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Attaques contre l’offshore mauricien: Wikileaks et Al-Jazeera s’y mettent
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Attaques contre l’offshore mauricien: Wikileaks et Al-Jazeera s’y mettent
«Je n’ai jamais rien vu d’aussi antipatriotique», avait répondu Pravind Jugnauth quand le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ) et l’express avaient révélé les Mauritius Leaks. Cette excuse va-t-elle tenir cette fois encore ? Dans la base de données baptisées «fishrot», mises en ligne par Wikileaks et sur laquelle Al-Jazeera a enquêtée, l’offshore mauricien est encore une fois épinglé. Des sommes colossales en milliards de roupies, générées à priori illégalement en Namibie, ont transité par Ebène.
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C’est une retentissante affaire de corruption qui secoue la Namibie et l’Islande. Sept personnes ont été arrêtées en Namibie, dont le ministre de la Pêche, et celui de la Justice, qui ont dû démissionner. Cela après que Wikileaks a mis en ligne 40 gigabits de dossiers, documents, e-mails et procès-verbaux de Samherji, une énorme compagnie de pêche islandaise.
Al-Jazeera et RÚV, la chaîne de télévision publique islandaise, ont obtenu la primeur de l’enquête et leurs constats sont les mêmes : Maurice a bel et bien été utilisé pour créer une compagnie fictive pour que Samherji ne s’acquitte pas de ses taxes en Namibie.
Cette accusation à laquelle Maurice est maintenant habitué (NdlR, l’ICIJ et l’express avaient révélé cette pratique dans les Mauritius Leaks en juillet 2019) est, cette fois, couplée d’un dénominateur inédit : l’argent découle directement d’une fraude avec des pots-de-vin payés à des ministres, haut-fonctionnaires et politiciens namibiens pour que la compagnie islandaise obtienne de plus gros quotas de pêche dans les eaux namibiennes. Grâce à ces quotas, Samherji a généré d’énormes profits de ses activités de pêche. Mais Samherji va contourner la taxe de 32 % en Namibie avec la méthode classique.
Coquille vide à Ébène
Elle crée une société offshore, qu’elle baptise Mermaria Investments, à Ébène avec l’aide d’une des plus grandes firmes mauriciennes, International Financial Services (IFS). Du fait même que c’est une société offshore, l’actionnariat n’est pas public et les autorités namibiennes ne savent pas que Mermaria est une filiale de Samherji.
Le fisc namibien ne sait pas que Mermaria est en fait une coquille vide. Sur papier, Samherji fait croire que Mermaria emploie plusieurs personnes et lui fournit des services comme le «savoir-faire de la pêche au maquereau», ou encore le «staffing». Mais en vérité, il n’en est rien. Mermaria ne mène aucune activité à Maurice. Il n’a même pas un bureau.
Sur tous les documents que nous avons consultés dans la base de données de Wikileaks (la base de données est publique, il suffit de chercher fishrot sur Google), l’adresse de Mermaria n’est autre que celle d’IFS. D’ailleurs cette base de données contient même les premiers échanges entre Samherji et IFS. «Nous voulons juste utiliser Maurice comme plateforme pour faire sortir de l’argent de la Namibie pour l’envoyer à Chypre» écrit noir sur blanc Samherji dans ses premiers e-mails à IFS en 2014.
La source de Wikileaks
Cinq ans après, Samherji a réussi à transférer des millions de dollars à Maurice. La somme exacte n’est pas connue, mais dans la base de données de Wikileaks qui couvre uniquement la période de 2015 à 2016, on retrouve au moins un transfert bancaire de 40 millions de rands (Rs 120 millions) en juin 2016, et des factures de Mermaria vers la Namibie totalisant 80 millions de rands et 1,1 million de dollars (Rs 270 millions au total).
Toute la documentation que Wikileaks appelle les «Fishrot files» lui a été remise par Johannes Stefansson, un ex-employé de Samherji, directeur des opérations en Namibie. Dans des documentaires consacrés à cette affaire à laquelle ils accordent énormément d’importance, Al-Jazeera et RÚV octroient de longs temps de parole à ce whistleblower, dénonciateur de toute la fraude.
Dans une déclaration faite à l’express via une application de messagerie et d’appels cryptés, Johannes Stefansson, la source de Wikileaks, confie que «Maurice est devenu une solution pour l’évasion fiscale et c’est ainsi que nous avons créé Mermaria Investments chez vous. Quand parallèlement on paie des pots-de-vin pour obtenir de gros marchés, il faut pouvoir payer le moins de taxes possibles. Et Maurice est ainsi devenu crucial dans la structure de la corruption dont nous étions les auteurs en Namibie».
Battage médiatique mondial
Dans le documentaire diffusé à la télévision islandaise, plusieurs minutes sont consacrées à l’utilisation de la juridiction mauricienne. «Une grande partie de l’enquête en Namibie a été confiée aux autorités fiscales. Samherji a possiblement enfreint les règles fiscales en créant une subsidiaire à Maurice qui l’a facturé pour des centaines de milliers de dollars par an pour des activités qui n’ont jamais eu lieu à Maurice», explique le journaliste.
L’express s’est aussi entretenu avec James Kleinfeld, journaliste d’investigation à Al-Jazeera. Son enquête était beaucoup plus axée sur la corruption en Namibie avec les ministres filmés en caméra cachée en flagrant délit de sollicitation de pots-de-vin.
Néanmoins, explique James Kleinfeld, «l’unité d’investigation d’Al-Jazeera a consulté les documents qui démontrent à quel point Maurice, à travers les traités de non double imposition, facilite la corruption entre le conglomérat islandais de la pêche, Samherji et les figures puissantes de l’élite politique namibienne. À la fin, nous avons pris la décision de concentrer nos énergies sur les relations corrompues entre la compagnie et les politiciens pour exploiter les ressources marines lucratives de la Namibie, même s’il était clair pour nous que le blanchiment de telles sommes d’argent n’aurait pas été possible sans les accords bilatéraux en place avec Maurice».
Déclaration classique des autorités
Quand l’affaire a éclaté à l’échelle mondiale en novembre dernier, le nouveau ministre des Services financiers a été prompt à réagir en donnant à la MBC une déclaration aussi officielle que classique : «Les autorités mauriciennes travaillent depuis plus d’un an avec les autorités compétentes sur ce sujet», a déclaré Mahen Seeruttun. Il précise que «des enquêtes ont été ouvertes et l’affaire est suivie de près», avant de rassurer que «Maurice s’engage à adhérer dans ce domaine aux meilleures pratiques et aux normes internationales.»
Sollicitée par l’express, la Financial Services Commission (FSC) n’a pas été plus loquace, se réfugiant comme d’habitude derrière la confidentialité que lui impose la loi. «Nous prendrons des actions ou des sanctions s’il le faut à la lumière de l’enquête en cours», répond la FSC.
Une réponse classique qui ne satisfait cependant pas les organisations panafricaines qui demandent plus de justice dans la fiscalité du continent, à l’instar d’Alvin Mosioma, directeur de l’organisation non gouvernementale Tax Justice Network Africa. «Cette nouvelle affaire confirme, dans la même lignée des Mauritius Leaks, le rôle malsain que joue Maurice à affaiblir ses voisins dans la collecte de leurs taxes. Les réponses des autorités mauriciennes se suivent et se ressemblent quand, à chaque fois, elles invoquent les normes internationales. Or, cela fait des années depuis que l’on crie que les normes internationales ne sont pas justes. La seule lueur d’espoir que j’aie, c’est que cette fois ce n’est pas une affaire africano-africaine ; ce n’est pas entre la Namibie et Maurice. L’Islande se retrouve au milieu et je ne crois pas qu’elle se laissera marcher sur les pieds comme ça.»
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