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Panser et repenser l’Afrique en 2020

2 janvier 2020, 12:18

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Panser et repenser l’Afrique en 2020

Plus d’une quinzaine de pays africains, ayant acquis leur indépendance en 1960, deviendront sexagénaires en 2020. Mais 60 ans, contrairement à la vie des humains, c’est encore jeune pour des États que l’Occident a pillés et découpés. Devrait-on alors s’étonner que nombre de pays africains cherchent, aujourd’hui encore, leur identité propre et leur place dans l’économie mondiale ? Mais à quel point peut-on blâmer le passé perpétuellement…

Ce 1er janvier donc, le Cameroun, qu’on décrit comme «l’Afrique en miniature», ouvrira le bal des soixantièmes anniversaires. Mais, comme c’est le cas un peu partout sur le continent, l’heure n’est guère aux réjouissances. Ce pays d’environ 25 millions d’âmes, qui n’a connu que deux chefs d’État (l’actuel homme fort Paul Biya, 86 ans, est aux commandes depuis 1982 !), connaît, comme ses voisins, l’une des périodes les plus sombres de son histoire, entre attaques terroristes de Boko Haram au Nord, conflits armés dans l’Ouest anglophone, affrontements entre groupes séparatistes et les forces armées dans le Sud-Ouest…

Après le Cameroun, 13 autres anciennes colonies françaises, de même que la République démocratique du Congo (RDC), la Somalie et le Nigeria rejoindront le club du 3e âge. Leur bilan n’est pas reluisant. Si le climat des affaires n’est pas encore au beau fixe dans ces pays, malgré quelques embellies ça et là, le continent pense pouvoir miser sur son capital humain, atout de taille indispensable à la croissance des entreprises sur le continent et au développement. D’ailleurs, les géants des technologies nouvelles sont tous implantés sur le continent depuis ces dernières années Ils convoitent la jeunesse africaine, qui est formée et mise au service de la 4e révolution industrielle (intelligence artificielle, codage informatique, technique robotique). Bien beau tout cela, mais…

…pour saisir les nouvelles technologies et faire émerger les nouvelles industries, l’Afrique doit d’abord surmonter ses problèmes liés à la sécurité et, surtout, arrêter de «dormir sur la natte des autres», comme le disait si bien l’historien Joseph Ki-Zerbo, qui ne comprenait pas pourquoi les instances de légitimation des intellectuels et des artistes africains demeurent les capitales occidentales. «Les solutions utilisées notamment dans la gouvernance et la mise en oeuvre des politiques publiques, économiques ou sociales, sont importées, calquées sur des modèles exogènes, qui ont échoué et entraîné ailleurs des crises sociales et des crises de sens. Ces modèles sont responsables du dérèglement climatique, de la montée des populismes et du nationalisme en Europe. Continuer à les importer prouve que nous ne pensons pas suffisamment notre destin d’Africains.»

Si l’Afrique a effectivement fait du chemin, les risques demeurent immenses. Reconnaissons que son réveil économique des dix dernières années est surtout suscité par l’intérêt du reste du monde (Chine en tête) pour ses matières premières, pas pour son éthique du travail ou sa science ou sa manufacture. Une bourgeoisie a bien été créée et elle consomme plus, mais l’Afrique n’est pas sans tache. C’est quand même le continent qui a produit les dictateurs que sont Bongo, Déby, Nguesso, El-Béchir, Dos Santos, Abacha, Jammeh, Museveni, Mbasogo, Bokassa, Mugabe, Biya, Kadhafi, Amin Dada, Wade, Mobutu et bien d’autres*. C’est quand même le continent le plus pillé de la planète, à une époque par les marchands d’esclaves et les colonisateurs, maintenant par les fils du sol eux-mêmes, qui tâtent et qui tètent des intérêts économiques étrangers puissants. C’est aussi, pour rappel, le continent de la dysenterie, du virus Ebola, de la malaria, du typhus, de la maladie du sommeil (trypanosomiase), de la cécité de rivière (onchocercose), de la bilharziose, de villes entières avec des égouts à ciel ouvert, des «flying toilets» (à Nairobi, et peut-être ailleurs, dans les bidonvilles, on fait ses besoins dans un sac en plastique et puis on le lance… ailleurs !), des trafics de diamants, des derniers génocides connus, des mutilations génitales de femmes, des enfants soldats, de la posologie anti-sida qui consiste à se taper une vierge et à se doucher, des kidnappings d’hommes d’affaires, des crocodiles à qui on sert ses adversaires… On l’a souvent écrit ici même : l’Afrique n’est pas que cela évidemment et il y a des prospects certains, mais soyons au moins raisonnés et circonspects quand on se lance vers l’eldorado africain.

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Pour enclencher une pensée africaine, il faut encore parcourir du chemin, avant d’arriver à une vraie décolonisation des pays et des esprits. Cette recherche de souveraineté ne peut que passer par l’éducation, notamment dans un contexte de crise de l’éducation dans de nombreux pays. Tous les experts en gouvernance vous diront qu’il n’est pas possible de construire un peuple et rendre sa dignité à un continent si, à la base, l’éducation est défaillante.

L’autre volet important demeure, bien entendu, la culture. Comme à Maurice, la culture est le parent pauvre des politiques sur le continent. À chaque fois que le budget est serré ou intenable, c’est celui de la culture qu’on sacrifie. C’est aujourd’hui le cas au Sénégal qui vit à l’heure des ajustements structurels qui marquent une rupture avec cette grande idée qu’on avait de la culture à l’époque de Léopold Sédar Senghor. Ce dernier insistant que celui qui détient la culture détient le coeur d’une nation.

2020 sera donc une guerre des idées, au-delà des anniversaires et des fanfares.

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Deux remarques en guise de conclusion. (1) Maurice, en comparaison, est-il un vrai petit paradis ? Même s’il y a eu ici des tentations totalitaires, la société civile, l’opposition du moment et les médias ont été heureusement assez forts pour résister. Mais quand on pense à la réalité de l’Afrique, est-ce vraiment l’échelle de comparaison que nous souhaitons ? (2) On peut noter que les Mauriciens qui ne sont pas satisfaits de leur pays n’émigrent pas vers l’eldorado africain… malgré tous les discours.