Publicité
Rencontres: ces hommes de St-Brandon
Par
Partager cet article
Rencontres: ces hommes de St-Brandon
Ils vivent et pêchent depuis des décennies sur le lointain archipel de St-Brandon. Gérard Mootoo fait le va-et-vient depuis 20 ans. Il reste parfois six mois sur l’île. Richard René a, lui, quitté femme et enfants à Maurice depuis 27 ans. Nous avons légèrement troublé leur paisible quotidien lors d’un voyage sur leur paradis, à la mi-octobre. Mais pas autant que les tempêtes et les cyclones.
Ti Gérard, fan de telenovelas
Jeudi après-midi sur l’île du Sud. Alors que le soleil entame sa lente descente vers l’horizon, que les oiseaux marins s’assoupissent peu à peu sur les veloutiers qui tapissent la plage, Ti Gérard est, lui, bien debout. Vêtu d’un T-shirt à rayures et d’un bermuda bleu marine, il nous attend. Il a été prévenu de notre visite. «Ki kestion zot pou poz mwa la ? Pou télévizion ouswa radio ?», s’empresse-t-il de nous demander, un tantinet nerveux.
Ce n’est pas tous les jours qu’il reçoit la visite de journalistes. Une fois rassuré, Gérard Mootoo, de son vrai nom, nous propose à chacune un rafraîchissement, avec une hospitalité naturelle. Nous acceptons volontiers. Quelques minutes plus tard, il arrive avec deux verres de jus à la main. Nos équipements installés, Ti Gérard s’installe sur une pirogue renversée sur la plage. Alors que les rayons dorés de cette fin d’après-midi tapissent le rivage et sa fine silhouette, Ti Gérard nous raconte sa vie sur ce lointain archipel, en toute simplicité.
Le pêcheur connaît l’archipel comme sa poche. «Cela fait 20 ans que je travaille ici», raconte le quinquagénaire, qui fait le va-etvient. S’il a de la famille à Maurice, le pêcheur confie ne pas avoir beaucoup d’attaches, étant veuf et sans enfants depuis plusieurs années. Il lui arrive de rester trois mois sur l’île, parfois six.
Vivre loin de tout ne lui fait pas peur, bien qu’il ait été témoin de nombreuses tempêtes, même du naufrage d’un bateau sur les récifs de l’île du Sud. «Ici, l’air est pur, tout est calme, la mer est remplie de poissons.» Quant aux «makwa» et «zwazo lavierz», soit deux espèces de sternes, Ti Gérard leur voue admiration et respect. «Zwazo lavierz kan ou trap li, tou déswit li plonz dan délo. Koumadir ou’nn sal li !» s’amuse-t-il dans un éclat de rire.
Alors que le soleil disparaît peu à peu sur la mer, Ti Gérard se livre à des confidences. «J’aime beaucoup regarder la chaîne 29 sur Canal Sat.» Soit Novelas TV, chaîne dédiée aux telenovelas, qu’il suit grâce à l’antenne satellitaire installée sur l’île en guise de distraction. Sa série du moment : Fatmagul, qu’il suit religieusement chaque après-midi ; ainsi que Marina, qui passe actuellement sur Novelas TV. Des séries qui lui tirent souvent une larme. C’est que le pêcheur a le cœur sensible.
Souhaiterait-il quitter St-Brandon un jour et revenir s’installer à Maurice pour de bon ? «Si on m’offre un bon travail, pourquoi pas ?» répond-il, le regard tourné vers l’horizon, comme si rien ne pouvait éteindre l’âme du pêcheur. Difficile de briser l’enchantement engendré par la quiétude de ce petit coin de paradis.
Richard René, plus d’un quart de siècle à pêcher
Mercredi, 16 octobre. Assis sur le perron d’une maison en dur sous tôle, dotée de grands volets bleus, un homme, grand et maigre, grille une cigarette. Richard René, au seuil de la soixantaine, fait partie des 30 résidants, pour la plupart des pêcheurs de Raphaël, l’une des deux seules îles habitées à St-Brandon et la plus peuplée. Comme chaque après-midi, c’est l’heure de se relaxer. Une douche, une sieste, puis la télé.
De peintre à Maurice, Richard René est devenu pêcheur pour Raphaël Fishing en 1991, après une offre «intéressante» d’un ami. Avant de s’installer à Raphaël, il a passé six mois sur Cocos. Sa journée, tout comme celle des 25 autres pêcheurs dans l’île, démarre à 4 heures du matin. Après avoir avalé un café et préparé son déjeuner, sa journée de pêche, à bord de sa pirogue, peut démarrer.
«Il nous arrive de prendre plus de 200 kilos de capitaine, de berry et de babone par jour.» Pas de chambre froide ici. «Pou ki pwason pa gaté», ils sont embarqués sur les deux bateaux qui font le va-et-vient à tour de rôle entre St-Brandon et Maurice. Une partie des prises, poursuit-il, sert à la consommation des résidants.
Pas de médecin non plus. «Nous avons notre pharmacie avec tous les médicaments.» D’ailleurs, il nous apprend qu’il y a rarement des malades. «Nou manz bokou natirel isi.» Par contre, en cas d’urgence, le protocole est clair. «Bourzwa inn dir met lor bato al Moris.»
Sinon, à Raphaël, la communauté des pêcheurs a droit à un poste de télé dans une TV Room commune. «Nous avons les chaînes satellitaires ainsi qu’un lecteur de DVD. Moi, je vais normalement me coucher après le journal télévisé et la météo.»
S’il ne regrette pas le choix de métier qu’il a fait, Richard René avoue que la vie n’est pas toujours rose. À titre d’exemple, il n’oubliera pas de sitôt le passage du cyclone Bansi, en 2015, qui avait fait d’énormes dégâts. «Koray ti mont lor zil, bann zarb ti tonbé, la maré ti monté. Avek katastrof natirel, nou pa kapav koné ki pé atann nou.»
Richard René rejoindra sa famille pour les fêtes, fin décembre. Avant de reprendre la mer, pour une énième campagne de pêche sur Raphaël. Il se donne encore cinq ans «si éna kouraz» pour faire ce métier.
Publicité
Les plus récents