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Complexe sportif: visite du côté où le silence est d’or
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Complexe sportif: visite du côté où le silence est d’or
Deuxième décès recensé pendant les travaux. Jeudi 13 juin, un ouvrier chinois est mort écrasé sous des barres de fer qui sont tombées sur lui. C’est le second travailleur chinois à périr sur le chantier de Côte-d’Or, après l’accident survenu le 12 septembre dernier.
À 35 jours des 10e Jeux des îles de l’océan Indien, le chantier du complexe sportif sort de terre petit à petit. Depuis avril, le millier d’ouvriers chinois et bangladais se relaient nuit et jour pour compléter l’infrastructure. Un rythme de travail qui n’est pas sans conséquence.
Barrière de la langue, culture différente, rythme de travail différent… des raisons qui rendent la cohabitation entre les travailleurs chinois et les Bangladais difficile. Outre le fait d’opérer sur le même chantier, les deux groupes d’ouvriers ont un point en commun. Ils ont le même patron : la China State Construction Engineering Corporation Ltd. Il s’agit de l’entreprise chinoise responsable des travaux de construction sur le chantier de Côte-d’Or.
L’express s’est rendu à Côte-d’Or mercredi suite à des informations obtenues de sources travaillant sur le chantier. Insistant sur leur anonymat, ces sources expliquent que les Bangladais travaillent dans «des conditions déplorables» mais qu’ils ont «peur des représailles». D’où leur refus d’évoquer leur situation.
Une fois sur place, il n’est pas question de passer par l’entrée principale qui se situe du côté de l’autoroute M3. La route qui mène vers Helvétia est privilégiée. Une longue file d’ouvriers chinois quitte les dortoirs, pour se rendre sur le chantier. Ils sont suivis des travailleurs bangladais. Ils semblent être sur le qui-vive.
Cohabitation difficile
«Les Bangladais n’arrivent pas à s’adapter. La cohabitation est difficile et récemment, nous avons appris que des ouvriers bangladais n’avaient pas été payés. Mais ils ont peur de parler de leurs conditions parce qu’ils sont justement employés par un groupe chinois. Ils ont peur de la déportation», explique un Mauricien proche des ouvriers bangladais. Manifestement effrayés, les Bangladais refusent de parler de quoi que ce soit.
«Ces Bangladais sont dans la terreur. Ils ont peur d’être déportés. La déportation est fatale pour eux parce qu’ils ont contracté des dettes pour venir ici. Il y a un gars qui m’a supplié de ne pas en parler. Mais ce qui se passe là-bas est très grave», soutient un autre Mauricien qui fréquente le chantier lui aussi.
Faute de pouvoir parler aux ouvreurs bangladais, on se tourne vers la direction de la China State Construction Engineering Corporation Ltd, pour obtenir une explication officielle. Ce qui s’est révélé plus difficile que prévu. Aucun ouvrier sur place ne peut indiquer où se trouve le bureau principal des responsables du chantier.
Finalement, un membre de la sécurité arrive à fournir une explication, en indiquant un tracé boueux se trouvant à côté d’un temple tamoul. Après un trajet à bord d’un tout-terrain, le reste de la traversée du chantier se fait à pied, avec comme objectif la recherche dudit bureau.
La concasseuse
Pour s’y rendre, il faut traverser un pont, escalader de nombreuses pentes glissantes, suivre des sentiers recouverts d’épaisses couches de boue. Les ouvriers ne peuvent être d’aucune aide, personne ne parlant l’anglais. La balade improvisée à la recherche du bureau principal se poursuit. À première vue, c’est un chantier comme les autres. On y ajoute du vent… beaucoup de vent et de la pluie. Ce qui n’est pas étonnant en hiver, sur le plateau central.
Le stade se dessine au loin. Mais une autre structure attire les regards. Quatre immenses silos sont installés à l’entrée du stade. Juste à côté des monticules de cailloux. Des tractopelles sont en marche. Elles chargent les cailloux dans ce qui ressemble à une concasseuse. À l’arrière de la structure, des bureaux qui ressemblent presque à des dortoirs. Deux cadres chinois sont là. Ils ont froid. Leur tasse de thé est encore fumante sur la table.
«On cherche le Head Office de la China State Construction Engineering Corporation Ltd. C’est ici ?» «Non. Nous nous occupons uniquement de l’unité qui fabrique le ciment. Ce que vous cherchez se trouve à 500 mètres plus loin», répond l’un des deux cadres.
On reprend la route à travers le chantier. Les gradins sont installés, les travaux se poursuivent. Dans 30 jours, ils devront être achevés. Le Head Office est finalement découvert. En quête des responsables de la société chinoise, ce sont plutôt des Mauriciens, qui travaillent au sein du groupe chinois, qu’on rencontre. La direction de l’entreprise leur a demandé de répondre aux sollicitations de l’express.
Insalubrité
«Il n’y a aucun problème. Sinon nous l’aurions su. Nous n’avons eu aucune information à ce sujet. Et il n’y a pratiquement eu aucun retard de paiement. Les ouvriers ne se sont pas plaints officiellement de leurs conditions de travail», affirme un responsable mauricien qui, cependant, se tait au sujet de son identité. Les raisons ne sont pas différentes de celles des Bangladais.
Pressé de questions, le représentant de la société chinoise finit par concéder qu’il y a eu des différends entre les ouvriers. Ce qui pose problème : «le rythme de travail des Chinois et des Bangladais n’est pas le même. Les Bangladais n’arrivent pas à travailler aussi vite que les Chinois. Mais cela peut arriver dans n’importe quel travail», soutient-il.
En faisant le tour du chantier, on est surpris par une odeur nauséabonde qui émanait non loin du dortoir des ouvriers, à l’arrière du site de construction. Des eaux usées en sont responsables. Elles se déversent dans un canal qui finit sa course dans une rivière surplombée par le pont de Côte-d’Or. Dans un canal, des matières fécales flottent sur l’eau qui s’écoule, à l’air libre. Aucune explication n’a pu être obtenue de source officielle. Tout ce que le représentant mauricien du groupe chinois a accepté de dire c’est que les dortoirs pour les Chinois et les Bangladais sont séparés. Ainsi en est-il pour les cuisines.
Problème de salaire
Sollicité, Fayzal Ally Beegun, le syndicaliste connu pour être le défenseur des droits des travailleurs bangladais, explique ne pas être en contact avec les ouvriers qui sont employés sur le chantier de Côte-d’Or. Mais qu’il a eu vent de leurs conditions de travail à travers leurs compatriotes qui travaillent dans des usines ou sur le chantier du Metro Express.
«Ils m’ont parlé d’un problème de salaire à Côte-d’Or. Mais comme je n’ai aucune entrée sur le chantier et qu’ils m’ont fait comprendre que les travailleurs bangladais qui sont à Côted’Or ne veulent pas alerter les autorités au sujet de leurs conditions, je n’ai rien pu faire. Je sais qu’ils travaillent dans des conditions très difficiles, cependant ils ont très peur des représailles», soutient Fayzal Ally Beegun.
Le syndicaliste se dit prêt à entreprendre des démarches officielles auprès du ministère du Travail s’il obtient la garantie qu’aucun ouvrier bangladais ne sera déporté. «Il y a des cas où les ouvriers sont déportés sans que le ministère ne soit au courant», indique-t-il.
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