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Laurent Baucheron de Boissoudy: «Aider une personne suicidaire n’est pas à la portée de tout le monde»

10 septembre 2019, 16:16

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Laurent Baucheron de Boissoudy: «Aider une personne suicidaire n’est pas à la portée de tout le monde»

À l’échelle mondiale, on estime qu’une personne met fin à ses jours toutes les 40 secondes et qu’une tentative a lieu toutes les 3 secondes. Ces chiffres seraient beaucoup plus élevés que les personnes tuées dans les guerres et catastrophes naturelles. La Journée mondiale de la prévention du suicide, commémorée aujourd’hui, vise à sensibiliser le grand public à l’ampleur du problème.

Qu’est-ce qui explique qu’une personne veuille mettre fin à sa vie ?
Chacun d’entre nous a, au cours de sa vie, développé des capacités pour gérer une situation de crise. Certaines personnes n’ont, malheureusement, pas pu acquérir assez de confiance en ellesmêmes et dans les autres qui leur aurait permis d’élaborer des stratégies pour gérer leurs problèmes. Lorsqu’elles rencontrent une difficulté qui les dépasse, elles ont l’impression qu’elles ne s’en sortiront pas et décident de mettre fin à leurs jours.

Y a-t-il des signes indiquant qu’une personne est suicidaire ? Si oui, lesquels ?
Il y a certains signes qui peuvent permettre de considérer qu’une personne est en danger de passage à l’acte suicidaire. La personne qui traverse une crise grave mais reste «étrangement» calme, comme si elle ne ressentait pas d’émotion. La personne habituellement assez joviale et communicative qui devient silencieuse, se replie sur elle-même et s’isole. Rappelons qu’une personne qui «fait du bruit», se plaint, crie ou pleure, autrement dit, s’exprime, réduit considérablement l’éventualité d’un passage à l’acte réel.

Si l’on constate qu’une personne de notre entourage est suicidaire, que doit-on faire ?
La première recommandation est d’éviter absolument que cette personne ne se retrouve seule. Il faut l’obliger à parler, à maintenir le lien avec des personnes, si possible, empathiques et bienveillantes. Dans un second temps, il faudrait l’encourager à s’exprimer, à partager les raisons qui la tourmentent.

Quelles sont les situations qui peuvent mener une personne à vouloir mettre fin à sa vie ?
Pour arriver à cette «dernière extrémité », il faut qu’un enfant, un homme ou une femme ait la conviction qu’il ne verra pas le bout du tunnel, qu’il ne va pas s’en sortir. Les causes principales de suicide sont les peines amoureuses chez les jeunes entre 15 et 25 ans et les soucis financiers majeurs chez les adultes entre 30 et 50 ans. Le harcèlement psychologique ou physique, la maltraitance, les abus sexuels sont aussi des causes de tentatives de suicide.

La plupart des personnes qui pensent au suicide finissent-elles par passer à l’acte ?
Non, pas du tout ! Un grand nombre de gens confient penser occasionnellement au suicide lorsqu’ils traversent une épreuve qui les affecte particulièrement. Pour une grande majorité, cette pensée ne fait que les effleurer, ne dure que quelques minutes, avant que la pulsion de vie ne reprenne le dessus.

Sommes-nous équipés pour aider une personne suicidaire ?
Aider une personne suicidaire n’est pas à la portée de tout le monde. Il existe des formations spécifiques pour ce type de prise en charge afin d’apprendre à écouter, à «contenir» la souffrance de l’autre, à conserver assez de recul pour être dans une attitude d’empathie et non de collage émotionnel qui pourrait être finalement stérile, voir nocif, pour l’écoutant comme pour la personne en souffrance.

Pensez-vous que ce sujet – le suicide – soit encore tabou à Maurice. Comment faire pour qu’il ne le soit plus ?
Oui, le suicide est un sujet tabou car il renvoie à des notions que l’homme méprise : l’échec, le manque de courage, la dépression, la lâcheté, la souffrance et la mort… autant de points que notre culture cherche à nier en prônant le culte de la réussite sociale, amoureuse et professionnelle.

Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé de 2017, basés sur une étude menée en 2014 sur 100 000 personnes, il y aurait plus d’hommes que de femmes qui se suicident. Pourquoi les hommes sont-ils plus vulnérables ?
Les hommes sont moins enclins que les femmes à parler d’eux-mêmes, à se livrer, à partager. Ils gardent généralement leurs affects et leurs émotions pour eux. Ils ne bénéficient donc pas de l’effet thérapeutique, courant et naturel chez les femmes, de partager leurs humeurs avec leurs amies, soeurs ou mère. Dans l’absence de reconnaissance et de partage des causes de leur stress, les hommes finissent par «craquer» et en arrivent à mettre fin à leurs jours, ne sachant pas comment gérer autrement une souffrance insurmontable.

Selon cette même étude, ce sont les hommes âgés entre 35 et 54 ans qui auraient plus tendance à se suicider. Pourquoi cette tranche d’âge serait plus critique ?
Cette tranche d’âge correspond à la période durant laquelle la société attend d’un homme qu’il soit efficace, performant et rentable sur le plan professionnel et financier. S’il est engagé dans une vie familiale, l’homme ressent qu’il lui incombe d’assurer la sécurité matérielle et financière de ses proches. L’homme «protège», nous dicte l’inconscient collectif ! En cas de baisse de salaire, de perte d’emploi ou de perte d’argent, certains hommes se sentent si profondément remis en cause, dévalorisés, voire dévastés, que cela leur est tout simplement insupportable.

De nos jours, le genre est un enjeu important et reste encore tabou. Un homme peut se sentir femme et une femme peut se sentir homme. Cette situation peut-elle mener au suicide ? Si oui, que devons-nous faire ?
Vous abordez là un point très important, tout à fait d’actualité. Les personnes qui ne s’inscrivent pas dans le schéma classique, attendu par la société, au niveau de leur identité sexuelle vont être particulièrement exposées au risque de suicide. La question du «transgenre» est un tabou dans notre culture et les personnes concernées souffrent à la fois de leur recherche d’identité atypique mais plus encore et principalement du sentiment de rejet et de mépris qu’elles vont subir dans leur vie quotidienne. Les mentalités doivent continuer à évoluer afin de pouvoir prendre en considération les différences interindividuelles et développer la tolérance envers toutes les formes d’expression qui s’éloignent de la norme.

Prenons le cas contraire, que recommandez-vous à une personne qui pense souvent à mettre fin à sa vie mais n’en parle jamais autour d’elle ?
Il est essentiel que, dans un cas pareil, quelqu’un qui pense à se donner la mort puisse se tourner vers un proche, un ami ou un membre de sa famille pour partager son mal-être. Il est certain que l’idéal est de faire appel à un/une professionnel(le) de l’aide et de l’écoute, qui optimisera les chances d’apaiser la souffrance de cette personne suicidaire.

À ceux dont un proche a mis fin à ses jours, que conseillez-vous ?
Pour les proches, le suicide est souvent un traumatisme qui laisse longtemps des traces indélébiles car ils seront envahis par un sentiment de culpabilité. «Comment n’ai-je pas pu voir qu’il/elle allait si mal ?» ; «Si seulement j’avais su, si je l’avais appelé…». Je conseillerai chaleureusement aux personnes qui ont traversé l’épreuve d’un proche qui s’est suicidé d’entreprendre une thérapie, pour pouvoir se libérer de cette charge émotionnelle.

 

Bio Express

<p style="text-align: justify;">Laurent Baucheron de Boissoudy est né en février 1966 à Aix-en- Provence, dans le sud de la France. Aujourd&rsquo;hui âgé de 53 ans, il a longtemps travaillé avec les jeunes enfants puis il a rapidement diversifié et enrichi sa pratique : programme de réinsertion de détenus, accompagnement de personnes victimes d&rsquo;accidents graves ou de tentatives de suicide ou formation d&rsquo;élèves infirmières. Venu vivre à Maurice en 2009, il travaille aujourd&rsquo;hui dans une école pour enfants à besoins spéciaux, Ruth School à Rose-Hill, et avec l&rsquo;ONG OpenMind, qui assure la prise en charge thérapeutique d&rsquo;enfants et d&rsquo;adultes en souffrance à travers des ateliers d&rsquo;art-thérapie. Il vient de rejoindre l&rsquo;équipe thérapeutique du centre Chrysalide, qui oeuvre pour la réhabilitation de femmes en proie aux addictions.</p>