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Jacques Li Wan Po: «Salaire minimum et avantages de la Workers’ Rights Act représentent des coûts additionnels»

11 mars 2020, 22:20

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Jacques Li Wan Po: «Salaire minimum et avantages de la Workers’ Rights Act représentent des coûts additionnels»

Le patron du groupe Jacques Li Wan Po estime que c’est encore trop tôt pour saisir les opportunités d’affaires dans le sillage du Covid-19. En revanche, cette épidémie a interpellé les opérateurs économiques sur l’urgence de se préparer face à d’autres risques de cette ampleur. Il estime dans la foulée qu’entre la fermeture du territoire mauricien aux touristes qui génèrent des revenus et l’impérieuse nécessité de préserver la santé publique, il revient au gouvernement de trancher.

Actualité oblige, on dit généralement que les malheurs des uns font le bonheur des autres. Est-ce le cas avec le Covid-9, qui peut ouvrir de nouvelles opportunités d’affaires pour l’industrie locale ?
La question qu’il faut poser malheureusement est celle-ci : combien de temps le Covid-19 va-t-il ébranler le monde? Evidemment, personne ne le sait. Or, le temps est un élément important pour déterminer notre action, soit ce qu’on peut faire ou pas.

Les opportunités à court terme vont certes se présenter, à condition toutefois qu’on ait les facilités de production déjà prêtes.

Et quid des matières premières? Si le monde vit au ralenti, les opportunités seront de courte durée car nous aurons besoin du concours des autres pour atteindre nos objectifs.

En tout cas, c’est encore trop tôt pour saisir les opportunités à moyen ou long terme.

Est-ce que dans votre groupe, une réflexion sérieuse est engagée pour prendre avantage de la crise économique mondiale que cette épidémie pourrait engendrer, en renforçant vos outils de production ?
Il n’y a pas de doute que cette épidémie interpelle toutes les unités économiques dans le monde, incluant la nôtre. Cependant, nous ne pouvons pas spéculer car les informations sont disparates. Dresser un plan d’action à moyen terme n’est pas encore possible.

Le court terme est beaucoup plus une question de comment éviter les pénuries de produits de première nécessité. Mais, là encore, c’est en dehors de notre contrôle dans bien des cas, malheureusement.

Dans un pire scénario, si tout le monde est obligé de rester chez soi, les activités économiques seront paralysées et la consommation sera à son niveau le plus bas.

Il ne faut pas, par ailleurs, oublier que Maurice n’est pas à l’abri d’une infection dans un avenir prochain.

Nos risques sont énormes car nous accueillons des touristes qui sont plus exposés que notre population à l’intérieur du pays.

Alors je me demande : à quel moment faut-il fermer nos frontières aux touristes? D’un côté, nous avons besoin d’eux pour les revenus qu’ils apportent à l’économie et, de l’autre, il y a la santé publique de la population à maintenir.

À la vitesse à laquelle l’épidémie se propage, c’est un choix que le gouvernement aura à faire bientôt.

Le président de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM), Yannis Fayd’herbe, estime que face à ce qui pourrait devenir une pandémie, les entreteneurs doivent développer un modèle économique circulaire qui s’appuie sur l’import-substitution et la promotion à l’export. Qu’en pensez-vous ?
Le Chairman de l’AMM a tout à fait raison de demander aux entrepreneurs de développer un nouveau modèle économique. Mais je crains qu’avec l’épidémie actuelle qui se transformera assez vite en pandémie, c’est un peu tard. À moins qu’on assume qu’elle va durer pendant longtemps encore.

Tout nouveau modèle, économique ou pas, demande du temps pour être réalisé mais le monde est déjà en mode alerte et fait du «firefighting».

En revanche, cette épidémie sera une motivation pour réfléchir à la nécessité de préparer un plan d’action ou un nouveau modèle économique pour la prochaine catastrophe.

Quelle évaluation faites-vous des entreprises de substitution, dont vous êtes un des pionniers, depuis leur avènement, fin des années 60, début des années 70 ?
Très positive, même si, en cours de route, un certain nombre d’entreprises de substitution à l’importation a disparu. Je pense notamment à celles engagées dans la fabrication de piles électriques, de lames de rasoir, de pailles de fer ou encore de bonbons et autres chaussettes.

D’autres ont tenu le coup pendant un certain temps avant d’être reprises par d’autres investisseurs. À l’instar des biscuits Subana et le yaourt de la Laiterie de Curepipe.

Tout compte fait, un groupe d’entreprises a survécu au temps et à tous les défis de la libéralisation imposés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans les années 90.

Celles qui sont toujours opérationnelles se sont développées au fil des années, diversifiant leur gamme de produits. Autant que je sache, elles sont toutes en bonne posture et opèrent majoritairement dans l’alimentation ainsi que dans la production de boissons. On compte Food Canners, qui jouit toujours de la confiance des consommateurs.

Qu’est-ce qui explique la survie de Food Canners?
À la créativité de toujours étoffer sa palette de produits, à leur qualité, avec des investissements dans les dernières technologies de production et, enfin, au niveau de productivité de l’entreprise, compte tenu de l’utilisation des équipements de pointe.

D’après les sondages réalisés par diverses organisations, la marque-phare Sunny est classée régulièrement comme une des marques préférées des consommateurs mauriciens.

Estimez-vous que la contribution de cette industrie au sein de l’économie mauricienne, tant au niveau de la création d’emplois que celle des richesses du pays, aura été bénéfique ?
Il n’y a pas de doute que l’industrie locale a énormément contribué au développement économique du pays, surtout dans les années 60 et 80.

Certes, les protections accordées à l’époque ont grandement contribué à leur épanouissement, en créant des emplois face à un taux de chômage élevé qui prévalait. Parallèlement, la production locale aidait à substituer les importations, réduisant ainsi les demandes en devises étrangères dont le pays ne disposait pas alors.

L’industrie locale était devenue le moteur de croissance de Maurice durant cette période. Et, avec l’industrie sucrière, qui était à l’époque le premier pilier économique, et celle du tourisme, qui commençait à peine à se développer, les entreprises manufacturières de substitution ont aidé à donner cette impulsion à l’économie et permis au pays d’entamer sa première phase de développement.

Il faut dire aussi que même si certaines de ces entreprises ont débuté comme des petites et moyennes entreprises (PME) et se sont par la suite transformées pour s’adapter aux exigences mondiales, elles restent foncièrement des PME et méritent en conséquence d’être soutenues par les autorités. Comme c’est le cas d’ailleurs à travers le monde, et ce, face à la concurrence importée.

52 ans après l’Indépendance, êtes-vous satisfait que l’industrie mauricienne a été à la hauteur pour répondre aux attentes sans cesse exigeantes des consommateurs mauriciens ?
Disons que celles qui n’ont pas pu répondre aux attentes des consommateurs ont disparu. Notre marché est hélas envahi aujourd’hui par des produits importés et comme les consommateurs n’achètent pas par patriotisme, très peu le font malheureusement. L’industrie locale ne peut survivre s’il n’existe pas un bon rapport qualité-prix au goût des consommateurs. Bien entendu, il y a la notion de compétitivité et c’est là où se trouve notre principale faiblesse.

On ne cessera de le répéter: pour être concurrentielle, une entreprise doit pouvoir s’approvisionner en matières premières à bas prix, minimiser les coûts de la main-d’œuvre et ceux liés aux opérations.

Pour une petite île comme Maurice, qui ne produit pas de matières premières, où les coûts de la main-d’œuvre ne cessent d’augmenter et où la productivité ne progresse pas, où, encore, l’exiguïté du marché domestique ne permet pas des économies d’échelle, essayer d’atteindre un certain niveau de compétitivité est un gros défi.

Ce qui me pousse à dire que toutes ces entreprises qui opèrent toujours ont fait leurs preuves. Mais la lutte s’avère difficile car les consommateurs qui sont rois sont impitoyables dans leur choix de produits.

Je sais que l’AMM fait beaucoup d’efforts pour conscientiser les consommateurs et les inciter à acheter Mauricien. Je souhaite ardemment qu’elle réussisse car ce sera une longue bataille.

Il ne faut jamais oublier que la survie d’une marque dans le temps est une preuve indéniable que celle-ci satisfait les attentes des consommateurs.

L’industrie mauricienne contribue actuellement 8,5 % au produit intérieur brut (PIB), génère un chiffre d’affaires annuel de Rs 27 milliards et assure 150 000 emplois directs et indirects. C’est visiblement une force industrielle et commerciale de taille. Est-ce qu’en contrepartie, on peut dire qu’elle bénéficie des mêmes considérations de l’État, voire de sa protection et ce, compte tenu de la concurrence souvent déloyale à laquelle cette industrie est appelée à faire face ?
Evidemment, l’industrie manufacturière mauricienne continue à contribuer énormément à l’économie du pays. Malheureusement, nous savons tous que cette industrie est en perte de vitesse en raison de la mondialisation.

«Tout nouveau modèle, économique ou pas, demande du temps pour être réalisé mais le monde est déjà en mode alerte et fait du ‘firefighting’.»

De par les déclarations d’intention du gouvernement, il n’y pas de doute que les autorités font ce qu’elles peuvent pour maintenir ce secteur en vie. Les mesures prises récemment pour soutenir cette industrie sont à son crédit. Mais sont-elles suffisantes ?
Dans le contexte actuel, on ne peut pas mettre à l’écart les réalités existantes. Notre main-d’œuvre est limitée, alors que nous nous dirigeons vers une économie à haut revenu. Résultat des courses: nous n’aurons pas des ressources naturelles qui auraient pu être converties avec une certaine valeur ajoutée avant d’être exportées.

Autant de défis que nous sommes appelés à gérer. Mais une chose est sûre: la disparition de notre secteur manufacturier aura des conséquences négatives énormes pour l’économie du pays. Il incombe ainsi aux autorités de créer un équilibre qui puisse être bénéfique au pays dans le long terme.

Quels sont les défis auxquels l’industrie mauricienne est appelée à faire face à court et moyen terme?
Notamment ceux liés à la libéralisation de cette industrie face à la mondialisation de l’économie. Les défis, nous les vivons déjà et depuis quelques années déjà.

L’ouverture à outrance de notre marché est responsable du rétrécis-sement ou de la stagnation de notre industrie locale. Pour preuve, pendant de nombreuses années, il n’y a prati-quement pas eu de nouvelles indus-tries pour fournir le marché local.

Quand l’OMC avait préconisé la mondialisation et la libéralisation des marchés, Maurice a, comme un bon élève, appliqué toutes les recommandations et rapidement car les raisons avancées étaient convaincantes.

Les pays développés, qui ont un avantage certain sur ceux en développement, ne faisaient que mettre la pression nécessaire pour que les diktats de l’OMC priment. Par la suite, nombreux sont les pays émergents ou en développement qui ont finalement découvert que la mondialisation n’est pas nécessairement à leur avantage et ont réagi pour mettre l’OMC en berne.

Maurice est certainement trop petit pour se faire entendre. La mondialisation nous est imposée de force. Mais ces pays développés avaient oublié la Chine, devenue entre-temps l’usine du monde. Aujourd’hui, les Etats-Unis font marche arrière et introduisent des taxes pour protéger leurs industries, ce qu’ils nous avaient refusé malgré notre petite taille.

La mondialisation a été néfaste à notre industrie, vouée à rester petite dans un contexte où c’est la puissance d’un pays qui compte et non pas sa vulnérabilité.

Il y a un certain nombre de mesures économiques prises par le gouvernement du jour, dont l’introduction du salaire minimum, l’impôt négatif, le Portable Retirement Gratuity Fund (PRTF) ainsi que de nouveaux «fringe benefits», dans le sillage de la Workers’ Rights Act. Dans quelle mesure l’industrie locale a été affectée, vu que ces mesures ont impacté les coûts de production des entreprises ?
Comme toute unité économique, que ce soit une entreprise manufacturière tournée vers le marché local, pour l’export ou pour la production d’un service, une augmentation des coûts n’est pas souhaitée.

Le salaire minimum ou les avantages accordés dans la Workers’ Right Act représentent des coûts additionnels pour les entreprises. À moins que ces coûts soient compensés par une hausse de la productivité, ce qui est loin d’être le cas actuellement, la compétitivité de l’entreprise sera affectée.

Comme la plupart des unités économiques ne sont pas philanthropiques, ces coûts seront passés aux consommateurs qui paieront leurs produits plus cher. Celles qui ne pourront pas le faire pour des raisons spécifiques seront certainement pénalisées car elles verront leur profitabilité baisser. D’autres, qui ne sont pas financièrement rentables, vont disparaître.

La compétitivité est l’élément-clé pour une entreprise économique. Les concurrents, peu importe où ils se trouvent, sont en embuscade pour grignoter vos parts de marché. Produire au prix le plus bas, c’est la seule assurance pour la survie d’une entreprise économique dans le système capitaliste.

Comment voyez-vous la configuration de l’industrie locale dans une dizaine d’années ?
Malgré tous les défis, je n’ai aucun doute que l’industrie manufacturière locale continuera pendant de nombreuses années à contribuer au développement de l’économie nationale. Même s’il n’y a pas d’expansion nationale en vue, les opportunités surgiront pour la maintenir. Le gouvernement est conscient que c’est le seul secteur qui a le potentiel de créer des emplois correspondant au profil des Mauriciens. Donc, on s’attend à ce que ce secteur soit soutenu par les autorités. Les PME d’aujourd’hui vont grossir pour renforcer ce secteur.