume-Uni ne percevait pas de loyer pour Diego Garcia et la troisième fois, l’information était confidentielle. «Pourquoi ce loyer n’est pas utilisé pour aider les Chagossiens ?»

D’ailleurs, même aujourd’hui, le sort des Chagossiens fait toujours le bonheur des Mauriciens. On ne compte plus le nombre de personnes qui se sont approchées pour des documentaires, des livres, des histoires, et qui ont parlé de la culture chagossienne à des fins commerciales. Au bout du compte, leur sort ne s’est pas amélioré et ils n’ont rien eu. Leurs vies ont continué comme avant.

Mourir dans la dignité

Une des autres demandes pressantes du CIM est l’octroi d’une aide pour les funérailles des Chagossiens. Si la requête peut surprendre au premier abord, les histoires ne manquent pas pour illustrer la nécessité d’une telle aide. L’époux de Marie-Orange Jacques est décédé en 2009. Elle a dû trouver 4 500 livres sterling (environ Rs 200 000) pour l’enterrement. Idem pour la mère d’Eliane Chery. L’enterrement a coûté 5 000 livres sterling (Rs 223 000). Entre les frais administratifs, la morgue, le cercueil et la tombe, la mort est un business lucratif en Angleterre. À cela, il faut rajouter une pierre tombale et une petite réception après l’enterrement, qui ne sont pas incluses dans ce prix.

 

José Jacques explique que les Chagossiens ont, pour la plupart, un travail qui ne leur permet pas d’économiser. «Même s’inscrire à un plan funéraire est impossible avec ce que nous touchons ici.» De ce fait, les enterrements viennent avec un double problème. Outre la perte d’un être cher, il faut trouver cette somme colossale pour que le mort soit enterré dignement. Des collectes, des emprunts par-ci par-là, voire l’organisation de jeux pour la récolte de fonds… ils ont tout fait pour pouvoir enterrer dignement leurs proches.

La situation devient pressante, surtout avec le vieillissement de la communauté. C’est pour cette raison que la demande d’un Funeral Grant a été formulée à plusieurs reprises. Elle a été rejetée à chaque fois, mais le groupe ne baisse pas les bras.

Le passeport

Autre cliché qui colle à la peau des Chagossiens : ils ont accepté le passeport des Britanniques. Mais cette affaire n’est pas si simple. Elle a causé la déchirure de plusieurs familles. La nationalité britannique n’est pas un droit acquis pour tous. La prochaine déchirure familiale est prévue ce vendredi, lorsque la petite-fille et l’arrièrepetite-fille de Rosemonde Désiré se feront expulser.

Les natifs et leurs enfants ont droit au passeport britannique, mais la troisième génération non. Cette proche de Rosemonde Désiré est venue en vacances, a rencontré quelqu’un et est tombée enceinte. Sauf qu’à la naissance de son bébé, le bureau de l’immigration n’a pas voulu l’enregistrer comme citoyen britannique mais mauricien, vu que la mère est Mauricienne. «Kan zot inn dir li kot zanfan la inn né, lin dir lopital Redhill. Lerla zot inn dir li li pa kav in né Redhill, lin bizin né Moris akoz li Morisien», raconte Rosemonde Désiré. Elle non plus n’a pas compris la logique administrative. Après quelques semaines de bataille, elle a laissé tomber et a accepté sa lettre d’expulsion. La petitefille de Marie-Orange Jacques, elle, se retrouve toujours à Maurice alors que toute sa famille réside en Angleterre.

Mais même ceux de la première génération n’ont pas automatiquement la nationalité. Si le père est natif des Chagos et qu’il est seul avec un enfant, il n’y a aucun problème. Cependant, si la mère est Chagosienne de la première génération et est célibataire ou pas mariée, son enfant n’aura pas droit au passeport. De ce fait, plusieurs enfants de la première génération se retrouvent bloqués à Maurice alors que leurs parents sont en Angleterre.

Le CIM estime que tous les descendants des Chagossiens dont la famille est établie au Royaume-Uni doivent avoir droit à la nationalité. Selon eux, il n’est pas normal qu’un gouvernement fasse expulser tout un peuple et, par la suite, continue à diviser les familles.