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Patricia Adèle Felicité: «Il y a un net rajeunissement chez les sans domicile fixe»
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Patricia Adèle Felicité: «Il y a un net rajeunissement chez les sans domicile fixe»
Les Abris de Nuit de Port-Louis et de St Jean, ouverts par Caritas île Maurice, fêtent cette année respectivement leurs 25 et 15 ans. La secrétaire générale de ce mouvement catholique fait le point.
Qu’y a-t-il eu comme changements dans les abris de nuits de Caritas Ile Maurice depuis ces 25 dernières années ?
Le changement le plus notable est que le profil des sans domicile fixe, que nous nommions «tontons», a changé. Il y a eu un rajeunissement de cette population. Quand nous avons démarré ce projet, nous allions dans les rues et nous trouvions des tontons de plus de 50 ans, plus proches de la soixantaine même. Je pense à Ton Raymond par exemple, décédé à l’abri à l’âge de 90 ans. Aujourd’hui, nous avons affaire à des sans domicile fixe dont la moyenne d’âge est de 25-30 ans. Ils prennent avantage des services de l’abri si bien que, si vous en croisez un, jamais vous ne penseriez qu’il est un résident. C’est quelque part une victoire pour Caritas car le premier service que nous offrons est le bain et des vêtements propres. Mais, d’autre part, c’est préoccupant socialement.
Quelles sont les causes de ce rajeunissement des résidents ?
Je dirai que la cause numéro 1 est les problèmes familiaux : familles brisées et recomposées, familles où l’autorité parentale est remise en cause, familles monoparentales, des problèmes de couple lorsque le conjoint a perdu son emploi et il est alors mis à la porte. Il y a une difficulté à gérer les émotions et les comportements, ce qui trahit des troubles psychologiques et de santé émotionnelle. La deuxième raison est les addictions, soit la dépendance à l’alcool et à la drogue, en particulier la synthétique. Si nous acceptons les résidents qui souffrent d’addictions, ils sont parfaitement au courant qu’ils doivent laisser tout ce qu’ils consomment à la porte de l’abri avant d’y être accueillis pour la nuit. Les anciens détenus qui sont rejetés et ceux en réhabilitation constituent la troisième raison. Et, pour finir, il y a un gros problème d’accès au logement et de promiscuité.
Le nombre de tontons a-t-il augmenté ?
Oui. Nous avons même une liste d’attente. Autrefois, les abris affichaient complets en hiver. Aujourd’hui, c’est le cas même en été. Comme la chaleur en été est invivable à Port-Louis, nous avons dû réduire le nombre de résidents de 40 à une trentaine. A St Jean, on a augmenté notre taux d’occupation de 30 à 40 lits. La liste d’attente bouge aussi. Si la demande du résident - pour cause de rajeunissement nous avons dû changer l’appellation tonton -, est temporaire, on le garde et on voit si l’on peut ensuite le canaliser vers d’autres institutions. Chaque mois, nous avons une quinzaine de sans domicile fixe sur liste d’attente. L’insécurité grandissante fait qu’au lieu de dormir en plein air, ils viennent chercher la sécurité auprès de l’abri de nuit.
Vos résidents sont-ils réguliers ?
La majorité d’entre eux sont des réguliers mais s’ils peuvent trouver un travail dans un restaurant ou sur un chantier, on leur demande de faire de la place aux autres. Depuis une quinzaine de jours, je remarque une dizaine à une quinzaine de nouveaux visages dans chaque centre.
Qui sont ceux qui restent plus longtemps ?
Ce sont généralement des personnes qui ont des problèmes psychologiques, de santé ou qui sont en attente d’une place dans une institution. On essaie de respecter la tranche des 18 à 60 ans mais lorsqu’un tonton de 65 ans frappe à notre porte, nous ne pouvons le laisser dehors. Le fait brut est qu’il n’y a pas tellement de places dans les institutions publiques. Et les autres institutions pour personnes âgées ne sont pas à la portée du grand public. On voit aussi de plus en plus de familles qui ont des difficultés à garder leur parent âgé chez eux.
A quoi mesurez-vous votre succès ?
A nos efforts réussis à leur faire retrouver une vie normale mais cela reste très difficile. On le voit aussi au nombre de familles et de particuliers qui viennent leur offrir un repas. L’approche du personnel de Caritas permet aux gens de témoigner de l’affection à ces blessés de la vie. Pourquoi je dis que c’est très difficile, c’est parce que si le résident qui souffre d’addiction retourne dans son environnement d’autrefois, il risque de rechuter. Chez les autres résidents rejetés par les leurs, la réussite se fera si leurs familles leur ouvrent à nouveau les bras. Nous avons essayé de trouver un genre de half-way home, en vain, car on ne trouve pas d’endroit. La cohabitation entre eux est difficile car ils sont fragiles et s’ils ne sont pas encadrés, ils peuvent rechuter. Ce qui rend la réinsertion difficile.
Avez-vous des «success stories » ?
Oui. Je pense à cet homme qui se disputait avec sa femme. Au cours de la bagarre, elle a fait une chute accidentelle et en est morte. Il a été arrêté et emprisonné. Ses enfants ne le lui ont jamais pardonné. A sa sortie de prison, il a végété quelque temps dans la rue et a fait six mois ici. Un jour, il a croisé son beau-frère et celui-ci l’a recueilli à son domicile. Quelques autres ont trouvé des compagnes. Un a trouvé un emploi et un logement et a pris sa mère chez lui. La question de leur réinsertion doit être envisagée de manière globale car il y a le problème du logement, de l’emploi et du regard des autres sur une personne qui a chuté. La semaine dernière, pendant la formation aux Life Skills que nous leur dispensons tous les deux ans, un résident a déclaré que ses proches refusent de croire qu’il a changé et ne lui accordent pas de seconde chance.
Quelles sont les difficultés que Caritas rencontre ?
Le succès de l’abri a aussi reposé sur la disponibilité et la qualité des gérants. A Port-Louis, nous avions Cursley qui vivait là avec sa famille, ainsi que Brigitte à St Jean. On ne peut toutefois demander à une famille de passer toute sa vie dans un abri de nuit. Nous avons des travailleurs sociaux qui ont des diplômes en Social Work de l’université de Maurice mais qui entrevoient cet encadrement comme un travail et non comme une vocation ou une mission. Il leur manque l’empathie, cette expérience d’accompagnement d’une personne blessée, sous addiction etc. Il leur manque la pratique. Il faudrait que durant leurs cours universitaires, ils soient exposés au public cible lors de stages dans les institutions comme les nôtres. On ne peut rester dans le théorique. Autrement, nous aurons comme personnel des exécutants de tâches. Si l’on est bénévole, on peut donner trois heures de son temps par semaine mais lorsqu’on offre un service sept jours sur sept, on a besoin de techniciens et de personnes qualifiées, tant d’un point de vue théorique que pratique. On est condamné à réussir. On ne peut pas que bat-baté. Il y a un grand besoin de formations psychosociales et de valoriser le travail des accompagnateurs.
Financièrement, où vous situez-vous ?
Ces 25 ans, nous avons tenu grâce à la générosité des familles, des particuliers, des entreprises et une allocation du NGO Trust fund. Depuis 2018, on a aussi l’aide de la National Corporate Social Responsibility Foundation. J’espère que cela va continuer et que nous n’aurons pas à soumettre un nouveau projet chaque année. Notre difficulté est surtout de trouver des animateurs et du personnel formé qui puissent faire cet accompagnement psychosocial et aider ces personnes blessées à avancer dans la dignité. Nous avons fait un appel à candidatures pour trouver un responsable de réinsertion sociale qui serait le lien entre les résidents, les institutions et le secteur privé pour favoriser cette réinsertion globale, notamment en termes de logements et de travail. Nous avons aussi besoin d’assistants gérants et avons quatre postes vacants à pourvoir. Tant que l’on n’a pas d’alternatives à offrir, les résidents vont rester ici.
Nous avons un bon partenariat avec la NHDC mais il faut d’autres types de logements sociaux qui répondent au profil de ces personnes qui ont besoin d’être réhabilitées. Il y a un manque de projets d’entreprenariat social pour que ces personnes vulnérables regagnent le mainstream. En Autriche par exemple, Caritas a un projet de réinsertion sociale, qui est la gestion d’un hôtel et des restaurants par des migrants et des chômeurs pour faciliter leur employabilité. Cela les valorise. Caritas ne peut tout faire. Il faut une approche globale pour le développent intégral et intégré des résidents.
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