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Dr Vinesh Sewsurn: «Nous sommes payés pour soigner, pas pour être contaminés!»

4 avril 2020, 16:01

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Dr Vinesh Sewsurn: «Nous sommes payés pour soigner, pas pour être contaminés!»

Il représente la voix des 1 800 médecins généralistes employés par la fonction publique. Ceux-là même qui sont  sur le devant de la scène depuis que le Covid-19 s’est invité dans le pays. Alternant entre hôpitaux et centres de quarantaine, ces professionnels comptent parmi les plus exposés au virus mortel. Tour d’horizon avec le Dr Vinesh Sewsurn.

Plus de deux semaines après l’annonce des premiers cas confirmés de Covid-19 dans le pays, quel est votre premier constat ? 
Je suis tellement navré que la population mauricienne ignore l’ampleur du virus. Les images de foules et d’attroupements sur les réseaux sociaux choquent. La notion de social distancing n’a toujours pas été comprise. C’est chagrinant.

Nous faisons partie du personnel médical et nous faisons d’énormes sacrifices. Pas que nous, mais nos proches aussi. De par notre profession, nous sommes exposés tous les jours à la contamination. Je pense que les gens ici n’ont pas compris ce qu’est le virus. Ils n’ont pas pris en considération ce qui se passe en Italie ou en Espagne. Là-bas aussi, la population n’y a pas cru au début et voyez l’horreur à présent. Il n’y a plus de contrôle, les cas se multiplient, la perte en vies humaines est énorme.

Il faut que la population mauricienne s’éduque, qu’elle comprenne ce qu’est le Covid-19. Qu’elle se documente sur les voies de transmission et la vitesse de propagation. Le confinement ne veut pas dire qu’on est libre d’aller voir ses amis ou ses proches. Cela veut dire qu’il faut rester chez soi ! Il n’y a aucun moyen de savoir qui est porteur du virus, qui est déjà contaminé. Voilà pourquoi on insiste sur la distanciation sociale.

Centres de quarantaine, isolement, couvre-feu sanitaire… On parle quand même de concepts nouveaux pour les Mauriciens… 
Oui, c’est sûr. Par rapport à la quarantaine, il existe un problème de communication. Des flous persistent. Le ministère de la Santé devrait renforcer sa communication et déléguer des représentants pour bien expliquer le protocole recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), que nous suivons.

Il y a eu des polémiques dans certains centres de quarantaine quand on a empêché des «patients» de sortir après 14 jours même s’ils ont été testés négatifs. Il faut comprendre qu’il suffit qu’une seule personne dans ce lieu soit contaminée pour que la période de quarantaine des autres résidents se prolonge. Encore une fois, c’est le protocole qui entre en jeu. Et toutes ces procédures doivent être claires et nettes pour la population, afin d’éviter des malentendus et des polémiques qui n’ont pas lieu d’être. Aussi, pour éviter que le personnel médical ne se fasse malmener et insulter.

Vous avez parlé plus haut des «sacrifices» entrepris par le personnel médical, dont des médecins. Lesquels ? 
Je tiens avant tout à féliciter mes collègues qui sont totalement dévoués à la profession. Nous sommes déployés dans les hôpitaux, dans des départements où l’affluence est importante, tels que les «flu clinics», l’hôpital de Souillac, l’ENT Hospital à Vacoas ou dans les centres de quarantaine et d’isolement. Notre «shift» diffère selon les règlements appliqués dans les différentes zones. Nous opérons selon un «roster» et cumulons de nombreuses heures de travail. Certains de mes collègues, ayant été exposés, sont en quarantaine. Je n’ai pas le chiffre exact mais je pense qu’ils sont un peu moins d’une dizaine. Et même dans ces centres, ils continuent à faire leur boulot de médecin. D’autres ont choisi de rester loin de leurs proches pour ne pas prendre de risques.

Des médecins parlent de «drame humain»… 
Oui! C’est un drame humain. Le personnel médical et paramédical est concerné dans son ensemble même si, moi, je parle au nom des médecins. Nous sommes touchés par le sort des patients contaminés, par les décès et nos familles en sont aussi bouleversées. Le stress est énorme pour nous. La frayeur de contaminer nos proches est présente même si nous faisons de notre mieux pour nous protéger. Nous avons des enfants, nous avons peur comme toute la population.

«Certains de mes collègues, ayant été exposés, sont en quarantaine.»

D’ailleurs, notre association a fait une demande au ministère de la Santé. Nous demandons des locaux dans chaque région, où nous pourrons vivre, le temps que durera l’épidémie. Car plusieurs d’entre nous préfèrent ne plus avoir à rentrer à la maison, justement pour ne pas mettre en danger nos proches. Notre requête est toujours à l’étude.

Le pire, c’est d’être incompris par les gens. Nous entendons souvent dire : «Pey zot pou sa.» Oui, nous sommes payés pour soigner, mais pas pour être contaminés!

Bien que le ministère de la Santé assure que le personnel médical et paramédical dispose d’équipements de protection, médecins et infirmiers ont évoqué une pénurie. Est-ce toujours le cas ? 
La situation s’est améliorée mais… there is still room for improvement. Là encore, il faut comprendre qu’il existe différents types d’équipements de protection. En ce qui concerne les masques, le N95 s’avère le plus efficace car il est muni d’un filtre capable de «bloquer» de minuscules particules dans l’air. J’estime donc nécessaire qu’il soit distribué à tous ceux – médecins, infirmiers, aides-soignants – qui sont directement exposés à des patients potentiellement porteurs du virus. Dans plusieurs endroits, je peux affirmer que ces dispositions ont déjà été prises.

Nous avons également besoin de Personal Protective Equipment (PPE). Il existe différentes catégories de PPE. D’abord, ce que l’on appelle le coverall, incluant des goggles pour les professionnels exposés aux patients contaminés, comme ceux déployés à l’hôpital de Souillac ou à l’hôpital ENT. Ensuite, les disposable gowns, masques ou encore sanitizers pour ceux en contact avec des patients susceptibles d’être porteurs du virus.

Au niveau de l’association, nous avons acheté des masques N95 avec nos fonds et en avons distribué à nos membres. Nous avons envoyé nos requêtes au ministère de la Santé et nous avons aussi demandé à travailler dans de meilleures conditions. Par exemple, comment ferons nous pour nous approvisionner quand nous travaillons pendant de longues heures ? Les supermarchés ouvrent de 9 heures à 17 heures et les clients y sont admis par ordre alphabétique. Il nous est impossible de quitter le boulot et de faire la queue pendant des heures alors que, nous aussi, comme tous les autres Mauriciens, avons des proches et avons besoin de vivres. Nous avons demandé au ministère de créer des slots pour nous permettre de bouger pendant la journée. Nous attendons une réponse.

À hier (NdlR : vendredi à la mi-journée) nous étions à 169 cas confirmés dans le pays. Selon vous, ces chiffres reflètent-ils la réalité ? 
Le ministère de la Santé suit le protocole de l’OMS et pratique le contact tracing. Les autorités font ce qu’il faut faire, il n’y a aucun doute. Les tests de dépistage se font systématiquement, selon les recommandations de l’OMS. Cependant, si l’on se fonde sur les études réalisées à l’étranger, énormément de patients sont asymptomatiques et ce sont eux les plus dangereux. Si les gens ne savent pas qu’ils sont Covid-positifs, bien sûr, ils baisseront leur garde. Il faut être vigilant et il faut toujours faire encore plus de tests. Les guidelines sont suivis à la lettre, il faut continuer. Et augmenter le nombre de dépistages s’il le faut.

Le Dr Zouberr Joomaye a indiqué, le jeudi 2 avril, que les hôpitaux comptent 230 respirateurs artificiels pour le moment et une soixantaine d’autres ont été commandés. Sachant que c’est un dispositif médical crucial pour la survie de patients sévèrement atteints, ce nombre est-il suffisant ? 
À ce stade, il est difficile de prévoir. Nous n’avons pas encore fait d’étude qui nous permette d’apporter des réponses sur la tendance de la propagation ici. Si vous me demandez là tout de suite, en me basant sur le nombre de cas positifs connus, je dirai oui, les 230 respirateurs artificiels sont suffisants. Mais je ne peux répondre pour l’avenir. Si on arrive à limiter le nombre de cas, ils suffiront. Par contre, si les cas explosent, il nous en manquera. Il faudra alors en commander rapidement.

Et les médecins travaillant pour la santé publique, sont-ils suffisants ? 
Pour l’instant oui. Malgré les rosters qui changent, nous arrivons à faire face. Mais, comme je l’ai dit plus haut, tout dépendra du nombre de patients contaminés. Les deux prochaines semaines seront déterminantes pour Maurice. Selon moi, le pic de l’épidémie n’a pas encore été atteint. Ce n’est qu’une fois que l’on y arrive que l’on saura si les ressources humaines, tout comme les équipements, suffiront dans les hôpitaux. Il faudra alors revoir les effectifs.

C’est pourquoi nous demandons à la population, encore et encore, d’écouter les consignes ! RESTEZ CHEZ VOUS ! Faites de sorte que tous les sacrifices que nous entreprenons, nous tous qui sommes sur le front de guerre, s’avèrent payants. Nous voulons tous retrouver une vie normale. Cela ne dépend que de vous.