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Jean Claude de l'Estrac: «L'abolition du Best Loser System pas dans le programme électoral de 1982»

12 décembre 2018, 20:30

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Jean Claude de l'Estrac: «L'abolition du Best Loser System pas dans le programme électoral de 1982»

«Jugnauth-Bérenger, Ennemis intimes». Jean Claude de l’Estrac a lancé, lundi, son quatrième tome consacré à l’histoire de Maurice. L’ancien ministre et diplomate revient sur la période 1982 à 1995 dans l’interview qui suit. Il explique aussi pourquoi le gouvernement MMM-PSM n’avait pas aboli le Best Loser System après le 60-0 de 1982.

On commence à partir de 1982… Avec le recul, pensez-vous que le MMM aurait dû présenter Paul Bérenger comme candidat au poste de Premier ministre ?
Difficile à dire ! Paul Bérenger, face à sir Seewoosagur Ramgoolam, même en fin de règne travailliste, cela me paraît une mission impossible. Bérenger, lui-même en tout cas, alors qu’il était déjà un leader immensément populaire, plus reconnu qu’Anerood Jugnauth, a considéré qu’il ne devait pas aspirer à la magistrature suprême.

On ne refait pas l’Histoire, mais peut-être a-t-il raté le tournant de sa vie par manque de confiance en soi, ou peut-être est-ce son extrême sensibilité aux équilibres ethniques qui lui a dicté ce renoncement. Il l’a fait pareillement, lors de l’élection partielle de Pamplemousses-Triolet en septembre 1970, et là, pas de doute, il aurait été élu, et l’histoire politique de Maurice aurait changé ! (NdlR, cette partielle vit l’élection du mauve Dev Virahsawmy, un an à peine après la création du MMM.)

Avec l’arrivée au pouvoir de l’alliance MMM-PSM, de grandes réformes sont enclenchées. La Constitution est modifiée pour rendre obligatoire les élections générales chaque cinq ans. Pourquoi n’avoir pas éliminé le Best Loser System à cette époque ?
Parce que la proposition ne figurait pas au programme électoral. Bérenger, en plein débat sur la question aux lendemains de la victoire de juin 1982, a publiquement regretté cette omission. Il l’aurait probablement fait mais Jugnauth, le nouveau Premier ministre, malgré les pressions des backbenchers MMM à ce sujet, entendait respecter à la lettre le programme publié.

En mars 1983, Paul Bérenger est présenté comme Premier ministre et Harichand Bhageerutty comme président de la République (en cas de majorité permettant de modifier la Constitution en ce sens). Peut-on parler aujourd’hui d’une erreur de stratégie ?
Je ne vois pas en quoi. Sauf qu’en 1983, Bérenger sera la victime d’une campagne injuste et raciste menée par Anerood Jugnauth, Harish Boodhoo et consorts. Injuste parce que Jugnauth le rend seul responsable de toutes les mesures difficiles et impopulaires prises dans le Budget de 1982, par contrainte, annoncées et défendues par Bérenger, alors ministre des Finances. Ces mesures d’austérité, imposées par le Fonds monétaire international, avaient été validées par tout le Conseil des ministres. Elles ont sauvé le pays de la banqueroute et jeté les bases de la reprise économique. Mais elles ont durablement affaibli le MMM, forcé, par les circonstances, de faire au pouvoir le contraire de ce qu’il avait promis.

«Deux bêtes politiques qui ont une attraction l’un pour l’autre mais dont les tempéraments sont aux antipodes.»

Raciste, parce que Bérenger est dépeint alors comme le suppôt de l’oligarchie blanche, car il est blanc de peau. Apparemment, Anerood Jugnauth ne l’avait pas remarqué pendant ses dix années au MMM… Il est remarquable que malgré cette campagne, la plus malsaine de notre histoire politique récente, le MMM parvient à récolter 46 % des suffrages aux élections législatives.

Est-ce que le MMM avait sous-estimé la capacité d’Anerood Jugnauth à se maintenir au pouvoir ?
Oui, sans aucun doute ! Le MMM a sous-estimé la résilience de Jugnauth, son appétit pour le pouvoir, y compris en contractant des alliances totalement inattendues, avec le PMSD par exemple. Lindsay Rivière a parfaitement résumé la situation, dans le texte qu’il a fait à l’occasion du lancement de son livre. Il explique – je le cite : «Sir Anerood Jugnauth aime l’exercice du pouvoir. Il est prêt à tout pour le conserver afin de pouvoir agir sur le cours des choses. Paul Bérenger, lui, est fondamentalement un guerrier qui aime surtout la conquête du pouvoir. Sa plus grande motivation, il la trouve dans l’attaque de la citadelle. L’ayant conquise, il se lasse et s’en va chercher d’autres combats.» Je ne saurai mieux dire.

Qu’est ce qui explique que malgré les nombreux scandales, surtout avec les affaires Amsterdam Boys et Pak Pak, le MMM perd encore une fois les élections, en août 1987 ?
C’est la reprise économique, le pleinemploi, la consommation de masse, le «miracle économique». Mais effectivement, le gouvernement Jugnauth est miné par une pléthore de scandales: la drogue déjà, des affaires de corruption, des démissions en série de ses ministres. Ce qui fait qu’au final, le résultat du scrutin est quand même très serré : l’alliance de Jugnauth remporte les élections avec 49,8 % des suffrages contre 48,1 % à l’opposition dirigée par le MMM.

J’ai toujours pensé qu’une grosse erreur de communication de dernière heure, habilement exploitée par Jugnauth, a peut-être coûté au MMM les deux points de la victoire : c’est quand Prem Nababsing, Premier ministre désigné, qui déclare dans l’express, la vieille des élections, que Paul Bérenger, président désigné, présidera de temps en temps le Conseil des ministres.

Les élections de septembre 1991 voient un retour du MMM aux côtés du MSM. Quelle analyse faites-vous de cette première réconciliation des «ennemis intimes» ?
C’était l’œuvre de ceux d’entre nous qui avaient rêvé d’une «réunification de la famille militante». C’est à cela que nous devions notre démarche. Nous avions été meurtris par la rupture de 1982, et nous voulions, en quelque sorte, réparer l’erreur.

Le 29 novembre 1994, vous démissionnez du Parlement après un défi lancé par Paul Bérenger. Vous regrettez cette décision?
Non, je ne regrette rien… Je n’aurai été, aujourd’hui, qu’un ancien ministre.

Que peut-on dire sur la relation entre Paul Bérenger et Anerood Jugnauth au fil des années ?
C’est ce que je décris dans les 400 pages du livre ! L’histoire de deux bêtes politiques qui ont une attraction l’un pour l’autre mais dont les tempéraments sont aux antipodes. Jugnauth est un écorché vif, il ne faut pas marcher sur ses orteils. Bérenger est un éléphant qui ne regarde pas où il met les pattes.

Les deux leaders qui occupent la scène politique depuis plus d’une quarantaine d’années ont certainement contribué au développement du pays. Mais, sont-ils aussi responsables des travers de la politique mauricienne ?
Vaste sujet! D’abord, de quels travers parle-t-on? Les deux hommes animent la vie politique nationale dans un cadre démocratique plutôt fonctionnelle. Le principal reproche qu’on peut leur faire, c’est de prendre le risque de dépasser leur date de péremption.