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Naraindass Ramasamy: «L’éducation gratuite est un couteau à double tranchant»
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Naraindass Ramasamy: «L’éducation gratuite est un couteau à double tranchant»
Il vient de fêter ses 80 ans mais demeure un observateur averti des mutations dans le secteur de l’éducation. Ancien enseignant au collège Royal de Port-Louis, «Monsieur Ramasamy», comme le surnomment ses anciens élèves, a bien voulu répondre aux questions de «l’express». Sa mémoire, vive, et son recul, long, permettent de jeter un regard critique et sans concession sur l’évolution de l’enseignement public d’un double point de vue.
«L’éducation gratuite est un couteau à double tranchant»
Il vient de fêter ses 80 ans mais demeure un observateur averti des mutations dans le secteur de l’éducation. Ancien enseignant au collège Royal de Port-Louis, «Monsieur Ramasamy», comme le surnomment ses anciens élèves, a bien voulu répondre aux questions de «l’express». Sa mémoire, vive, et son recul, long, permettent de jeter un regard critique et sans concession sur l’évolution de l’enseignement public d’un double point de vue.
Outre la mer qui nous ceinture, nous, Mauriciens, ne disposons que de nous-mêmes comme ressources naturelles. Faut-il dès lors tout miser sur l’éducation ?
Étant moi-même un enfant issu du village de Roches-Noires, qui a eu la chance d’avoir des parents qui avaient compris que l’éducation était le véritable passeport pour la vie (à Maurice ou ailleurs), et qui a, ensuite, pu poursuivre ses études (en Inde, grâce à une bourse), je ne peux qu’être en faveur de l’éducation gratuite. Je suis un démocrate, attaché aux valeurs égalitaires. Néanmoins, mon expérience me permet de nuancer mon propos. L’éducation gratuite, depuis 1976, a révolutionné Maurice, à bien des égards…
Comment ?
En termes de quantité, nous avons fait un bond en avant, avec davantage de SC, HSC et des diplômés/ graduates dans divers domaines. Mais il importe de jeter un regard critique. En termes de qualité, quel est le bilan de l’éducation gratuite ? Pour avoir travaillé dans plusieurs collèges, y compris un star college (RCPL), je peux vous dire que nous avons des niveaux d’enseignement ou des facilités (laboratoires, gymnase, etc.) inégaux. Cela saute aux yeux.
Vous avez des exemples ?
La coïncidence a voulu que je perde, il y a quelques jours, mon bon ami Bala Vencatasawmy, ancien Managing Director du collège Friendship de Goodlands (NdlR, décédé le 15 janvier 2019). Lui-même graduate, Bala était un manager d’un «petit» collège qui était respecté par les habitants car on connaissait et reconnaissait ses efforts pour venir en aide aux jeunes, alors que les horizons étaient bouchés et que le chômage battait son plein. Il avait compris que l’éducation allait nous permettre de sortir de notre sous-développement comme pays, comme nation.
Mais l’avènement de l’éducation gratuite, fruit de la lutte estudiantine, soutenue par les profs de l’époque, dont moi-même, a aussi été un moyen pour certains de faire du business. On a ainsi vu s’ouvrir des collèges non pas pour former les jeunes, mais davantage pour toucher la manne émanant de l’État.
C’est la face obscure de l’éducation gratuite ?
Outre ces collèges qui n’étaient pas de vrais centres de savoir, avec des enseignants mal formés et pas motivés, nous avons aussi observé un autre phénomène, cette fois-ci de la part des parents. À mon époque, comme il fallait payer l’école, les parents faisaient d’énormes sacrifices pour financer les études des enfants.
Quand SSR a accordé l’éducation gratuite, ceux qui n’avaient pas les moyens ne pouvaient plus dire : «j’arrête l’école car mes parents n’ont pas le sou». Ils ont dû continuer, quitte à échouer aux examens de SC par la suite. Mais ce que je trouve chagrinant, c’est que les parents se sont moins intéressés à l’éducation de leurs enfants, car ils ne dépensaient pas le moindre sou. Il y a eu un laisser-aller.
Ce «laisser-aller» est-il propre aux parents uniquement ? Ou est-ce que les enseignants ont aussi changé d’attitude…
Vous avez raison. L’éducation gratuite a aussi produit le phénomène des leçons particulières, payantes celles-là. La même chose qu’on enseigne à l’école ou dans les collèges devenait, du jour au lendemain, payante les après-midis. C’était un moyen pour les enseignants de se faire de l’extra cash, mais aussi un moyen pour les parents de se soulager la conscience. Certains venaient me voir et me disaient de prendre leurs enfants après les heures de classe. Le fait de payer leur semblait être une bonne chose – alors qu’on faisait la même chose qu’en classe.
Un autre phénomène alors émergeait : des élèves absents (pour raisons diverses) en classe faisaient leur apparition aux leçons après les heures de classe. Ils étaient conscients que l’argent ne provenait pas de l’État, mais de la poche de leurs parents.
C’était le cas au RCPL ?
Je ne veux pas pin point un collège en particulier, mais disons que la compétition est nécessaire pour un pays, afin de développer une élite. Celle-ci joue un rôle dans un pays, dans la mesure où elle peut inspirer les autres vers le haut. En éducation, il faut viser haut, pour viser large – et surtout il faut éviter tout nivellement par le bas, par le biais de l’éducation gratuite – qui demeure pour moi un couteau à double tranchant.
Augmenter le nombre de «credits» en SC par exemple, estce pour rehausser la qualité ?
Que représente le SC de nos jours ? Hier, il était déterminant pour un emploi – est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Il faut laisser le jeune apprendre les sujets qu’il aime et lui donner le choix de plusieurs filières. Ces filières doivent faire l’objet d’une étude des besoins réels du marché de l’emploi. Vous vous rappelez quand les jeunes ont été encouragés à délaisser les sciences pour la comptabilité. Aujourd’hui, il y a saturation alors qu’au niveau des sciences, on a fait du surplace.
Au départ, vous parliez des ressources maritimes, mais qu’avonsnous fait depuis toutes ces années pour développer l’industrie de la mer ? Où sont les débouchés pour les scientifiques alors que nous parlons de l’économie bleue, voire du développement durable ? C’est à ce moment qu’on va se rendre compte que nous avons un déficit de diplômés des filières scientifiques, alors qu’il existe un réservoir de diplômés au chômage dans d’autres domaines… Pour revenir à votre question, sur les credits, il faut faire attention qu’on ne crée pas un autre CPE au niveau de la FormV, avec un nombre record de recalés…
Et l’enseignement supérieur public gratuit ?
Ici aussi il faut voir les structures. Gratuité ne doit pas dire donner des diplômes à gauche et à droite, sans se soucier du niveau. Attention au suicide de l’intelligence. Sachons balancer le gratuit, le niveau et nos objectifs de développement. Sinon, on risque de niveler nos cerveaux par le bas.
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