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Meetings: les travailleurs étrangers à la merci des politiciens

3 mai 2019, 20:57

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Meetings: les travailleurs étrangers à la merci des politiciens

Quatre ouvriers étrangers, brandissant un drapeau orange, affirment avoir reçu la somme de Rs 1 000 chacun pour participer au meeting du 1er Mai du Mouvement socialiste militant (MSM). C’est ce que l’on peut voir dans une vidéo, de 53 secondes, qui fait le tour des réseaux sociaux depuis mercredi. 

La veille, lors d’un dépôt de gerbes au Square Guy Rosemont, il y a eu cette déclaration du leader rouge, Navin Ramgoolam : «Pé fors bann propriyéter lizinn met bann Bangladeshi dan bis, sak Bangladeshi pé gagn Rs 7 000 é manzé.» Puis, le même jour, des photos d’affiches rouges circulaient sur Facebook. 

Ces affiches, rédigées en bengali, étaient en fait des invitations, visiblement adressées à des ouvriers bangladais afin qu’ils soient présents au meeting des rouges. Au final, des travailleurs étrangers, il y en a eu chez le MSM à Vacoas ainsi que chez les travaillistes à Port-Louis. Pourquoi intéressent-ils les politiciens à ce point, alors qu’ils n’ont pas le droit de vote ? Comment sont-ils approchés alors que la plupart ne comprennent pas forcément le système politique mauricien ? 

Une pratique qui date de deux décennies

Nous avons posé ces questions à Fayzal Ally Beegun, syndicaliste et fervent défenseur des droits des travailleurs étrangers à Maurice. Pour lui, la présence de travailleurs étrangers à des meetings du 1er Mai n’a rien de nouveau. Cette pratique, dit-il, date d’ailleurs de deux décennies. Mais cette fois-ci, poursuit-il, les Bangladais ont parlé à visage découvert et ont soutenu avoir été payés pour assister au meeting… Même s’il peut bien s’agir d’une mise en scène. 

L’utilité d’avoir des ouvriers étrangers dans des meetings n’est que pour «grossir la foule», conviennent les syndicalistes Fayzal Ally Beegun et Reeaz Chuttoo. Car «le meeting du 1er Mai, particulièrement un meeting placé dans un contexte électoral, relève toujours d’une guerre de foule», souligne le premier nommé, qui milite pour les ouvriers étrangers depuis un quart de siècle. Les deux syndicalistes s’accordent à dire que «c’est le gouvernement, que ce soit l’actuel ou l’ancien, qui fait la demande auprès des entreprises avec lesquelles il entretient de bonnes relations. Ces firmes envoient ainsi certains de leurs employés étrangers au meeting du parti au pouvoir. Ces ouvriers sont rémunérés pour leur présence». 

Rs 300 pour les heures supp et Rs 1 000 pour un meeting

Est-il envisageable pour un ouvrier de refuser d’assister à un meeting pour effectuer des heures supplémentaires ? Les deux syndicalistes expliquent que dans des cas pareils, le choix est quasi évident. «Ils auraient perçu entre Rs 300 et Rs 400 pour des heures supplémentaires. Si on leur offre Rs 1 000 plus un briani et une sortie à la mer, ce n’est pas difficile de choisir», lâche Fayzal Ally Beegun. Sans compter qu’«il se pourrait aussi que ces ouvriers aient subi une quelconque pression pour se rendre au meeting. Ce n’est pas improbable qu’on leur ait dit qu’ils pourraient être déportés s’ils n’obtempéraient pas. Ça peut être le patron ou encore les agents recruteurs qui ont une emprise sur eux.» 

Nous avons approché le Chief Executive Officer de l’usine Star Knitwear, Ahmed Parkar. Même s’il affirme catégoriquement que ses employés ne se sont rendus à aucun meeting politique le 1er Mai, il nous explique qu’il est le seul qui soit en mesure de demander à ses employés de s’y rendre. «Je m’occupe personnellement du recrutement de la main-d’œuvre dans mon usine. Je sais très bien que mes ouvriers n’ont pas assisté à ces rencontres politiques. Ils n’ont aucun intérêt à le faire. Je pense qu’ils auraient opté pour un jour de repos. Mais s’ils s’y sont rendus, ils sont libres de le faire. Je serai juste très surpris puisque je ne leur ai pas demandé de le faire», soutient Ahmed Parkar. 

Des étrangers pour voter à la place des morts

Serait-ce possible que les travailleurs étrangers aient été approchés par les activistes ? Selon des sources interrogées, le canvassing se ferait davantage par la direction des entreprises où sont employés les ouvriers. Les travailleurs, de leur côté, n’ont d’autre choix que de se soumettre. «Ceux qui vivent à Maurice depuis plusieurs années connaissent un peu le paysage politique. Alors que ceux qui viennent de débarquer sur notre sol n’y savent rien», soutient Fayzal Ally Beegun. 

Selon ce dernier, si les travailleurs étrangers étaient au courant de ce qui se passait sur le plan politique, ils ne se seraient pas rendus au meeting. Le syndicaliste fait référence aux amendements apportés à l’Immigration Act, qui «cible les travailleurs étrangers». Une situation qui inquiète Fayzal Ally Beegun. D’une part, par rapport à la sécurité de ces ouvriers car maintenant, «des têtes brûlées des partis adversaires peuvent s’en prendre à eux». Et d’autre part, par rapport à la démocratie.

«Dans le passé, des personnes décédées ont voté. Qui dit qu’on n’utilisera pas les travailleurs étrangers pour voter à la place des morts ? Leur passeport peut servir de pièce d’identité. Ils n’ont pas besoin de carte d’identité en tant que telle. Certes, ce sera bizarre de voir des ouvriers étrangers dans l’enceinte des centres de votes, mais si les ordres viennent d’en haut, personne ne pipera mot.» 

Cependant, Fayzal Ally Beegun réclame le droit de vote aux ouvriers étrangers. Particulièrement ceux qui vivent à Maurice depuis au moins 15 ans. «Ainsi, il n’y aura pas de jugement contre eux. Ils seront libres de se rendre au meeting de leur choix…»