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Campagne électorale: des promesses populaires mais quid des grands enjeux économiques ?

16 octobre 2019, 18:00

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Campagne électorale: des promesses populaires mais quid des grands enjeux économiques ?

Qu’on ne se voile pas la face, les grands enjeux économiques sont absents des thématiques de campagne des principales formations aspirant à former le prochains gouvernement. On assiste à la place à une multiplication de promesses électorales les unes plus fantaisistes que les autres. A tel point que c’est la surenchère. Or, des défis économiques de taille guettent le pays qui ambitionne de passer prochainement au seuil de «haut revenu».

La problématique d’une croissance molle, couplée à un taux de chômage inquiétant chez les jeunes, en passant par un niveau d’endettement public financièrement insoutenable, aurait dû interpeller les décideurs économiques engagés dans cette joute électorale.

Un Job Fair à l’auditorium Octave Wiehé. Le taux de chômage chez les jeunes est inquiétant.

Croissance: dépasser le seuil psychologique de 4 %

Pour retrouver une croissance de 4 %, il faut remonter aussi loin que 2010 quand le PIB avait crû de 4,2 %. Depuis, la croissance moyenne oscille autour de 3,5 %. Pour 2019, Statistics Mauritius prévoit un taux de 3,8 % alors que l’Article 14 du Fonds monétaire international (FMI) sur Maurice, publié en avril dernier, a estimé une croissance de 4 % à moyen terme, soit à partir de 2021. Nul besoin de trouver des boucs émissaires ou de se livrer à des explications techniques qui ne tiennent pas la route. Or, la question qui mérite d’être posée est celle-ci : est-ce la fin d’un cycle ?

Le gouvernement sortant prône depuis 2015 un modèle économique privilégiant la reprise de la croissance tirée par la consommation, une posture développée par la Chambre de commerce et d’industrie. Son ancien économiste en chef, aujourd’hui candidat de l’Alliance Morisien dans la circonscription Souillac–Rivière-des-Anguilles, Renganaden Padayachy, a défendu cette position à travers ses publications et ses recherches sur la modélisation économétrique, insistant qu’une hausse de 1 point de pourcentage de la consommation augmenterait le taux de croissance économique de 0,56 point de pourcentage.

Du reste, le gouvernement a depuis 2015 pris un certain nombre de mesures économiques pour augmenter le pouvoir d’achat de la population en lui donnant des moyens financiers pour consommer davantage. Ces mesures vont de l’introduction du salaire minimum à l’avènement de l’impôt négatif, en passant par l’augmentation de la pension de retraite.

Croissance inclusive

Est-ce la même philosophie économique qui sera poursuivie en cas d’une éventuelle victoire électorale de l’Alliance Morisien de Pravind Jugnauth ? Sans doute, oui. Car son ministre des Finances identifié, Renganaden Padayachy, se dit déjà «partie prenante de ce vaste chantier dans lequel s’est engagé Pravind Jugnauth pour rendre la croissance économique plus inclusive…»

En revanche, d’autres économistes s’élèvent contre cette posture où la croissance est principalement tirée par la consommation. Aujourd’hui, le produit intérieur brut, qui franchira prochainement la barre de Rs 500 milliards, est tiré à 75 % par la consommation. «Ce qui, économiquement, n’est pas sain car une crise réduisant le pouvoir d’achat des consommateurs pourrait le fragiliser», explique un observateur économique.

Aussi, qui dit consommation, dit forcément importation, le pays important plus de 75 % de ses produits (alimentaires et autres). D’ailleurs, la Banque de Maurice ne cesse de tirer la sonnette d’alarme en rappelant la proportion inquiétante du déficit du compte courant d’une année à l’autre.

Selon les National Accounts, les exportations nettes en biens et services sont déficitaires depuis plusieurs années, avec des estimations de Rs 74 milliards pour 2019 contre Rs 65,3 milliards en 2018. «Du coup, avoir recours à la consommation comme un moyen pour relancer la croissance peut s’avérer une arme à double tranchant car ce qu’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre», soutient un autre économiste.

Explosion de la dette publique

Avec l’annonce des promesses électorales tant par l’alliance gouvernementale que par l’opposition Ptr, évaluées d’ailleurs en milliards de roupies, les économistes indépendants s’interrogent sur le chiffrage de ces cadeaux électoraux et la capacité de l’économie à soutenir leur financement. Et ce, sans laisser filer en contrepartie la dette publique. Véritable exercice d’équilibriste pour les responsables économiques des deux alliances politiques appelés à les exécuter.

À y voir de plus près, c’est de la surenchère électorale, frisant dans bien de cas la démagogie. L’annonce de Pravind Jugnauth de doubler la pension de retraite à Rs 13 500 d’ici les cinq prochaines années suscite des interrogations notamment quant à son financement. Cela d’autant plus que le budget de la pension ponctionnera à lui seul, suivant cette mesure, Rs 40 milliards des revenus fiscaux qui totalisent en moyenne Rs 100 milliards engrangées par la Mauritius Revenue Authority. Et ce, même si le leader du MSM insiste que toutes les promesses durant son mandat ont été réalisées.

Or, il n’y a pas mille solutions pour financer cette promesse électorale, à condition que le prochain gouvernement procède à une augmentation tous azimuts des différentes taxes perçues, qu’elles soient la TVA, les droits d’accises sur les cigarettes et les boissons alcoolisées ou encore sur les jeux. Pire, il n’aura d’autre choix que de laisser filer le déficit budgétaire, ce qui accroîtra la dette publique.

Hausse de 52 % en cinq ans

En fait, en cinq ans, soit de décembre 2014 à juin 2020, la dette publique a augmenté de 52 %, selon les estimations du FMI, passant de Rs 228,5 milliards à Rs 361,2 milliards. Idem pour le poids de la dette par habitant qui a connu la même tendance haussière.

L’année financière se terminant au 30 juin 2020 est jugée cruciale par le FMI vu qu’au terme de cette période la totalité des investissements engloutis dans Metro Express sera absorbée. Ce qui donnerait du coup une image exacte de l’ampleur de la dette publique, qui se situerait selon la même institution financière à 67,5 % du PIB.

«La dette, c’est de l’impôt différé. C’est-à-dire on emprunte parce qu’on ne veut pas augmenter les impôts maintenant. Cependant, cela implique que nos enfants et nos petits-enfants auront des taux d’imposition fiscale plus élevés pour des dépenses qu’ils n’auront pas votées. Autrement dit, on consomme maintenant mais ce sont nos enfants et petits-enfants qui vont passer à la caisse après», fait remarquer un économiste qui a voulu garder l’anonymat.

En regardant de près l’évolution de la dette publique, force est de constater que la tendance est à la hausse. Selon les statistiques compilées par le FMI, de juin 2012 à juin 2022. Toutefois, si de 2012 à juin 2014, elle s’est limitée à 60 % du PIB, elle a crevé ce plafond à la fin de 2014 et a poursuivi sur cette même tendance en 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019. Les économistes du FMI tablent sur une dette publique de Rs 409 milliards en juin 2022, ce qui représenterait 66,7 % du PIB, qui devrait alors graviter autour de Rs 614 milliards.

Reste la pratique récente du Trésor public de recourir à des emprunts hors Budget pour financer la croissance du pays. Le Country Senior Partner de PwC, Anthony Leung Shing, estimait dans une récente interview que «si on inclut les prêts hors Budget, notamment ceux destinés à financer le Metro Express et la Safe City, la dette publique passera à plus de 70 % du PIB. Et si on analyse la composition de la dette, on notera que 90 % de celle-ci sont à un taux fixe et qu’environ 80 % relèvent de la dette domestique où les risques liés au taux de change sont inexistants».

Retour sur investissement

Certes, il y a une autre école de pensée qui souligne que le taux de la dette ne doit pas être un frein au développement économique. Certains analystes estiment que même si un pays dépasse le plafond autorisé, ce n’est certainement pas la fin du monde, à condition toutefois que le retour sur les investissements soit assuré et que les milliards de roupies soient injectées dans des secteurs productifs.

À trois semaines des élections générales, aucun candidat des principaux blocs politiques n’apporte aujourd’hui une réflexion sérieuse sur cette question alors même que celle-ci devrait être un thème phare de la campagne électorale. D’autant plus qu’il reste un sujet de polémique avec la décision du ministre des Finances, Pravind Jugnauth, d’annoncer dans le Budget 2019/20 le remboursement de la dette publique avant l’échéance de 2021 et ce, en ponctionnant Rs 18 milliards du Special Reserve Fund de la Banque de Maurice.