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Carl de Souza: «L’école et les parents ne se font plus confiance»

14 octobre 2018, 16:00

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Carl de Souza: «L’école et les parents ne se font plus confiance»

Jeudi, Carl de Souza lançait «L’année des cyclones», son sixième roman. Ce que l’on sait moins, c’est que l’écrivain est aussi, depuis un an et demi, le conseiller de Leela Devi Dookun-Luchoomun, la ministre de l’Éducation. Et si ce n’est pas encore la saison cyclonique, c’est déjà celle des examens.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec la ministre de l’Éducation ?
Elle, d’abord. C’est une amie de longue date, nous avons été collègues pendant vingt ans au collège du Saint-Esprit. Et puis, ce poste me ramène à mes premiers amours : l’éducation. C’est en moi depuis toujours (NdlR, il a enseigné et été recteur du collège Saint Mary’s).

À 69 ans, la vie de retraité ne vous intéresse pas ?
J’y ai goûté un an après mon départ du groupe Eclosia (NdlR, où il était responsable du département arts et culture jusqu’en 2016). J’en ai profité pour écrire deux livres et mener une réflexion personnelle. Et puis un jour, on m’a proposé deux missions : siéger sur le board du MGI et m’occuper à plein-temps, ici, au ministère, des élèves en difficulté au sortir du primaire. J’ai longuement réfléchi et j’ai accepté les deux.

Réfléchi à quoi ?
Je me suis dit : «Qu’est-ce que tu veux faire de ta retraite ? Te la couler douce – écrire, faire de la musique, rencontrer des gens – ou aider, être socialement utile ? ». J’ai choisi la deuxième option.

Conseiller, c’est aider ?
C’est comme ça que je le vois. Aider à y voir clair, à prendre la meilleure décision possible. Un ministre, c’est quelqu’un d’ultrasollicité avec un agenda démentiel. Mon rôle est aussi de créer des temps d’échanges où l’on se pose pour réfléchir et agir.

En quoi consiste précisément votre mission ?
Chaque année, trois mille enfants arrivent en fin de primaire sans avoir acquis les compétences de base. L’objectif est de les reconnecter aux savoirs et à l’école. Pour y parvenir, on a plusieurs outils : l’accompagnement individualisé par des «facilitateurs», le découpage des apprentissages en petits blocs de compétences, le développement de projets sportifs ou artistiques, les communautés de pratique, etc.

Ce dernier dispositif est mal connu.
Des établissements se regroupent à trois ou quatre pour partager leurs expériences et trouver des solutions ensemble. Notre philosophie repose sur deux idées. La première, c’est que les plus faibles ont des besoins plus forts, d’où des moyens plus conséquents. La deuxième, c’est qu’il n’y a pas de solution miracle ni de réponse unique. Contre décrochage scolaire, la concertation est la clé. Le plus souvent, c’est l’histoire d’un rendez-vous raté entre un enfant, parfois momentanément fragile, et une institution, souvent démunie face à l’échec. Le but est de se reconnecter les uns aux autres.

Et ça marche ?
Je constate de réels progrès. Le modèle de réussite est en train de changer. Hier, il était élitiste, aux dépens des autres, l’école devait fabriquer des champions. On va vers un système plus englobant où chacun peut trouver sa place. Il y a une chose qu’il faut bien comprendre : s’occuper des plus faibles profite à l’ensemble de la communauté scolaire, y compris aux meilleurs. C’est pour moi le signe d’une société civilisée.

En attendant, l’échec scolaire est vécu comme une grande souffrance.
C’est d’abord l’échec des «éducateurs» et les premiers sont les parents. Je ne leur jette pas la pierre, ils font face à des enjeux nouveaux et puissants, comme les écrans. Certains ne savent plus dire non et culpabilisent s’ils le font. Pourtant, dire non c’est structurant. Ça pose des limites, c’est rassurant. Une autre difficulté est que l’école et les parents ne se font plus confiance. Ils doivent se réconcilier, c’est fondamental. Comment ? En réalisant que la famille et l’école sont complémentaires. L’un contre l’autre, ça ne peut pas marcher. L’un avec l’autre, tout est possible. L’école n’a pas la science infuse. Elle n’a pas et n’aura jamais toutes les réponses.

Qu’est-ce qui a abîmé le lien entre les parents et l’école ?
Sans doute beaucoup de choses. Il y en a une très hypocrite : les parents sont demandeurs de fermeté, mais pas contre leurs enfants, sinon ils gueulent. Comme si les principes réclamés pour tous ne s’appliquaient à eux. Cette posture démontre que l’enfant-roi n’est pas descendu du trône.

Quand un intellectuel rejoint un ministère, on a tendance à se dire un peu bêtement : «Il est passé à l’ennemi.»
C’est ce que je me disais aussi. Aujourd’hui, je vois les choses un peu différemment. Quand on vous donne des outils pour faire des choses intéressantes et utiles, pourquoi refuser ?

Quel a été votre pire conseil ?
(Il réfléchit longuement en se resservant du café) C’est un conseil que je n’ai pas donné, ou alors trop tardivement. Celui de se concentrer sur l’essentiel, sur le cap politique à donner, les décisions stratégiques. La peccadille, à Maurice, est rapportée au plus haut niveau. Ça encombre, ça ralentit. Ce n’est pas le rôle d’une ministre de gérer les petits incidents du quotidien. Il y a d’autres autorités pour cela. 

Comme romancier, vous préférez suggérer que dire…
Comme conseiller, c’est différent. Avec la ministre, on koz karé karé. Cela donne lieu à des débats très… fertiles.

La ministre ou l’amie ?
Les deux. Aujourd’hui, c’est aussi ma patronne.

Vous avez dit un jour : «Les politiciens sont des gens qui craignent énormément le changement.»
Je le maintiens. Mais ils ne sont pas les seuls craintifs. Nous avons tous, à des degrés divers, peur du changement. Les partisans du statu quo finissent toujours par perdre. Je crois au mouvement.

La fonction publique n’estelle pas tout le contraire, percluse d’inerties ?
C’est une mécanique lourde, qui exige patience et prudence. J’ai un peu buté au départ, puis je m’y suis fait. J’ai découvert des gens extrêmement compétents. La question qui se pose est la suivante : comment libérer les énergies et les esprits créatifs ? Ce n’est pas un problème spécifiquement mauricien : toutes les sociétés cherchent des antidotes à la bureaucratie.

De tous les clichés associés au monde politique, lequel n’a finalement pas lieu d’être ?
Le «tous pourris», «tous incompétents». Je croise énormément de personnes qui se donnent à fond. Je ne dis pas que tout est rose et parfait, je vois aussi des gens qui déconnent complètement et n’ont rien à faire à leur poste, mais c’est loin d’être une généralité.