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Thierry de Comarmond: «Les pouvoirs publics sont les plus grands destructeurs du patrimoine»
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Thierry de Comarmond: «Les pouvoirs publics sont les plus grands destructeurs du patrimoine»
Après les propos de René Leclézio (directeur général de Promotion and Development Ltd) déclarant: «Cela ne vaut pas le coup de rénover les vieux théâtres», Thierry de Comarmond a souhaité réagir. Pour dire l’essentiel : malgré les démolitions du patrimoine, il ne faut surtout pas baisser les bras. Et enseigner le respect de l’Histoire dès le plus jeune âge.
Vous avez souhaité réagir suivant les propos de René Leclézio, au lendemain de l’ouverture du Caudan Arts Centre. Le mois dernier, il déclarait dans «l’express» : «Cela ne vaut pas le coup de rénover les vieux théâtres.»
Il a aussi dit qu’il n’y a pas de place à Maurice pour deux salles comme le Caudan Arts Centre. C’est comme si Jack Lang (NdlR, ancien ministre français de la Culture), au lendemain de l’inauguration de l’Opéra Bastille, se rendant compte qu’il n’y a pas de place pour deux opéras à Paris, avait fait fermer l’Opéra Garnier.
Ou comme si en 1933, au lendemain de l’inauguration du théâtre du Plaza, le maire de Beau-Bassin–Rose-Hill, se rendant compte qu’il n’y a pas de place pour deux théâtres à Maurice, avait demandé à son collègue de la capitale la fermeture du théâtre de Port-Louis, bâti 103 ans auparavant.
Le Plaza et le théâtre de Port-Louis sont en cours de rénovation. À Rose-Hill, cela a commencé il y a plus de dix ans maintenant, avec des financements de l’État. La Fondation Plaza, dirigée par Armand Maudave et Gérard Maujean…
…dont vous faisiez partie…
Ils m’ont demandé mon assistance technique en tant qu’architecte, pour la première phase de la rénovation : la toiture. Pendant un an, nous avons travaillé dessus, assurant bénévolement la maîtrise d’ouvrage. Jusqu’à présent, tout a été fait dans les règles de l’art.
N’en déplaise à M. Leclézio, il va falloir se partager le marché entre les trois salles. Il est évident qu’on ne demande pas aux municipalités d’être des promoteurs de théâtre. Ce sont des facilitateurs. J’ai trouvé assez méprisant de dire que les mairies n’ont qu’à réparer les trottoirs, mieux éclairer les routes et renforcer la sécurité.
«Ceux qu’il faut prendre en premier, ce sont les écoliers, les instituteurs, sensibiliser tout le secteur éducatif. Si on veut avoir un jour un Premier ministre conscient de la valeur du patrimoine, ce sera quelqu’un qui sortira de cette école-là.»
Mais vous êtes de ceux qui pensent que le secteur privé gère mieux le patrimoine que l’État, non?
Tout à fait. Il n’y a qu’à voir le Château Labourdonnais, le Domaine des Aubineaux, la demeure Saint-Antoine, Eureka, le Caudan Waterfront. À bien y voir, les pouvoirs publics sont les plus grands destructeurs de notre patrimoine. Prenez l’ancien marché de Curepipe, l’Imprimerie du gouvernement, l’école Beaugeard, la School. Dans tous ces cas, les pouvoirs publics ont violé les lois qu’ils ont proclamées.
Dans le cas qui nous intéresse, c’est le promoteur privé qu’est le Caudan Waterfront qui ne se soucie pas de l’avenir de deux patrimoines des plus importants. Cela est d’autant plus étonnant que dans la réalisation de sa première phase, le Caudan a été exemplaire dans la protection, la rénovation et l’intégration de tous les patrimoines existants sur le site.
Exemple, Maurice Giraud avait fait démonter et remonter le bâtiment de l’actuel food court du Caudan. Il y a aussi le bâtiment d’IBL. Tout le rez-de-chaussée est en pierre taillée, les étages ont été posés dessus. Ceci dit, il ne faudrait pas tout concentrer sur le Caudan.
Expliquez-nous votre raisonnement.
Il ne faut pas laisser mourir le centre-ville de la capitale, pour deux raisons. D’abord, il y a une saturation du Caudan. C’est visible à l’œil nu. Prenez l’espace du ruisseau du Pouce et du pont. Tout cela a été bouché par le parking et la salle de spectacle. C’est une énorme masse de béton que l’on voit désormais.
Déjà que la deuxième phase du Caudan était assez présente. Avec les nouvelles constructions sur la place du Quai, on a refermé la fenêtre qu’on a sur la mer. Elle n’était déjà pas très large, pour une ville côtière. Si cela continue, on va se retrouver avec un petit couloir de trois mètres de large derrière la statue de sir Seewoosagur Ramgoolam, ouvert sur la mer.
Vous vous êtes aussi intéressé à l’actionnariat du Caudan, où figurent des défenseurs du patrimoine.
La Mauritius Commercial Bank, principal actionnaire du Caudan, est depuis un siècle l’un des plus gros collectionneurs et mécènes de la peinture mauricienne. Elle en fait profiter le public avec le Blue Penny Museum.
Si vraiment le Caudan n’a pas besoin de rentabiliser le milliard de roupies qu’il a investi dans son Arts Centre, tant mieux. Les théâtres municipaux ne sont pas «profit-making». Mais il faudrait au minimum qu’ils génèrent suffisamment d’argent pour leur entretien.
Pensez-vous que désormais les mairies sauront entretenir leur théâtre? S’ils sont dans leur état actuel, c’est justement à cause du manque d’entretien…
Prenez le Bâtiment du Trésor, où il y a le bureau du Premier ministre. L’État sait le gérer. Pourquoi il ne saurait pas gérer autre chose ? Ceci dit, peut-être que les municipalités sont trop faibles, mais elles sont sous la tutelle du ministère des Collectivités locales. Il s’agit que chacun fasse son boulot.
Le National Heritage Fund a vu démolir sous ses yeux la School, sans être capable de stopper cela. Il y a peu de fonctionnaires qui ont le courage d’aller contre un ministre ou de démissionner si on ne les laisse pas faire correctement leur travail. Le National Heritage Fund est une nécessité dans tous les pays du monde.
«Prenez le Bâtiment du Trésor, où il y a le bureau du Premier ministre. L’État sait le gérer. Pourquoi il ne saurait pas gérer autre chose ? Il s’agit que chacun fasse son boulot.»
Diriez-vous que l’on s’acharne sur Port-Louis?
Un jour, on m’a demandé des conseils pour l’aménagement des rues de Port-Louis. J’ai répondu qu’il fallait demander à Astrid Dalais et Guillaume Jauffret, de Porlwi by Light, qui ont fait la démonstration de ce qu’il fallait faire. Ils ont révélé le Grenier, mis en lumière l’Hôpital militaire et même l’Aapravasi Ghat. S’il n’y avait pas eu Porlwi by Light, je n’aurais pas visité l’Aapravasi Ghat.
Je passais devant tout le temps et je me disais à chaque fois, «il faut à tout prix que je m’arrête», mais jamais on ne s’arrête. J’y suis allé pendant Porlwi by Light et, ensuite, je l’ai fait visiter à d’autres personnes parce que je me suis rendu compte que c’est un magnifique musée (NdlR : le Beekrumsing Ramlallah Interpretation Centre).
En 1982, vous aviez le projet d’accommoder la Maison de l’Alliance française dans les anciennes casernes Decaen. Mais la Central Water Authority (CWA) a réclamé l’emplacement et, aujourd’hui, ces anciennes casernes de l’époque française sont menacées de démolition, pour faire place au Metro Express. Quel regard jetez-vous sur cette actualité?
Savez-vous que les fonds pour ce projet avaient été obtenus en un après-midi, lors d’une visite du Premier ministre (PM) français, Pierre Mauroy, à Maurice (NdlR, il fut PM de 1981 à 1984). Au départ, il n’était pas prévu qu’il passe par Maurice. Il était venu à La Réunion et devait partir pour l’Asie. Il a fait une brève escale chez nous et il a rencontré Anerood Jugnauth, le Premier ministre fraîchement élu en 1982.
Le nouveau gouvernement mauricien lui a demandé des financements, notamment pour la piscine olympique Serge Alfred, dont je suis l’un des architectes, avec Maurice Giraud et Jacques Wiehe. On a demandé aussi une piste en tartan pour le stade de Réduit et un bâtiment pour l’Alliance française.
«Durant les années SSR, on a perdu l’ancien marché de Curepipe, sous Anerood Jugnauth, c’est l’Imprimerie du gouvernement, sous Navin Ramgoolam, il y a eu le cas de l’école Beaugeard. Bérenger a conçu un outil qui malheureusement ne sert à rien, le National Heritage Fund.»
Quand Jugnauth arrive au pouvoir, j’avais déjà travaillé sur le projet de bâtiment avec le président de l’Alliance française de l’époque. C’est là que je visite les anciennes casernes Decaen, un site identifié du temps de SSR. On avait trouvé les ruines magnifiques et on avait monté un projet qui intègre ces ruines.
Mais quand Jugnauth est devenu PM, le directeur de la CWA a dit que ce terrain appartient à son institution. Je crois que Jugnauth n’a pas osé lui dire, «mais pourquoi la CWA a besoin d’un terrain de ce prestige et avec un tel patrimoine ?» À la place, Anerood Jugnauth a donné l’emplacement actuel de l’Alliance française, à Bell-Village.
Bien plus tard, on a casé des marchands ambulants aux casernes Decaen.
Le bâtiment est délabré… J’ai fait une croix là-dessus. Le nombre de combats qu’on a perdus… L’Imprimerie du gouvernement, on n’a rien pu faire. La State Bank voulait avoir, vis-à-vis de ses concurrents, l’adresse du no1, Place d’Armes.
Quand on aligne tous ces épisodes, est-ce que cela veut dire que l’on n’a toujours pas compris la notion de patrimoine à Maurice?
Oui, mais il ne faut pas baisser les bras. Le petit espoir qu’il y a eu, c’est à la création du National Heritage Fund (NdlR : d’abord National Heritage Trust Fund en 1997).
Avec quelles armes faut-il se battre?
C’est l’éducation depuis la maternelle. C’est valable aussi pour l’environnement. Il y a une plage publique à 200 mètres de chez moi. Tous les dimanches, la plage devient une poubelle. Les voitures s’approchent jusqu’au bord de l’eau. On laisse du plastique qui va partir à la mer.
Ceux qu’il faut prendre en premier, ce sont les écoliers, les instituteurs, sensibiliser tout le secteur éducatif. Si on veut avoir un jour un Premier ministre conscient de la valeur du patrimoine, ce sera quelqu’un qui sortira de cette école-là.
On fait une croix sur les politiciens qui sont en place?
Je crois. Je ne désespérais pas de Paul Bérenger. Mais il y a eu la démolition de la School. Ensuite, on a amendé la loi pour dire que si un bâtiment classé patrimoine coûte trop pour être rénové, on peut le démolir. Je n’ai pas entendu dire que Bérenger avait poussé des hurlements, parce qu’on était en train de démolir son projet.
Si on regarde bien, durant les années SSR, on a perdu l’ancien marché de Curepipe, sous Anerood Jugnauth, c’est l’Imprimerie du gouvernement, sous Navin Ramgoolam, il y a eu le cas de l’école Beaugeard. Bérenger a conçu un outil qui malheureusement ne sert à rien, le National Heritage Fund. Chaque régime s’attaque avec appétit à un patrimoine.
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