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Salem Saumtally: «Il faudrait un programme national de replantation comme c’était le cas après la sécheresse de 1999»

24 juillet 2019, 16:31

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Salem Saumtally: «Il faudrait un programme national de replantation comme c’était le cas après la sécheresse de 1999»

Depuis qu’’il a été rebaptisé Mauritius Sugarcane Industry Research Institute en 2011, cet institut, selon certains, a perdu de sa superbe. Salem Sauntally, le directeur, explique son parcours depuis que l’industrie sucrière concentre ses efforts plus sur le potentiel de la canne que sur celui du sucre.

Il y a un constat et dans d’autres cas c’est une affirmation que le MSIRI ne brille plus sur le plan de la recherche et de la formation d’experts venus du monde entier pour apprendre de Maurice. Quelle est la situation exactement ? 
En réalité, c’est le contexte qui a changé. Il y a 50 ans, la canne à sucre était cultivée sur quelque 87 000 hectares. Vingt-deux usines étaient en opération. Le sucre représentait 30 % du produit intérieur brut (PIB) et 90 % de la valeur des exportations. De nos jours, la canne occupe 50 000 hectares, avec trois usines. Le sucre ne représente que 2 % du PIB et 14 % de la valeur des exportations. De ce fait, l’importance de l’industrie a considérablement diminué avec la diversification de l’économie. On peut admettre que le MSIRI ne brille plus comme naguère. Il y a 20 ans on comptait 175 chercheurs et techniciens. Aujourd’hui, il n’en reste que 45.

Quel impact ce changement a-t-il eu par rapport à l’intérêt légendaire que porte le personnel du MSIRI à la recherche sur la canne ? 
Son personnel suit de près l’évolution des dernières avancées de la recherche dans les divers domaines associés à la canne à sucre. Une posture indispensable qui lui permet d’être à la pointe des dernières technologies. Nous avons un plan de recherche établi pour la période allant de 2016 à 2020. Un Comité de Recherche et Développement, composé de personnes chevronnées, nous guide sur les orientations à entreprendre. Ce comité est présidé par le Dr Jean-Claude Autrey, exdirecteur du MSIRI.

Plusieurs projets de recherche innovants sont en cours. Ces recherches concernent notamment l’édition du génome de la canne pour corriger les caractéristiques indésirables des variétés, la spectroscopie pour la fertilisation plus complète de la canne, l’utilisation de drones pour des applications spécifiques à notre industrie et la production du bioplastique à partir de la paille de canne qui est une première au niveau mondial et qui pourrait bientôt être une réalité industrielle.

Les scientifiques du MSIRI sont impliqués dans la formation et le renforcement des capacités tant à Maurice qu’ailleurs dans le monde. Nous dispensons des services d’expertise non seulement localement mais à de nombreuses sociétés sucrières, spécialement en Afrique. Le MSIRI a aussi son propre centre de formation pratique.

Les échanges que nous avons eus avec certains opérateurs indiquent que, sur la grande totalité de la superficie plantée en canne, la variété le plus utilisée est celle venue de l’île de La Réunion. Y a-t-il une raison à cela ? 
Il fut un temps où les variétés mauriciennes, principalement la M 134/32, occupaient une large superficie à La Réunion et à Madagascar. À travers le monde, les généticiens canniers échangent des variétés qui sont évaluées dans des contextes différents. Ainsi, de nos jours, nos variétés sont cultivées en Afrique. C’est une activité qui nous rapporte des revenus qui sont utilisés pour financer nos projets de recherche. Dans la même pratique, des variétés réunionnaises sont cultivées à Maurice. Il faut cependant mettre l’accent sur le fait que les quatre variétés réunionnaises en question ont été produites dans les années 1970/1980. Elles sont aujourd’hui moins productives que nos variétés récemment homologuées, surtout depuis 2013.

Quelle en est l’explication ? 
Le vrai problème c’est que la replantation de la canne s’est considérablement ralentie ces dernières années. Par conséquent, l’industrie ne peut tirer avantage de nos variétés plus productives. Par ailleurs, les vieilles repousses actuellement en culture accusent d’importantes réductions de rendement. Il faudrait un programme national de replantation à Maurice, comme c’était le cas en 2000/2001, après la grande sécheresse de 1999. C’est ce qui avait abouti à une production de quelque 647 000 tonnes de sucre en 2002.

Il paraît que le MSIRI importe des variétés. Qu’en est-il exactement ? 
Effectivement. Tous les ans nous importons des variétés de nombreux centres de recherche de la canne reconnus à travers le monde. Nous les évaluons. Si elles s’avèrent plus productives que les nôtres, elles seront recommandées à nos producteurs. La réalité est que les nombreuses variétés importées ne s’adaptent pas à Maurice, sauf celles de La Réunion. Il faut préciser que le MSIRI introduit régulièrement des variétés des principaux pays sucriers pour être évaluées et à des fins de croisement. C’est un exercice qui s’applique également aux variétés en provenance de La Réunion. Mais la culture industrielle éventuelle de ces variétés est décidée après de nombreuses années d’évaluation sous les différents microclimats de Maurice.

À quoi est donc due l’omniprésence des variétés réunionnaises à Maurice ? 
Il est simpliste de penser que toute variété introduite à Maurice peut automatiquement y être cultivée, même s’il y a une proximité géographique comme c’est le cas avec La Réunion. Comme preuve, depuis les années 1900, il a fallu l’introduction de plus d’une centaine de variétés réunionnaises afin éventuellement d’en sélectionner quatre avec des atouts indéniables pour parvenir à la culture industrielle.

Il est vrai qu’une des quatre variétés, la R579, occupe actuellement environ 28 % de la surface sous canne, comme réciproquement dans le passé la variété mauricienne M 134/32 a occupé 67 % de la superficie sous canne à l’île de La Réunion. L’échange des variétés entre nos deux îles est donc fructueux pour nos deux industries. Il faut mettre en exergue le fait que les variétés mauriciennes ne sont pas moins performantes et rivalisent bien avec celles de La Réunion. Elles sont aussi exploitées en Afrique.

Quelle explication donner particulièrement à certains petits et moyens planteurs qui se plaignent de ces variétés inadaptées à leur mode d’opération ? 
Le MSIRI développe des variétés pour tous les producteurs indistinctement avec l’objectif d’obtenir un maximum de taux de sucre à l’hectare. Il arrive quand même que des préférences variétales se dessinent par rapport aux spécificités des producteurs. Cela est vrai pour toutes les variétés, indépendamment de leurs origines.

Par exemple, certains producteurs préfèrent des cannes au port érigé ou celles permettant un dépaillage aisé. Il y a celles qui sont appréciées à cause de leur caractéristique à faciliter la coupe manuelle. En ce qui concerne, des variétés adaptées pour différentes dates de récolte, chaque producteur a le choix d’une gamme de variétés pour la récolte en début, milieu et en fin de saison. Donc le choix existe pour les différents impératifs de récolte.

Au cours de ces sept dernières années, 12 variétés en provenance du MSIRI ont été homologuées. Elles sont adaptées à divers environnements. Ce qui constitue ainsi un choix de variétés plus étendu aux producteurs. La dernière-née se nomme M 591/01. Elle a été approuvée il y a une semaine. Elle produit 24 % plus de sucre que les variétés actuellement sous culture y compris celles en provenance de La Réunion.

La Réunion perçoit-elle des redevances par rapport à l’importation des variétés qui lui sont spécifiques ? 
Aux termes d’un accord avec La Réunion, Maurice paie des royalties pour chaque tonne de sucre produite à partir d’une variété réunionnaise. Les accords/contrats entre pays pour l’exploitation de variétés de canne découlent par respect aux droits de propriété intellectuelle. Aucun accord n’existait au moment où les quatre variétés réunionnaises R570, R573, R575 et R579 étaient homologuées en 1985, 1998, 1997 et 2000 respectivement pour la culture industrielle. Nous avons privilégié la carte du maintien de notre collaboration de longue date qui a été jusqu’à présent bénéfique aux deux parties. Néanmoins, cet accord est réciproque. Ainsi, si demain une variété mauricienne est cultivée commercialement à La Réunion, des royalties seront perçues par la partie mauricienne.

Le MSIRI s’est-il désintéressé du rôle de pionnier qu’il jouait naguère sur le plan international en matière de recherche pour centrer ses travaux plus sur les besoins de la communauté de planteurs locaux qu’autre chose ? 
Le MSIRI a toujours focalisé sa recherche pour les producteurs locaux. C’est juste que ce soit ainsi. Par contre, en tant qu’institution de recherche, le MSIRI doit être au même niveau que ses pairs internationaux et cela est reflété par ses découvertes en Recherche & Développement qui sont reconnues par d’autres pays sucriers. Nous avons récemment terminé une étude étalée sur neuf ans en recherche agronomique de la canne à sucre pour le compte de la Côte d’Ivoire. Le contrat pour la conduite de cette étude a été obtenu par le MSIRI en consortium, après un appel d’offres.

Dans le cadre du Sugar Research Programme des pays du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) pour la période allant de 2010 à 2015, sur 13 projets acceptés, huit étaient du MSIRI. Pour la deuxième phase de ce programme qui sera bientôt initiée, neuf projets avec le MSIRI comme chef de file de projet ont été retenus. Maurice exporte ses variétés de canne à sucre à des fins d’exploitation commerciale à plusieurs pays. Certaines ont fait leurs preuves, comme en Afrique. Il est important de préciser que Maurice est reconnu comme un des rares pays sucriers où les maladies et les ravageurs n’ont pas d’impact majeur. Ce n’est ni plus ni moins que le résultat d’un travail de recherche de longue haleine.

À Maurice, c’est le contrôle biologique qui a tout le temps primé ainsi que la résistance variétale. De ce fait, parmi les produits pesticides, seulement les herbicides sont utilisés localement. Par contre, le recours aux insecticides et aux fongicides ne s’effectue que de manière infime. Nos travaux en biotechnologie sont reconnus à l’échelle mondiale. Les publications de nos chercheurs dans divers domaines ont été acceptées dans des revues scientifiques de haut niveau avec des comités de lecture communément appelés le Peer Review.

Où en êtes-vous par rapport à la production des variétés ayant plus de propriétés énergétiques et plus écologiques ? 
Le MSIRI n’est pas insensible aux possibilités de l’utilisation de la biomasse pour les énergies renouvelables. Il a ainsi établi un programme de recherche satellite autour de son programme conventionnel pour le développement des variétés à forte teneur en fibre et qui continue. Nous avons déjà quelques variétés prêtes pour l’exploitation avec des teneurs en fibre plus élevées.

Dans votre programme 2016/2020, il est question, entre autres, de la production de New sugars proposed for manufacturing. Où en est-on avec ce projet ?
Ce créneau a été exploité dans le but de valoriser nos sucres. Des résultats extrêmement intéressants ont été obtenus à partir de ce projet. Nous avons co-crystallisé le sucre (saccharose) avec des polyols. L’objectif a été de réduire l’indice glycémique du sucre. Nous avons obtenu des sucres avec de nouvelles propriétés. Des antioxydants extraits à partir de la canne à sucre y ont été ajoutés. Des études novatrices ont été engagées sur nos sucres spéciaux. Toutefois, ces études ayant été entreprises en partenariat avec une société sucrière mauricienne, nous ne pouvons à ce stade commenter ces résultats avec plus de détails, étant liés par des accords de confidentialité.

Dans votre programme 2016/2020, il est question, entre autres, de la production de New sugars proposed for manufacturing. Où en est-on avec ce projet ? 
Ce créneau a été exploité dans le but de valoriser nos sucres. Des résultats extrêmement intéressants ont été obtenus à partir de ce projet. Nous avons co-crystallisé le sucre (saccharose) avec des polyols. L’objectif a été de réduire l’indice glycémique du sucre. Nous avons obtenu des sucres avec de nouvelles propriétés. Des antioxydants extraits à partir de la canne à sucre y ont été ajoutés. Des études novatrices ont été engagées sur nos sucres spéciaux. Toutefois, ces études ayant été entreprises en partenariat avec une société sucrière mauricienne, nous ne pouvons à ce stade commenter ces résultats avec plus de détails, étant liés par des accords de confidentialité.

Comment la dotation budgétaire pour les recherches a-t-elle évolué dans le temps de 2010 à nos jours ?
Les changements qui se sont opérés au MSIRI pendant ces dernières années méritent d’être soulignés. L’ancien MSIRI avant 2012 avait un personnel doublement plus étoffé avec 88 chercheurs et techniciens. À la suite de la fusion des institutions sous la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA), le MSIRI s’est retrouvé, après la mise en place d’un programme de départ volontaire à la retraite, avec seulement 49 chercheurs et techniciens et une réduction importante de son personnel encadrant. Il s’est quand même réorganisé pour mener à bien son programme et pour répondre aux attentes des producteurs. Avec un personnel réduit, son budget est aussi relativisé en conséquence. Comme c’est un budget global, je ne peux me prononcer sur le budget total du MSIRI suivant la fusion des différentes institutions sous la MCIA.

Par contre, le budget alloué pour la Recherche et le Développement (R&D) varie entre Rs 12-15 millions par an depuis la création de la MCIA. C’est loin d’être suffisant. Nous faisons de grands efforts pour trouver des financements externes, par exemple auprès du Mauritius Research Council et dans le cadre des fonds du groupe des ACP. Ces budgets additionnels nous permettent de renouveler nos équipements, nos infrastructures et de poursuivre une recherche de niveau mondial pour le secteur cannier. Nous pensons que ces projets internationaux contribueraient à renforcer nos capacités. Il faut rappeler que la recherche est un investissement et le retour sur cet investissement est proportionnel.