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Rajeev Hasnah: «Quel sera le traitement comptable de la manœuvre financière à laquelle se livre le gouvernement à la BoM» ?
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Rajeev Hasnah: «Quel sera le traitement comptable de la manœuvre financière à laquelle se livre le gouvernement à la BoM» ?
L’économiste Rajeev Hasnah revient sur la polémique entourant les réserves de la Banque de Maurice et s’interroge sur l’indépendance de cette institution. Il ajoute qu’il faut réinventer un modèle économique pour permettre à Maurice de se joindre à la ligue de pays à revenu élevé.
Commençons par la mesure budgétaire qui fait polémique actuellement. Il s’agit de la décision du gouvernement de puiser des réserves de la Banque de Maurice pour financer la dette du pays. Quelle est votre analyse sur cette question ?
La question fait débat et suscite de nombreuses réactions. D’ores et déjà, deux anciens gouverneurs de la Banque de Maurice, nommément Rundheersing Bheenick et Ramesh Basant Roi, l’ont commentée en critiquant la démarche du ministère des Finances d’avoir recours à une telle pratique. En revanche, un troisième, Dan Maraye, a justifié cette mesure budgétaire sur les ondes.
Pour ma part, je n’ai de réponse définitive sur la question car je n’ai pas tous les éléments susceptibles de m’aider à faire un exercice clinique sur cette problématique. Malgré les éclaircissements apportés de part et d’autre sur cette proposition budgétaire, il existe encore un flou sur certains détails.
Par exemple, je ne sais pas encore à quelles réserves on fait référence car il y a toujours une confusion entre le Special Reserve Fund de la BoM et les réserves générales. Le terme réserves dont fait mention le discours du Budget n’est pas le même auquel fait référence la BoM dans son communiqué émis le 13 juin.
Je pense qu’on doit faire une distinction entre le terme réserves d’un point de vue comptable, c’est-à-dire le shareholders equity pour les entreprises et les réserves d’une Banque centrale. De ce fait, d’après le bilan de la BoM au 31 mars 2019, le shareholders equity est à Rs 18 milliards alors que les réserves en devises étrangères sont à Rs 227 milliards. Ce serait bon qu’on sache quel sera le traitement comptable de la manœuvre financière à laquelle le gouvernement se livre à la BoM.
«Le gouvernement agit-il légalement en respectant la lettre et l’esprit de la BoM Act sans remettre en question l’indépendance de cette institution financière?»
Estimez-vous que le gouvernement a raison, selon la BoM Act, d’avoir recours à cette pratique bancaire ? Cette question soulève une thématique importante à la BoM, celle de son indépendance visà-vis de l’éxecutif.
Le débat qu’il faut entre les différents spécialistes financiers et monétaires autour de cette problématique doit pouvoir nous éclairer sur une chose : le gouvernement agit-il légalement en respectant la lettre et l’esprit de la BoM Act sans remettre en question l’indépendance de cette institution financière? à mon avis, c’est un sujet discutable. Il est crucial que toutes les parties concernées, à savoir le Trésor public, les institutions financières, les investisseurs ou encore les opérateurs économiques, aient confiance dans la Banque centrale et la politique monétaire prônée. Bref, que toutes les opérations de la BoM se fassent dans la plus grande transparence.
Revenons aux grandes orientations du Budget 2019/20. êtes-vous d’accord avec ceux qui affirment que le Budget, présenté à six mois des élections générales, est avant tout un Budget électoraliste comprenant un chapelet de mesures populistes sans aucune proposition sérieuse pour transformer la structure écononomique face aux défis d’une conjoncture mondiale difficile ?
Ce n’est pas une question d’être d’accord ou pas. Disons les choses comme elles sont. à aucun moment, je ne m’attendais à ce que le Budget 2019-20, le dernier de la présente législature de l’Alliance Lepep, apporte des mesures économiques fondamentales pour restructurer l’économie et engager de grandes réformes. à six mois des élections, on n’attend pas qu’un gouvernement en fin de mandat engage le pays dans de nouveaux projets phares injectant des milliards de roupies, liant les mains du prochain gouvernement s’il y a entre-temps un changement de régime.
Cela dit, je trouve que le second Budget de Pravind Jugnauth comme Premier ministre et ministre des Finances a pris en considération le fait que le pays est entré dans une logique électorale et a défini les objectifs en conséquence.
Cependant, en tant qu’économiste, je note qu’il existe un courant de pensée majoritaire dans le pays qui estime que le pays est entré de plain-pied dans la trappe d’un pays à revenu intermédiaire. Cela est sérieux et doit susciter des inquiétudes de la part des stakeholders et autres experts économiques.
Pourquoi ?
Simplement parce qu’il n’existe aucune mesure dans ce Budget susceptible d’aider le pays à sortir de ce piège économique. Ce qui m’amène à insister qu’il y a nécessité pour tous les partenaires économiques et sociaux d’engager une refléxion sérieuse sur ce sujet, soit de fixer les paramètres pour permettre à l’économie à franchir cette nouvelle étape et à se hisser au rang de pays à revenu élevé.
Aujourd’hui, nous avons les caractéristiques d’une économie prise dans la trappe d’un pays à revenu intermédiaire, avec l’essouflement de tous les secteurs qui jadis ont fait le succès économique du pays .Je pense particulièrement au sucre, au textile, au tourisme et, dans une certaine mesure, aux services financiers. De plus, nous avons à faire face à un autre défi qu’est le vieillissement de la population et ses implications économiques et sociales.
Aujourd’hui, il faut cesser le «blame game» visant à pointer un doigt accusateur sur l’absence d’initiatives ces dernières années de la part du secteur privé d’investir ou plutôt la réduction comme une peau de chagrin des investissements privés dans le pays.
Justement, depuis ces quatre dernières années, ce sont les investissements publics, massivement injectés dans les infrastructures (Metro Express, réseau routier) qui tirent la croissance alors que, statistiquement, le privé n’investit plus ou plutôt investit peu, notamment dans des secteurs comme l’immobilier qui n’apporte pas de croissance durable, crée peu d’emplois et favorise la spéculation foncière à l’échelle nationale. Est-ce une politique économique soutenable dans le temps ?
Ce n’est certainement pas soutenable dans le temps. Cela d’autant plus, comme souligné plus haut, que Maurice est dans la trappe d’une économie à revenu intermédiaire. Il y a des réalités économiques qui ne trompent pas, comme les principaux clignotants qui virent au rouge aujourd’hui, dont la croissance économique qui ne parvient pas à franchir le seuil psychologique de 4 %, et le déclin de la population active résultant des pressions démographiques.
Aujourd’hui, notre PIB qui, comme certains le vantent, franchira prochainement la barre de Rs 500 milliards, est tiré à 75 % par la consommation. Ce qui n’est sain économiquement car une crise réduisant le pouvoir d’achat des consommateurs pourrait le fragiliser. Il faut viser un PIB à base élargie, dopé par les exportations, les investissements et la consommation. Ce qui n’est malheureusement pas le cas.
Cette situation est le résultat d’un modèle économique qui a fait son temps et qu’il faut réinventer pour nous aider à passer à un autre palier de notre développement. Ce nouveau modèle doit traduire la vision économique partagée entre tous les partenaires de développement du pays, y compris le privé. Au cas contraire, le pays sera condamné à subir les effets d’une croissance molle.
«Il faut viser un PIB à base élargie, dopé par les exportations, les investissements et la consommation.»
Et quid de nouveaux pôles de croissance ?
Sans doute, il y a une volonté de créer de nouveaux piliers économiques pour soutenir la croissance. Tous les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ont favorisé l’émergence de nouveaux pôles de croissance. Mais il faut se rendre à l’évidence que le décollage d’un nouveau secteur prend du temps et nécessite des milliards de roupies d’investissements.
Je prends comme exemple l’économie océanographique où un rapport de la Banque mondiale en 2017 a démontré qu’il faudra une période de 15 ans et des investissements de Rs 19 milliards par an et ce pendant une dizaine d’années pour rendre ce nouveau pilier viable économiquement. Je me pose la question : est-ce qu’on a les moyens financiers pour investir dans ce nouveau secteur même si l’ambition y est ?
«Est-ce que la majorité de la population, qui traditionnellement a l’habitude de bénéficier des prestations sociales d’un état-providence généreux, est prête aujourd’hui à accepter le ciblage ?»
Plus de 50 % des dépenses courantes courantes vont financer le budget social : l’éducation, la sécurité sociale et la santé. Or, la vérité est que les bénéficaires de ces prestations sociales se recoupent parmi toutes les classes sociales, allant des plus pauvres aux plus aisés. Ne pensez-vous pas que le ciblage soit le moyen le plus efficace pour combattre les inégalités sociales et économiques ?
Ma réponse sera courte : est-ce que le ciblage est réellement le moyen efficace pour combattre la pauvreté? Est-ce que la majorité de la population, qui traditionnellement a l’habitude de bénéficier des prestations sociales d’un état-providence généreux, est prête aujourd’hui à accepter le ciblage ? Est-ce que les économies qui seront dégagées à partir de cette mesure seraient supérieures aux coûts administratifs du ciblage ?
Autant de questions que je me pose face à ce sujet et auxquelles je n’ai pas de réponses. D’autant plus que c’est une question fortement politisée dans le passé.
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