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Gilbert Espitalier-Noël: «Notre meilleur scénario : retrouver les recettes d’avant-crise en octobre 2021»
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Gilbert Espitalier-Noël: «Notre meilleur scénario : retrouver les recettes d’avant-crise en octobre 2021»
Le tourisme et son corollaire, le secteur hôtelier, ont été touchés de plein fouet par les effets du coronavirus. Gilbert Espitalier-Noël, qui dirige un des plus grands groupes hôteliers du pays, ne cache pas son inquiétude à ce sujet. Il est cependant déterminé à prendre toute la mesure du Covid-19 pour repenser le rôle de son groupe dans le secteur touristique.
Maintenant que pour votre groupe ainsi que pour le monde entier, le Covid-19 n’est plus un mythe ou un rêve, que diriez-vous à vos petits-enfants, au mo- ment de rédiger vos mémoires, de ce qu’a été ce phénomène sanitaire ?
Sur le plan économique, nous vivons plus un cauchemar qu’un rêve. Cette crise est, sans aucun doute, la plus compliquée que j’ai eu à gérer durant ma carrière ; je pense que cela s’applique aussi pour l’ensemble des dirigeants de l’industrie touristique mauricienne. Néanmoins, ces longues journées de confinement en famille nous offrent des opportunités de partages exceptionnels. Ces moments sont pour moi une grande source d’inspiration et me donnent le courage et l’énergie pour me battre dans ces moments de grande adversité. Les anecdotes liées à ces semaines de confinement seront nombreuses et seront autant de souvenirs à partager avec la génération à venir. Assurons-nous donc de gérer cette crise au mieux afin d’être tous fiers des efforts que nous aurons consentis et que nous pourrons partager à nos petits-enfants.
Quel a été l’impact réel, à ce jour, du Covid-19, qui, tel un cyclone, s’est abattu sur le secteur hôtelier mauricien et plus particulièrement sur votre groupe ?
Les choses sont malheureusement très simples: tous les hôtels de notre groupe, à Maurice comme à l’étranger, sont fermés depuis fin mars et ne génèrent donc aucun revenu. L’aide gouvernementale reçue à travers le Wage Support Scheme est la bienvenue, mais ne représente malheureusement qu’une petite fraction de l’ensemble des coûts que nous devons supporter. L’impact de cette crise est donc gigantesque et peut être qualifiée de perfect storm, pour reprendre votre analogie sur les cyclones, avec des conséquences drastiques et violentes.
Les prévisions les plus pessimistes affichées en mars semblent malheureusement déjà dépassées, la situation se détériorant rapidement. Il est évident que nous n’aurons aucun revenu durant plusieurs mois. Nous devrons par contre continuer à soutenir les salaires de nos 5 000 employés ainsi que de nombreux autres coûts qui n’ont pas disparu malgré la fermeture des hôtels.
Quelles sont les mesures que vous avez prises pour atténuer l’impact du coronavirus sur les opérations du groupe ?
Nous avons justement fermé tous nos hôtels et réduit les dépenses au maximum. Nous discutons aussi avec les banques, afin de rééchelonner le remboursement des dettes et le paiement des intérêts. Par ailleurs, les cadres du groupe ont consenti à une réduction volontaire de leurs salaires, pour certains jusqu’à 50 %, et cela, pour une période initiale de trois mois. Je tiens à les remercier pour cet effort de solidarité. Nous avons procédé à un gel immédiat des recrutements et revu nos projets de rénovation pour l’année.
Nos actionnaires ne recevront pas les dividendes que nous avions déclarés en début d’année. Nos équipes commerciales essaient aussi de convaincre des milliers de clients qui avaient réservé un séjour dans nos hôtels au cours du second trimestre de reporter leurs vacances à plus tard dans l’année plutôt que de les annuler, toute annulation entrainant des remboursements qui accentuent la pression sur le cash-flow de l’entre- prise. Je suis heureux de confirmer que plus de 75 % d’entre eux ont accepté ce report.
Jusqu’où votre groupe pourra-t-il tenir vu que la visibilité n’est guère généreuse et que l’on parle de plus en plus de contraction, voire de récession économique ?
Il est vrai que nous avons aujourd’hui un manque quasi-total de visibilité et il est difficile de se projeter dans un avenir aussi incertain. Nous mettons néanmoins tout en œuvre afin de nous préparer au pire des scenarios afin de nous assurer que notre groupe, avec le support de tous nos stakeholders, puisse tenir jusqu’à une reprise durable. Il est en effet évident que toutes les parties prenantes devront contribuer aux efforts afin d’assurer la survie de notre entreprise et de celle du secteur touristique mauricien.
Il est clair que Beachcomber, comme l’ensemble du secteur, ne pourra se relever sans un appui national à l’industrie touristique et sans des actions fortes et concertées, pour rebondir après la crise. Il faut préparer dès aujourd’hui cette reprise en donnant à Maurice une visibilité forte sur nos principaux marchés. La MTPA, l’AHRIM, Air Mauritius, entre autres, y travaillent déjà ensemble.
«Il faut à tout prix préserver le tissu économique de notre pays et empêcher que cette crise ne détruise ce que nous avons créé au cours des dernières cinq décennies.»
La grande question, en ce moment, est comment s’en sortir tant pour le pays que pour le secteur hôtelier. Quelle serait votre réponse ?
Je vais répondre à votre question sous l’angle économique, car je ne suis pas expert en matière sanitaire. Il faut à tout prix préserver le tissu économique de notre pays et empêcher que cette crise ne détruise ce que nous avons créé au cours des dernières cinq décennies. Il est donc nécessaire, comme le font la quasitotalité des pays, que les autorités utilisent tous les moyens fiscaux, monétaires et autres, traditionnels ou innovateurs, afin d’assurer la préservation de ce tissu économique et ainsi éviter une crise sociale majeure.
Les entreprises n’ont pas pour seul but de servir leurs actionnaires, loin de là. Elles jouent un rôle beaucoup plus large au sein de notre société. Il est essentiel de les aider afin qu’elles puissent continuer à jouer ce rôle. Sans des efforts importants et une véritable coordination entre toutes les parties-prenantes, nous assisterons très vite à une envolée catastrophique du chômage suite à la destruction durable de dizaines de milliers d’emplois.
On parle de plus en plus d’une reprise graduée après la suspension du couvre-feu. Le secteur hôtelier sera-t-il de la partie ?
Il est important de bien comprendre que, contrairement à d’autres secteurs de l’économie, l’hôtellerie ne sera absolument pas en mesure de reprendre ses activités à la fin du confinement. Les hôtels mauriciens reposent à 95 % sur des clients venant de l’étranger pour se remplir. Il y a de nombreux éléments hors du contrôle des opérateurs qui influenceront la réouverture des hôtels au cours des prochains mois. Quelques exemples : nous ne savons pas encore quelles restrictions imposeront les autorités mauriciennes sur la rentrée des étrangers sur notre territoire ; nous ne savons pas non plus quelles restrictions les pays étrangers imposeront à leurs citoyens en ce qu’il s’agit des voyages de ces derniers hors de leur pays ; nous ne savons pas quelles seront les modalités du déconfinement à Maurice et quelles mesures seront imposées aux différents acteurs économiques afin de prévenir une seconde vague de contamination. De plus, la visibilité sur la desserte aérienne au cours des prochains mois est faible.
Tout cela, pour illustrer le fait que le secteur hôtelier est de très loin celui qui souffrira le plus de cette crise, car la baisse dramatique de ses recettes s’étendra bien au-delà du déconfinement. Le tourisme a été un des premiers secteurs économiques affectés par cette crise. Il sera sans doute celui qui tardera le plus à s’en sortir. Notre meilleur scénario aujourd’hui prévoit des hôtels fermés jusqu’à fin juin et une réouverture progressive jusqu’en novembre 2020. Nous nous attendons, toujours sous notre meilleur scénario, à retrouver les recettes d’avant crise qu’en octobre 2021. Il est donc évident aujourd’hui que l’industrie touristique mauricienne est entrée dans un tunnel très sombre et que seuls ceux qui auront la collaboration de tous leurs stakeholders pourront entrevoir la lumière qui se trouve tout au bout.
La sécurité sanitaire sera un facteur déterminant pour rassurer tout touriste désireux de faire le déplacement vers Maurice. Quelles sont les mesures susceptibles de permettre au pays d’inscrire son nom sur la liste des destinations les plus «safe» au monde ?
Je pense que le pays a bien géré cette crise jusqu’à présent et que cette bonne gestion deviendra un atout commercial pour notre destination. Grâce aux mesures de confinement strictes instaurées rapidement, le nombre de nouveaux cas connaît actuellement un ralentissement important et laisse entrevoir une maîtrise de l’épidémie. Nous ne pouvons qu’espérer que cette tendance se confirme dans les prochains jours.
Il faut maintenant travailler sur des règles additionnelles, raisonnables et réalistes, qui viendront encore plus conforter notre image de destination sûre. Ces mesures devront être prises à tous les niveaux de la chaîne afin que le touriste se sente en sécurité depuis le moment qu’il embarque dans l’avion, durant son séjour à l’hôtel et jusqu’au moment de son départ de notre île. Face aux sentiments de peur et d’insécurité liés au virus, il s’agira de rassurer les touristes et s’assurer qu’ils se sentent en sécurité chez nous, comme cela a toujours été le cas. «Prévenir et mettre en confiance» doivent être les piliers de notre action afin de consolider l’image du pays comme l’un des plus «safe» au monde.
Le licenciement fait-il partie des mesures que votre groupe envisage en vue d’atténuer l’impact du Covid-19 sur ses opérations ?
La sauvegarde du maximum d’emplois doit être une priorité nationale et elle est aussi celle de Beachcomber. Nous allons tout faire pour éviter un grand nombre de licenciements. Nous y parviendrons seulement si, comme je l’ai mentionné au début de cette interview, TOUS les stakeholders de l’entreprise consentissent à un effort important. Plusieurs d’entre eux, dont l’État, les fournisseurs, les actionnaires et les banques font déjà leur part. Ces efforts devront être étendu à tous les employés, quel que soit leur niveau hiérarchique. Nous travaillons sur divers scenarios et communiquons très régulièrement avec nos 5 000 employés afin qu’ils comprennent les enjeux.
Vous avez répondu favorablement à l’appel des autorités, au début du confinement, en mettant deux de vos hôtels à leur disposition. Comment cela s’est-il passé ?
En effet, dans un élan de solidarité nationale, nous avons mis à la disposition des autorités deux de nos hôtels, en l’occurrence Mauricia Beachcomber et Victoria Beachcomber, soit un total de 443 chambres. Nous avons toujours des personnes en quarantaine au Victoria Beachcomber. Par contre, au Mauricia Beachcomber, les dernières personnes en quarantaine ont quitté l’hôtel depuis le 9 avril. En ligne avec le modus operandi établi, les autorités ont déployé plusieurs niveaux de protocoles de nettoyage, et nous avons reçu le 13 avril un certificat en bonne et due forme des autorités confirmant cela.
La prochaine étape sera une rencontre avec toutes les parties concernées, afin de faire un tour complet de l’établissement, et ce après une période moratoire convenue de 14 jours. Cette visite conjointe permettra de s’assurer que tout est en règle et que l’établissement nous est restitué dans l’état dans lequel il avait été remis aux autorités le 22 mars. Nous sommes heureux d’avoir participé à la lutte contre la propagation du virus en mettant nos hôtels à disposition des autorités sanitaires. Aussi, à travers notre filiale Beachcomber Catering, nous avons pu servir chaque jour des milliers de repas, conformément aux normes les plus strictes d’hygiène, à la plupart des lieux de quarantaine.
Comment préparez-vous quand même le retour à la normale, ou à un semblant de normalité, dans le secteur hôtelier ?
La réouverture de nos hôtels se fera de manière progressive, en tenant compte des décisions des autorités mauriciennes relatives à la réouverture de nos frontières et la reprise des vols, notamment sur nos principaux marchés. Nous ouvrirons certainement nos hôtels progressivement, en fonction de la demande. Nous sommes en contact journalier avec nos différents partenaires commerciaux à l’étranger afin de préparer au mieux cette reprise. Nous travaillons aussi sur la mise en place de mesures sanitaires afin de rassurer nos clients.
Pour finir, quel est votre état d’esprit par rapport à l’avenir de l’économie mondiale, du pays et de votre groupe, qui tous, à des degrés divers, sont caractérisés par des imprévus ?
Les mois à venir seront extrêmement difficiles pour le secteur touristique mauricien. C’est durant cette période que nous allons tous prendre la pleine mesure du rôle central que joue cette industrie au sein de notre société. Malgré les défis immenses qui se dressent devant nous, je reste confiant que nous réussirons à gagner cette bataille et à permettre à nos hôtels de continuer à contribuer à l’épanouissement socio-économique de notre pays, cette petite île si belle mais ô combien vulnérable !
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