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Exil (partie III): Maurice vs Royaume-Uni
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Exil (partie III): Maurice vs Royaume-Uni
Jeunes et moins jeunes sont unanimes : la vie est meilleure pour les Chagossiens en Angleterre. Cependant, les natifs de l’archipel sont pour un retour mais avec des conditions attachées. Idem pour la jeune génération, qui est prête à tout recommencer…
Faceà toutes ces adversités, pourquoi rester en Angleterre ? Est-ce que Maurice n’est pas mieux ? Non, répondent tous les membres du Chagos Islanders Movement (CIM). L’explication se tient en un mot : la discrimination.
Le porte-parole, José Jacques revient sur le rap- port d’Affirmative Action et les recommandations des Nations unies sur la discrimination persistante envers la communauté créole. Selon lui, le problème ne date pas d’hier, et concerne toutes les générations. Par exemple, deux de ses nièces avaient toujours des «F» à l’école à Maurice. En Angleterre, elles ont terminé leurs études. Aujourd’hui, l’une est dans la police et l’autre est hôtesse. «Moris, nou bann zanfan ti pe al lekol ZEP (NdlR : zone d’éducation prioritaire). Pa ti ena swa. Ek laba, pa pran kont mem sa.»
Même son de cloche chez Isabelle Charlot, la présidente. Elle est née à Roche-Bois et a connu la discrimination dans toutes les sphères de sa vie. «Isi, monn gagn enn labours pou al fer letid. Moris, zame mo ti pou gagn sa sans-la.» La jeune génération a davantage de chances d’avancer car le Royaume-Uni est un pays qui donne la chance à tout le monde s’ils ont des capacités. «Pa bizin kamarad ar minis pou travay lopital», laisse échapper le porte-parole du groupe. D’ailleurs, une bonne partie des Chagossiens travaille à l’hôpital ou à l’aéroport en Grande-Bretagne.
Pensions et maisons
Puis, il y a la pension aussi. Certes, elle n’est pas énorme et ne permet pas à l’ancienne génération de vivre à l’aise, mais c’est toujours plus que ce qu’ils toucheraient à Maurice. «On peut au moins manger convenablement. À Maurice, tout est cher. Comment ferions-nous avec la pension de Rs 5 000 ?» se demande Marie-Orange Jacques. De ses souvenirs, une boîte de sardine et un pot de nourriture pour bébé coûtaient plus de Rs 200 lors de son dernier voyage, il y a quelques an- nées. Il aurait été impossible de vivre.
Surtout, à Maurice, elle n’est même pas sûre qu’elle aurait eu une maison. Là, au moins, elle a un toit et mange à sa faim sans se sou- cier du lendemain ou du mauvais temps. C’est qu’elle en connaît, des Chagossiens à Maurice, qui craignent la pluie car leurs maisons sont à Camp Manna ou d’autres endroits similaires. Pour elle, même les anciens n’ont pas eu droit à une maison, les démarches n’aboutissent jamais et en cas de cyclone, c’est toujours un calvaire… (En fait, deux cités et des morcellements ont été créés pour les familles chagossiennes, à Pointe-aux-Sables et Baiedu-Tombeau).
Depuis qu’ils ont débarqué à Maurice jusqu’à leur départ pour l’Angleterre, ces natifs et leurs enfants affirment qu’ils n’ont «jamais rien eu du gouvernement mauricien». Ni pension, ni maison, ni travail, ni même une chance de faire leurs preuves. (Il y a eu des compensations et l’Îlois Trust Fund Board, cependant).
L’exemple flagrant, selon Jean-Paul France, est le port. Selon lui, lorsque le travail était dur à l’époque, le gouvernement avait fait appel à eux. Certains y ont laissé leur jeunesse, d’autres sont deve- nus handicapés. Aujourd’hui, «kan travay-la inn modernize, zis bizin pez bouton, zot rod zot fami. Ena pran bis dezertan pou travay lepor alor ki nou, nou res a kote lamem, pa gagnn travay laba.»
De toute façon, la nationalité, estime Isabelle Charlot, est utilisée par les Chagossiens de la jeune génération pour continuer le combat, chose qui n’aurait pas été possible à Maurice. La génération des natifs aurait certes eu des reven- dications, mais le combat aurait pris fin avec eux. La jeune génération, qui aurait toujours été défavorisée, n’aurait pas compris son histoire, le drame que cela a représenté et ce qu’il faut faire pour récupérer la terre ancestrale.
«Ek mem bann travay ki nou ti pou gagne ti pou bann travay dernie grad. Zame nou ti pou avanse. Isi, mem dousma, nou pe avanse et bann zenn ena konesans pou kontinie apre nou», tient à rajouter José Jacques. Donc, en Angleterre, tout n’est pas rose, mais à Maurice, tout aurait été noir.
Base militaire
La base militaire peut rester sur place. C’est la position de Maurice sur la récupération de l’archipel qui a été encore une fois réitérée devant la Cour internationale de justice (CIJ), début septembre. Cette position ne fait pas l’unanimité au sein de la population chagossienne.
D’une part, José Jacques affirme qu’il n’y a pas eu assez d’explications sur les auditions. «Il faut que les gens comprennent que c’est un avis consultatif de la CIJ et que, par la suite, il y aura des né- gociations.» D’ailleurs, il a dû expliquer aux natifs, à plusieurs reprises, que non, en mars, lorsque la CIJ va se prononcer, cela ne voudra pas dire qu’ils obtiendront le droit de retour.
Comme tous les membres du CIM, il a l’impression que l’histoire et la douleur des Chagossiens ont encore une fois été utili- sées pour avoir plus de poids lors des auditions, et que ces derniers y ont participé sans comprendre les dessous de l’affaire. La première fois, ils ont été la monnaie d’échange pour l’Indépe dance et cette fois-ci, l’histoire va se répéter. Ils ont été utilisés et n’auront rien de la part du gouvernement si jamais l’avis consultatif est favorable.
C’est justement pour comprendre ce qui se passait devant la CIJ que plusieurs membres de la communauté, dont Louis Bouchary, avaient fait le déplacement jusqu’à La Haye. Ce déplacement leur avait coûté 1 700£ (Rs 76 000), somme qu’ils ont amassée sur plusieurs mois. «Nous voulions savoir ce qui se discutait car il s’agit de nous. Pas de Maurice ni de l’Angleterre, mais des Chagossiens.» Devant la cour, lorsque l’accès lui a été refusé, il s’était enchaîné pour sensibiliser la population hollandaise sur ce qui se jouait devant les juges ce jour-là.
Droit de retour
Le fait que Maurice accepte la présence de la base militaire ne fait rien pour les rassurer. Cette mesure ne passe pas chez les natifs. «Ou krwar Amerikin-la kouyon li ? Li ena so baz atomik laba, li pou met mwasi laba ? Apres,si ena enn teroris laba, li pou vinn sov mwa li ? Non. Be ki retourne ?» fustige Felicity Velou. Comme tous les natifs, retourner sur l’archipel ne fait pas partie de ses projets d’avenir. «Laz nou ena la, bannla pou aranz pansiona pou met nou dan bor lamer ? Nou pena laz pou travay aster», disent les natifs, d’une seule voix.
Entre les travaux manuels qui les ont épuisés dans leur jeunesse et le stress de toutes leurs pérégrinations, cette génération est usée. Tout recommencer à zéro une troisième fois leur semble une épreuve qu’ils ne pourront surmonter. De toute façon, ils ne croient pas au droit de retour. C’est «le même gouvernement qui les a trahis dans le passé», et ils ne peuvent pas concevoir que maintenant, il se batte pour eux.
Ce n’est pas pour autant que le CIM ne re vendique pas le droit de retour. Le porte-parole a un discours plus tempéré. Selon lui, si le gouvernement négocie un bail pour 20 ans avec les ÉtatsUnis, ce sera 20 ans d’attente que les Chagossiens auront de plus et, pendant ce temps, les natifs auront tous disparu.
Il est donc primordial de connaître le plan que le gouvernement prévoit pour leur installation avant de croire au relogement. Quant à la nouvelle génération, il n’y a pas de doute : le retour est son droit car c’est sa terre ancestrale. Renoncer à la nationalité ne posera pas de problème à ces jeunes.
Oui, mais retourner pour y faire quoi ? «Reconstruire et s’installer», répond Jean-Paul France. La jeunesse est formée pour affronter une île quasiment vide. D’ailleurs, il va même plus loin en affirmant qu’aujourd’hui, le groupe de Chagossiens a toutes les compétences nécessaires pour gérer l’île de manière autonome, comme c’est le cas à Rodrigues.
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