Publicité

Audiovisuel: deux radios commandos pour les prochaines législatives ?

1 décembre 2018, 21:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Audiovisuel: deux radios commandos pour les prochaines législatives ?

L’entrée en opération est annoncée pour mai ou juin 2019, coïncidant avec la campagne électorale. First Talk Limited et Mayfair and Purely Communications Ltd ont obtenu des licences jeudi pour opérer deux nouvelles radios privées. Depuis, l’indépendance de ces nouvelles radios fait débat. Avec les prochaines législatives, deviendront-elles des radios commandos, dont le seul but sera de défendre les intérêts du gouvernement face au public ?

Dans la perspective d’une élection générale, il n’est pas interdit de penser que le gouvernement est en train de consolider son outil de communication, estime Finlay Salesse. «C’est un enrichissement de la propagande», déclare-t-il.

Le rédacteur en chef de Radio One ajoute qu’en termes d’auditeurs, il n’a pas l’impression que ces deux opérateurs vont puiser dans «nos réservoirs» mais dans ceux des opérateurs proches du pouvoir. «Je me réjouis d’être totalement indépendant et d’être resté à égale distance avec le gouvernement et l’opposition. Une ligne éditoriale indépendante comme en témoignent toutes les prises de position.»

Pour sa part, Bernard Delaître, directeur général adjoint du Mauricien, dont la demande de permis n’a pas été retenue, s’est abstenu de tout commentaire. «Pas de déclaration pour l’instant.»

Au public de choisir

Pour un autre professionnel de la radio, si l’octroi des nouvelles radios suscite des débats et controverses sur la façon dont les permis ont été délivrés, ce sera au public de choisir, de décider et de tirer des conclusions. «Est-ce que ce seront des radios indépendantes ou des clones complaisants de la MBC, à la solde du pouvoir ou du gouvernement en place ?» Selon lui, les Mauriciens ont atteint un degré de maturité. «C’est très difficile pour un médium d’information de venir les convaincre aveuglément. Une radio privée doit donner satisfaction d’abord au grand public.»

Ce professionnel rappelle que la mission première d’une radio privée est d’informer, d’éduquer et de distraire. «Une radio de parti n’est pas crédible. Les gens intelligents peuvent facilement déterminer entre information, objectivité et propagande.» Cependant, il affirme qu’il ne faut pas se voiler la face, car il est certain que ces radios peuvent avoir de l’influence directement sur l’électorat, surtout si elles organisent par exemple des concours en utilisant de grands moyens et offrent des prix alléchants chaque semaine comme certaines radios le font en Europe. Or, il rappelle que la presse propagande n’a jamais été en tête de liste dans les sondages. «Les gens préfèrent la presse indépendante.»

L’opposition elle aussi a fustigé la décision de l’Independent Broadcasting Authority. Dans l’édition de l’express d’hier, Xavier-Luc Duval, leader du Parti mauricien social-démocrate et chef de file de l’opposition, affirme que la venue de ces deux nouvelles radios va affecter les «free and fair elections» car il y a déjà les chaînes de la station de radiotélévision. Navin Ramgoolam, chef du Parti travailliste, abonde dans le même sens. «À la veille des élections, c’est suspect d’octroyer des licences à deux groupes proches du pouvoir. La Mauritius Broadcasting Corporation, Radio Plus et Top FM font déjà de la propagande gouvernementale.»

Trilock Dwarka, ancien directeur de la Mauritius Broadcasting Corporation, a, quant à lui, une tout autre lecture. «Il est difficile de faire de procès d’intention sans connaître le contenu de leurs émissions politiques. Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’avoir des appréhensions.» Selon lui, les deux nouveaux opérateurs vont vite être sanctionnés par le public dès qu’il sera clair qu’ils affichent une couleur politique précise.

«À Maurice, il y a l’audimat pour des sondages. Il y a un phénomène de zapping.» Il considère que les deux radios privées ont un gros travail à fournir, soit proposer des programmes innovants, attirants qui seront suivis par les auditeurs. Selon lui, Maurice est dans un paysage de foisonnement de radios. «Il y a une diversité d’offres radiophoniques.»

L’appartenance politique toujours un critère de sélection ?

Depuis l’annonce de l’octroi de licences à deux radios privées, l’évocation d’un lien politique ne cesse de revenir sur le tapis. Si le président de l’Independent Broadcasting Authority (IBA) n’a pas donné suite à nos appels, l’on a sollicité un ancien membre de cette instance pour avoir un éclairage sur l’attribution des licences. Ce dernier, qui a voulu garder l’anonymat, confie que le critère de proximité avec un parti politique a toujours primé sur les autres critères. «En 2001, avant que la licence ne soit attribuée aux trois radios privées, cela a déjà été le cas. Un ministre actuel a même plébiscité le dossier d’une de ces radios.» Il a aussi parlé de lien entre l’un des propriétaires et le gouvernement actuel. «Donc, rien n’a changé…»

Brève étude

Il est d’avis qu’il aurait dû y avoir plus de transparence lors des auditions des 17 demandeurs. «Le public aurait dû avoir la permission d’assister à ces auditions.» Il trouve également que le temps attribué à l’étude des dossiers était très bref. «Généralement, cet exercice prend plus de temps. Pour une présentation, il ne faut pas compter deux heures mais beaucoup plus. Quant à l’étude du dossier, il faut penser que cela se fera entre deux et trois jours.»

Autre question qui reste posée est de savoir si l’IBA possède suffisamment d’équipements pour surveiller toutes ces radios, les présentes et les futures. «Est-ce que l’infrastructure est déjà en place ? Par contre, je pense que les fréquences ont déjà été identifiées.» Il confie qu’il y a au moins une dizaine de personnes qui sont responsables du monitoring des radios au quotidien. Ces derniers devront à présent ajouter deux autres chaînes à leur enregistrement.

Libérer les ondes

En 2002, avec l’avènement des radios privées, le public mauricien a eu l’occasion de s’exprimer plus librement. Les auditeurs ont à présent la chance de faire entendre leur voix sur tous les sujets d’actualité passant de la politique à la vie quotidienne.

Ils se sentent aussi plus proches des animateurs qui deviennent du coup plus accessibles. Les radios font plus de sorties sur le terrain à travers des concerts, des ouvertures de boutiques entre autres et de ce fait, elles essayent de tisser un lien étroit avec ces auditeurs.

Beaucoup d’auditeurs s’identifient même aux animateurs et présentateurs «stars». Contrairement à la radio nationale, ceuxci peuvent également faire entendre leur voix sur des sujets politiques, aussi bien que sur les sujets tabous.

Portraits

Sunil Gohin, le businessman aux multiples compagnies

La First Media Company Ltd est l’une des deux compagnies à avoir obtenu la licence pour une radio privée. Elle est derrière la publication en ligne progouvernementale Inside News avec Krsna Coopoosamy de Samedi Plus. Qui se cache derrière Radio Pima, dont l’actionnaire et directeur est Chintamanee Gohin, plus connu comme Sunil Gohin ? «So kontak sé Lakwizin», indique-t-on du côté de lepoint.mu. Cette plateforme d’informations en ligne, lancée en mars 2017, a comme directeur Sunil Gonin et l’ex-propriétaire de chevaux reconverti dans le prêt-à-porter de luxe, Paul Foo Kune. En effet, Sunil Gohin est considéré comme très proche de Sherry Singh, Chief Executive Officer de Mauritius Telecom. En 2014, il aurait fait campagne lors des élections générales pour le Mouvement socialiste militant.

Depuis 2011, Sunil Gohin est également propriétaire de Cyberspot Ltd, compagnie qui a obtenu le contrat pour l’installation de la fibre optique en 2015. Selon son compte LinkedIn, depuis 2009 il est le directeur d’Alphobos Co.Ltd, firme basée en Angleterre. Il a également été Project Coordinator de Rogers Call Centre en 1996. Ce que notre source retient aussi, c’est que Sunil Gohin est souvent en déplacement à l’étranger. «Il prend l’avion comme nous prenons le bus.» Des voyages qui, selon elle, sont justifiés par ses nombreux business notamment informatique et électronique. Une autre personne ayant travaillé avec Sunil Gohin le décrit comme étant quelqu’un qui comprend les rouages de la presse. «Me basant sur les conversations que j’ai eues avec lui, je trouve que c’est quelqu’un d’intelligent qui comprend la presse.»

Vedan Choolun, un homme discret

Balkrisha Choolun plus connu comme Vedan Choolun est le président de Mayfair and Purely Communications Ltd. Cette société lancera d’ici mai voire juin 2019 sa radio privée : Star Radio.

Vedan Choolun n’est pas un novice dans le monde de la presse. Par le passé, il a créé plusieurs publications dont Le Journal du Soir sorti dans les années 90. Cette édition n’a pas fait long feu : à peine quelques mois. Il a, par la suite lancé le Sunday Mirror qui n’a non plus pas duré longtemps.

Les journalistes qui ont fait un bref passage dans ces publications ne gardent aucun souvenir du fondateur. «Nous ne l’avons pas rencontré et ces journaux ont fermé aussi vite qu’ils sont apparus», confie l’un des journalistes.

Mais ces échecs n’empêchent pas Vedan Choolun de lancer d’autres publications en Angleterre. Sur sa page LinkedIn, il a même écrit qu’il a été «conseiller auprès de nombreuses entreprises de médias et de divertissement dans le monde entier».

Il a aussi confié qu’il «a été conseiller spécial de partis politiques du monde entier». Il a également créé United Indians Television (UiTV), une entreprise mondiale de médias et de divertissement sur Internet. Son but a été de connecter 30 millions de personnes d’origine indienne. UiTV est propriétaire de Maunews Online. Ce journal en ligne s’affiche comme progouvernemental.

Par ailleurs, Vedan Choolun, âgé de 68 ans et père de deux garçons, se dit toujours selon LinkedIn être un fervent partisan du football et du cricket. Son frère Mahen Choolun est conseiller municipal à Beau-Bassin-Rose-Hill.

Les membres de l’IBA

  • Le Chairman :Me Logendra (Robin) Appaya (photo), Barrister at Law (ancien conseiller au ministère des Terres et du logement)
  • Dheerendra Dabee, Solicitor General
  • Mahmad Aleem Bocus, Chairman de l’Information and Communication Technologies Authority
  • Rooba Yanembal Moorghen, Permanent Secretary du ministère de la Technologie, de la communication et de l’innovation  
  • Rajwantee Ramrukheea, Permanent Secretary du ministère des Arts et de la culture
  • Anirood Pursunon, Deputy Permanent Secretary du bureau du Premier ministre
  • Ushalini Shewraj, Assistant Permanent Secretary du ministère de la Défense et de Rodrigues

Les animateurs peu loquaces

Interrogés sur la présence de ces deux nouvelles radios privées, les responsables des trois radios existantes ne veulent pas se prononcer. Si dans certains milieux, l’on fait comprendre que depuis jeudi après-midi, c’est le «talk of the town», les discussions restent internes. «Nous n’avons pas peur de ces radios. Bien au contraire, elles seront des challenges pour nous. Nous allons pouvoir nous perfectionner et aller vers l’excellence», lâche un animateur.

David Boodnah, Acting Director de la radio nationale, assure que la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) n’a pas «peur» de ces nouvelles radios. «J’ai l’impression que ce sont surtout les trois radios privées qui vont avoir peur de perdre leur audience et leurs recettes publicitaires. Elles sont les plus vulnérables.» Il concède que le risque de perdre quelques auditeurs est présent. «Cette concurrence nous permettra de nous améliorer.»

Par ailleurs, David Boodnah souligne que la MBC va apporter une nouveauté l’année prochaine. «Nous sommes sur un projet qui est en phase de se concrétiser.» En tout cas, selon les bruits de couloirs, les radios privées ne comptent pas se laisser marcher dessus. Et une contre-attaque se dessinerait déjà.

NRJ : une audience plus présente que jamais

Cela fait exactement 201 jours soit 6 mois et 18 jours que NRJ Maurice est diffusée. Si, au début, le public se faisait discret, il se fait de plus en plus entendre. C’est le constat de Patrick Lauret, président délégué de la chaîne française. «Il a fallu attendre jusqu’à septembre pour que le format prenne forme. Je peux dire que nos auditeurs ont fait la part des choses. Il y a ceux qui veulent écouter l’actualité et ceux qui veulent s’aérer l’esprit.»

Patrick Lauret est satisfait des retombées du dernier trimestre en termes d’audimat. «Pendant deux semaines, notre équipe est allée à la rencontre de nos auditeurs et nous leur avons offert le petit déjeuner. Leur présence a été rassurante.» En ce qui concerne la venue des deux nouvelles radios privées, Patrick Lauret se dit nullement inquiét. «Ces radios généralistes vont surtout cibler les autres radios.Et l’on ne se sent pas menacé.»