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Aisha Timol:«Les femmes peinent toujours à être reconnues ou valorisées au sein même de leur entreprise»
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Aisha Timol:«Les femmes peinent toujours à être reconnues ou valorisées au sein même de leur entreprise»
Aisha Timol dresse un constat de l’évolution de la femme dans le monde professionnel et note qu’elle peine à être reconnue ou à être valorisée au sein même de son entreprise par rapport à son collègue masculin. Elle s’étonne par ailleurs qu’il existe seulement deux qui président aux destinées de conseils d’administration.
En démissionnant de la direction de la MBA (Mauritius Bankers Association) en 2017 début 2018, vous souligniez dans une interview à l’express que vous vouliez passer à une autre étape de votre carrière professionnelle et aspirer à une nouvelle qualité de vie. Est-ce chose faite aujourd’hui ?
Tout à fait. Je me suis attelée cette dernière année à trouver le juste équilibre entre mes intérêts professionnels et des activités de loisir qui m’apportent beaucoup de plaisirs – les voyages et la musique, entre autres. N’est-il pas justement l’adage de la Journée internationale de la femme cette année : «Balance for Better» ?
Entre-temps, vous avez été nommée Chairperson de Cim Finance. Comment s’est opérée cette transition ?
À mon départ de la MBA, j’avais été approchée par quelques compagnies du privé pour siéger au sein de leurs conseils d’administration, surtout dans le secteur financier. Une grande banque internationale, une autre banque domestique et Cim Finance. Je voulais faire l’expérience d’une institution financière différente des banques que j’avais côtoyées au cours de ces 15 dernières années. Et comme, en plus, le Groupe Cim m’offrait la présidence de Cim Finance, le choix était évident.
Il est bon de souligner que Cim Finance étant aussi sous la supervision de la Banque de Maurice, je devais ainsi me restreindre à une seule de ces trois institutions. Par contre, je siège aussi au conseil d’administration d’un grand conglomérat domestique en tant que directrice indépendante.
Passer de CEO à Chairperson requiert une prise de conscience. D’autant plus que nous ne sommes plus dans l’exécution et le «day to day business» de la compagnie mais bel et bien à l’étape supérieure, consistant à définir la stratégie actuelle et future de la compagnie de concert avec les autres membres du Board, de donner une direction à cette stratégie et de s’assurer que la compagnie opère sainement et sous le bon contrôle.
Les expériences acquises pendant les 13 années passées à la direction de la MBA vous ont-elles permis de mieux exercer vos fonctions de Chairperson ?
Des rouages et des exigences régulatrices d’une institution financière, oui. Mais j’avais déjà une longue expérience des conseils d’administration de plusieurs compagnies et d’institutions des secteurs public et privé, y compris des corps parapublics, la MRA, Air Mauritius, la Chambre de commerce et d’industrie et Business Mauritius, entre autres. Au niveau de ces institutions, j’ai aussi été la Chairperson de comités d’audit et de la gouvernance d’entreprises. C’est cette expérience qui m’a été bien plus précieuse.
«Combien de femmes se retrouvent en tant que CEO, deputy CEO ou chief finance officer au sein des boards d’entreprises privées ?»
Le 8 mars a été commémorée la Journée mondiale de la femme. Quel constat dressez-vous de l’évolution de la femme dans son univers professionnel ?
La femme est présente dans toutes les activités économiques du pays et a connu au cours de ces 50 dernières années une présence et une progression remarquables dans le milieu professionnel. Rien ne lui fait peur et rien ne lui est interdit ! Les femmes excellent dans les études et se retrouvent sur le marché du travail à armes égales avec les hommes. Et elles foncent ! Poussées par leur confiance en soi, leurs ambitions et aussi le «support system» qu’elles ont su forger autour d’elles pour mener de front une carrière professionnelle et une vie familiale tout autant réussie. Ce n’est certes pas toujours évident mais la société a évolué positivement et les femmes sont bien mieux encadrées maintenant.
Êtes-vous satisfaite du parcours déjà réalisé par les femmes professionnelles tant au niveau de la sphère privée que publique ?
J’ai connu les deux sphères pendant plus ou moins le même nombre d’années au cours de ma carrière professionnelle. C’est un fait indéniable que le secteur public a jusqu’ici offert bien plus d’opportunités aux femmes pour atteindre des échelons supérieurs. Il n’y a qu’à voir la hiérarchie de la fonction publique et du judiciaire.
Par contre, combien de femmes se retrouvent-elles comme CEO, Deputy CEO ou Chief Finance Officer au sein des conseils d’administration des entreprises privées en tant que directrices exécutives ? Il y a certes un effort délibéré de nos jours de rechercher des femmes pour siéger en tant que directrices indépendantes au sein du conseil d’administration car cela est recommandé par le Code de la gouvernance d’entreprise ou pour se faire bien voir. Mais les femmes peinent toujours à être reconnues ou valorisées au sein même de leur entreprise par rapport à leurs collègues masculins.
«Chaque instant de la vie d’une femme est fait de demandes multiples sur son temps et ses capacités de disponibilité, d’écoute, de don et de partage.»
Que vous inspire le fait qu’actuellement il n’y a que deux femmes à la tête de conseils d’administration ?
Comment peut-on rectifier le tir ? Le constat découlant de l’étude entreprise conjointement par le MIoD (Mauritius Institute of Directors) et Korn Ferry sur la représentation au niveau des conseils d’administration et rendue publique en janvier de cette année est accablant.
Sur quelque 150 grandes compagnies mauriciennes recensées, les femmes siégeant au sein des conseils d’administration ne représentent que 8,7 %, comparés à une moyenne de 30 % pour l’Europe, 21 % en Australie, 13 % en Nouvelle-Zélande et 10 % pour l’Asie. Et que seulement deux femmes sont présidentes de ces conseils ! Ce qui équivaut à un taux de 0,1 % seulement comparé à 8 % en Europe et 4 % en Asie.
Fait intéressant à signaler : les deux présidentes le sont pour deux institutions financières. Comme quoi le secteur financier se retrouve encore une fois à l’avant-garde de la thématique du genre. Car non seulement le ratio homme-femme dans ce secteur est à parité, avec un léger avantage aux femmes, mais ces deux institutions financières ont aussi su placer leur confiance en des femmes professionnelles.
«Ce n’est certes pas toujours évident mais la société a évolué positivement et les femmes sont bien mieux encadrées maintenant.»
Le Budget 2018/19 présenté par le Premier ministre et ministre des Finances en 2016 avait bien montré la voie en recommandant au moins une femme à chaque conseil d’administration des entités cotées à la Bourse de Maurice. Mais les «Listing Rules» de la SEM n’ont jamais été amendées par la suite et cela reste un vœu pieux et au bon vouloir de nos plus grosses compagnies. Je pense que dans ce cas précis la «positive discrimination» ferait du bien.
Et, dans le temps, ici comme ailleurs, avec la nouvelle génération de femmes cadres en plus grand nombre au sein des entreprises, l’équation devrait se rétablir ; d’autant plus si elle est soutenue, comme elle se doit, par une prise de conscience et une volonté accrue de la part des dirigeants des entreprises.
Estimez-vous qu’il est difficile pour les femmes de réconcilier leur vie professionnelle et familiale ?
Bien sûr ! Chaque instant de la vie d’une femme est fait de demandes multiples sur son temps et ses capacités de disponibilité, d’écoute, de don et de partage. Mais elle prouve aussi à chaque moment qu’elle est une adepte du «multi tasking» et qu’il lui reste encore du temps pour s’occuper d’elle. C’est cela qui fait notre force et forge l’admiration des hommes, même si c’est parfois à contrecœur …
Loin de la MBA, quel regard portez-vous sur le secteur bancaire ? Estimez-vous que l’association soit en de bonnes mains ?
Je ne suis jamais vraiment très loin du secteur bancaire car j’évolue toujours au sein du secteur financier mauricien de par mes intérêts professionnels. Je suis les défis auxquels fait face ce secteur porteur d’emplois et de croissance et l’adaptation nécessaire des opérateurs en conséquence. Que ce soit sur le front domestique – petite par sa taille mais grande par son rayonnement, sur les autres secteurs économiques et sociaux du pays – ou le front du Global Business, qui se doit de se réinventer pour faire face à la concurrence internationale, les changements réglementaires et des régimes fiscaux préférentiels. De plus, le métier de la banque est confronté à de profondes mutations découlant des nouvelles technologies et de l’imposition des mécanismes de contrôle et de surveillance accrus. Tout ceci laisse présager une refonte nécessaire de son mode opératoire et de son cheminement. La MBA s’adaptera en fonction des besoins et des exigences de ses membres. Je lui souhaite tout le bien pour son développement futur.
«C’est un fait indéniable que le secteur public a jusqu’ici offert bien plus d’opportunités aux femmes pour atteindre des échelons supérieurs.»
Et quid de votre travail de «mentoring» auprès de femmes. ?
C’est une initiative qui me tient beaucoup à cœur et sur laquelle je travaille au sein du MIoD et de son Women Directors Forum présidée par Nathalie Venis. L’idée est de mettre en contact des femmes avec de l’expérience et un vécu du monde des affaires agissant comme «mentors» et des «peers», jeunes cadres du middle au top management recherchant un support en termes d’écoute et de partage pour résoudre des problèmes d’ordre courant ou exceptionnel dans leur vie professionnelle. En somme, un «networking» au féminin mais bilatéral et basé sur des principes de confiance et de confidentialité, le tout encadré par des procédures dûment établies par le MIoD. Toutes celles intéressées en tant que «mentor» ou «peer», peuvent se renseigner auprès du MIoD ou consulter son site web.
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