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Dean Ah Chuen: «Freiner la frénésie automobile serait un désastre politique»

2 mai 2019, 18:30

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Dean Ah Chuen: «Freiner la frénésie automobile serait un désastre politique»

Le marché de la vente de l’automobile neuve ou de seconde main est le baromètre du pouvoir d’achat des Mauriciens. Dean Ah Chuen, Managing Director d’ABC Automobile, un des principaux acteurs de ce marché, aborde plusieurs sujets dont le seuil de tolérance du réseau routier du pays.

Peut-on vraiment parler de concurrence lorsque sur un marché de voitures tel celui de Maurice, une marque en particulier en l’occurrence Nissan occupe la première place depuis ces 19 dernières années ?
Avec près de 11 000 voitures neuves enregistrées pour l’année 2018 et la présence de 70 marques automobiles pour un marché de 1,2 million d’habitants, croyez-moi, c’est une compétition féroce et sans pitié qui prévaut. Si Nissan domine le marché, cela est dû à un choix de modèles triés sur le volet et adaptés au marché local, couplé à un marketing toujours intelligent basé sur la bonne humeur, sans oublier un service après-vente de qualité. On a toujours su se réinventer et s’adapter à une clientèle qui, elle aussi, a beaucoup évolué. Nous avons également su réagir aux nouvelles lois et réglementations qui n’ont pas toujours été en notre faveur.

Lorsqu’on domine un marché, sur quoi repose la principale préoccupation du bénéficiaire de ce positionnement stratégique : tout faire pour occuper coûte que coûte la première place, ou tout mettre en oeuvre pour ne pas reculer ?
Tout dépend de la marque et de la stratégie adoptée. Quand vous êtes une marque généraliste comme Nissan et que vous êtes présents dans presque tous les segments du marché, il est possible d’adopter une stratégie de leader. Mais ce n’est jamais une stratégie à mettre en place coûte que coûte, car la rentabilité de notre activité doit être avant tout garantie et redevable envers toutes les parties prenantes, d’autant plus que vous êtes coté en Bourse.

La vente de voitures de 2015 à 2018 a été en hausse entre 2015 et 2018, soit 8,24 % en 2015, 7,65 % en 2016, 8 % en 2017 et 7,6 % en 2018 selon les données fournies par la National Transport Authority. Que répondriezvous à ceux qui estiment que cette hausse contribue irrémédiablement à la détérioration de la circulation sur les routes et qu’il est plus que jamais temps au gouvernement de mettre en place des mesures pour freiner la frénésie vers les véhicules neufs ?
Ça, c’était le discours officiel des années 80 qui n’a aujourd’hui plus droit d’être cité, car la voiture n’est plus l’apanage d’une classe économique et sociale. Freiner la frénésie automobile serait aujourd’hui un désastre politique sur le plan populaire car la plupart des foyers mauriciens possèdent une voiture. Il s’avère que ceux qui considèrent sérieusement l’idée d’échanger leur vieille voiture contre une plus récente, sont de plus en plus nombreux.

La détérioration de la circulation routière en raison du nombre croissant de véhicules sur les routes est-elle une préoccupation qui devrait entrer dans la stratégie d’un concessionnaire ?
Depuis ces dix dernières années, chez ABC Automobile nous avons procédé à une réflexion autour de ce sujet. Il est clair que le pays paie le prix de sa réussite économique, dans la mesure où tout Mauricien peut aujourd’hui aspirer à posséder une voiture. La détérioration de la circulation routière est le résultat de cette démocratisation de la voiture. C’est une situation qui n’est certes pas facile à résoudre, mais l’on peut constater déjà, ici et là, quelques chantiers qui peuvent nous amener à penser que les choses vont s’améliorer pour mieux accommoder notre taux d’équipement automobile.

Si vous deviez donner une solution susceptible de contribuer à rendre la circulation plus flexible sans causer de préjudices aux parties prenantes du secteur de l’industrie automobile, concessionnaires, piétons, gouvernement, autorités locales et régionales, quelle serait-elle ?
Il faudrait une étude pour déterminer le seuil de tolérance de notre réseau routier dans son état actuel et futur par rapport à l’impact du transport par automobile de notre réseau routier dans son état actuel et futur. Ce qui importe, c’est de toujours maintenir une stabilité du marché entre le nombre de véhicules qui pénètrent le parc et le nombre de ceux qui en sortent. Le système singapourien peut, à ce titre, servir de référence : les véhicules de plus de 10 ans se retirent automatiquement du marché en bénéficiant d’un allégement fiscal.

Si le Certificate of Ownership, comme ils l’appellent, est estimé à Rs 1 million sur dix ans, un bonus de Rs 400 000 est applicable si le véhicule est vendu après 6 ans, donc une réelle incitation à vendre la voiture avant terme. Avec ce système, nous pourrions, à Maurice, encourager une activité d’exportation de voitures de seconde main, notamment orientée vers l’Afrique où nous pourrions affirmer une certaine compétitivité par le prix. Et pour cela, une aide de l’État, sous la forme d’une subvention ou autre, est indispensable.

Quel va être l’apport de ce nouveau système de transport en commun auquel le pays a eu recours dans l’amélioration de la circulation à Maurice ?
On aurait pu développer une approche beaucoup plus intégrée. Par exemple, comment on fait pour laisser sa voiture à la station pour prendre le métro, a-t-on prévu des aires de stationnement ? C’est dans cette perspective qu’un service de taxi à la demande basé sur la géolocalisation de nos smartphones aurait trouvé tout son sens. Une telle initiative aurait représenté une véritable démocratisation de notre industrie du transport en permettant à tous d’avoir une vie sociale comme ils l’entendent, dans la mesure où l’écosystème leur permet de respecter les lois. Trouver un taxi à Maurice à 22 heures est un vrai parcours du combattant. On aurait dû depuis longtemps être en train d’évoluer dans un système de transport en commun ayant subi une véritable transformation. Mais l’inclusion d’une vision basée sur le long terme dans la mise en place d’une politique de développement n’est malheureusement pas une approche suffisamment répandue à l’échelon global.

Dans sa livraison du 5 octobre de l’année dernière, l’édition internationale de «The Japan Times» annonce la naissance d’un partenariat entre SoftBank Group Corporation et Toyota, Motor Corp, un autre géant de l’industrie automobile du Japon pour, entre autres, mettre sur le marché des voitures équipées de dispositifs pour la conduite automatique et bien d’autres apports technologiques. À quand des voitures Nissan de cette nouvelle famille de voitures conçues pour être écologiques et pour contribuer au respect de l’environnement ?
La voiture autonome existe déjà chez Nissan. Il ne faut pas oublier que Nissan a été le premier constructeur à lancer la voiture tout électrique à une époque où tout le monde ne jurait que par l’hybride. Entretemps, la Nissan Leaf est devenue la voiture électrique la plus vendue au monde. Cependant, le problème des constructeurs japonais comme Nissan et Toyota, c’est que bien qu’ils soient avant-gardistes sur leur marché domestique, ils sont frileux quand il s’agit d’exportation. Cette trop grande frilosité entraîne des tests interminables, à tel point qu’au moment où ils autorisent la mise sur le marché de tel ou tel modèle, les Coréens leur ont déjà pris quelques longueurs d’avance.

Quelle est l’orientation de Nissan par rapport à l’élimination progressive des voitures conventionnelles pour être éventuellement remplacées par des voitures plus écologiques ?
Tandis que la plupart des fabricants automobiles commercialisaient des voitures hybrides, Nissan, en 2012, a été le premier à lancer, avec la Nissan Leaf, la première voiture électrique au monde, avec 21 959 exemplaires écoulés au cours du premier trimestre de 2019. Il est clair qu’aujourd’hui l’hybride est déjà dépassé et que tous les fabricants maintenant bougent vers le tout électrique alors que Nissan a déjà pris plusieurs longueurs d’avance.

Entre 2011 et 2018, la performance du secteur des services est restée plus ou moins stable. Elle représentait 57,4 % du montant total des exportations des biens et des services en 2011 selon les données présentées récemment par l’Economic Development Board. La recherche d’une formule pour l’inclusion éventuelle d’une filière de service qui débouchera sur une participation directe et active à la chaîne de production des Nissan est-elle envisageable au niveau d’ABC Automobile ?
Pas à ce stade. La connectivité aérienne avec les pays d’Afrique demeure un problème majeur si nous voulons devenir une plateforme régionale pour l’Afrique. Dubaï nous a déjà devancés à ce niveau.

Dans les années 70, l’île Maurice savait à peine réunir deux pièces de tissu selon les critères de couture et d’assemblage industriel. Aujourd’hui, l’île est sur la liste des fournisseurs mondiaux de produits du textile et de l’habillement. Pourquoi ce qui a été possible dans le domaine du textile ne peut l’être au niveau de l’industrie automobile ?
Ce qui a été accompli dans les années 70 ne peut être répété aujourd’hui, car la situation économique, l’environnement des affaires et le «mindset» (NdlR, état d’esprit) de la main-d’oeuvre ne sont plus les mêmes. Maurice a réalisé son excellente performance économique grâce à une maind’oeuvre compétitive, qui n’est plus de mise aujourd’hui. De plus, l’industrie textile locale est aujourd’hui en grande difficulté, et les événements récents tendent à le confirmer. L’univers automobile est encore plus impitoyable que le textile. Les usines d’assemblage se délocalisent plus facilement dans les pays où le coût de la main-d’oeuvre compétente est encore abordable.

Pourquoi un fabricant automobile privilégierait-il la destination Maurice alors que l’Inde est en mesure de produire 750 000 ingénieurs aspirant à un salaire par deux fois inférieur à celui en vigueur dans le système salarial à Maurice ?
Il y a un autre inconvénient. Maurice étant un pays de l’hémisphère Sud géographiquement retiré, le coût du fret est à ne pas négliger non plus. Il est temps de cesser de croire qu’on est le centre de la Terre. Nous avons perdu le niveau de compétitivité que nous avons atteint sur le plan du marché manufacturier international. Bon nombre de pays qu’on estimait à la traîne offrent aujourd’hui bien plus d’avantages comparatifs que nous pour attirer l’investissement étranger.