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Sébastien Sauvage: «Penser la relance économique rien qu’en termes de ‘business as usual’ est suicidaire»

24 avril 2020, 00:15

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Sébastien Sauvage: «Penser la relance économique rien qu’en termes de ‘business as usual’ est suicidaire»

Cette Journée mondiale de la Terre, célébrée hier, met l’accent sur la biodiversité comme indicateur de santé de la planète, comme solution face à la dégradation de l’environnement, aux urgences climatiques et à la relance économique durable.

La nature souffre et nous envoie des signaux que nous ne pouvons plus négliger. La Journée mondiale de la Terre, célébrée le mercredi 22 avril, s’est déroulée, cette année, en pleine crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19. Quel message tenez-vous à faire passer ? 
Arrêtons de penser qu’il y a des humains d’un côté, et la Nature de l’autre. Nous sommes profondément dans cette biodiversité. Nous sommes la Nature, qui souffre. La crise sanitaire actuelle pourrait être le symptôme de notre façon de traiter la biodiversité et les écosystèmes. Philippe Grandcolas, directeur de la recherche au Centre national de la recherche scientifique, explique clairement que depuis 50 ans, on a multiplié par dix le nombre d’épidémies liées aux zoonoses (NdlR, maladies causées par un virus, une bactérie ou un parasite et transmise à l’humain par un animal vertébré comme le chien, la poule, la vache, le cochon et vice-versa) tels que l’Ébola, le Zika, la dengue, le chikungunya, le premier SRAS, entre autres. Le lien entre la perte de la biodiversité et ces épidémies est simple : à partir du moment où on diminue la surface des milieux naturels, des peuplements humains entrent en contact avec d’autres espèces, qui sont des réservoirs d’agents infectieux.

Selon l’Organisation des Nations unies, tout impact sur la biodiversité a aussi un impact sur la vie, notamment sur le développement, l’économie, la nutrition, les agents pathogènes, les animaux quand ils sont affectés par les changements climatiques. À Maurice, comment pourrions-nous être affectés si nous ne sommes pas en harmonie avec la Nature ? 
On devrait penser au concept «harmonie avec la Nature» en deux notions : l’appartenance et l’interdépendance, qui sont vécues par les peuples autochtones dans leur vision et leur rapport à la nature. Les territoires sur lesquels ils vivent ne leur appartiennent pas. Ils se reconnaissent comme un des éléments de la Nature et ils sont complètement conscients de leur lien d’interdépendance avec les vivants. Ils acceptent de partager les ressources équitablement avec les autres espèces. À la lumière de cette approche, partagée par Valérie Cabanes, écologiste et membre du mouvement citoyen End Ecocide on Earth, organisation militant pour la préservation de la terre, il est clair qu’à Maurice, nous ne pouvons pas prétendre avoir un rapport harmonieux avec la nature.

Et pourquoi ?
Quand nous construisons sur les Environmentally Sensitive Areas (ESA), les zones écologiquement sensibles (par exemple les wetlands et les dunes de sable) ; quand nos politiciens sont incapables d’agir pour la protection et la préservation des écosystèmes et de la biodiversité – cela fera 11 ans que l’ESA Bill dort au fond d’un tiroir -; quand notre gouvernement ne peut définir des seuils minimums de protection de l’environnement; quand sous couvert de la notion de National Interest, toutes les lois de protection de l’environnement peuvent être balayées d’un revers de main pour accorder tous types de permis aux projets destructeurs de la biodiversité et des écosystèmes et quand les tribunaux de l’environnement ne reconnaissent pas le locus standi des citoyens, qui agissent pour préserver et protéger ledit environnement.

Rappelez-nous quels sont les effets néfastes de ces attitudes ? 
Leurs effets négatifs sont nombreux : inondations, raréfaction des ressources marines, manque d’eau, baisse dans la production des fruits car moins de polinisateurs et de nombreux effets négatifs sur notre santé, sur la qualité des sols, de l’eau et de l’air. Cette non-harmonie a aussi pour cause directe une inégalité entre le Mauriciens quant à leur accès à la Nature. Le pourcentage de plages publiques par rapport aux plages privées en est un bel exemple. Les écosystèmes nous offrent une multitude de services écosystémiques et notre survie en dépend. Arrêtons de les détruire !

Quels sont les défis à considérer quand la vie reprendra son cours normal après la pandémie du Covid-19 ? 
Le défi est que justement «la vie» ne reprenne pas normalement ! Le dernier rapport publié dans Nature par le Harvard Health Institute, parle de pans entiers de la biodiversité, qui vont disparaître par vagues durant les dix prochaines années. On est dans une situation préoccupante et ne pas en prendre la mesure et penser la relance économique rien qu’en termes de business as usual est totalement suicidaire. Si on ne saisit pas l’opportunité de ce qui est en train de se vivre partout dans le monde, pour changer complètement de modèle de société, de modèle économique et changer notre rapport à la Nature, on va au-devant de catastrophes, qui affecteront absolument tout le monde. Un défi majeur reste d’augmenter sérieusement notre autosuffisance alimentaire, tout en participant à la préservation de la terre, de l’eau et de la biodiversité ! Aujourd’hui, nous ne produisons que 30 % de notre alimentation !

Comment peut-on mieux considérer l’environnement lors de la relance économique ? 
On demande au ministre de l’Environnement de prendre ses responsabilités et d’être courageux ! Il ne doit plus avoir de construction sur les ESA. Aucun projet ne devrait être exempté de la licence d’Environmental Impact Assessment. Une loi pour les ESA devrait être discutée et votée au Parlement ! Quarante-deux organisations de la société civile ont signé un manifeste en faveur d’un projet de loi pour les ESA et qu’attendons-nous ? Mettons-nous au travail ! Nous devrions aussi sérieusement instaurer «le droit de la Nature» dans notre Constitution et reconnaître les écocides, soit les crimes contre l’environnement.

Comment un simple citoyen pourrait-il protéger la Terre ? 
Chaque citoyen peut contribuer en laissant la nature reprendre ses droits dans les jardins, les champs et même sur les balcons. Nous devons et pouvons tous participer à la démarche citoyenne, prônée par le célèbre astrophysicien Hubert Reeves, qui vise à contribuer aux Oasis de la Nature. Chaque citoyen peut aussi s’engager dans des actions de préservation, faire pression sur les autorités, les ministres pour qu’ils cessent d’être complices d’écocides. Aujourd’hui, la faune et la flore ne disparaissent pas; elles sont tuées. Chaque citoyen a le devoir de plaider afin que le «Droit de la Nature» soit inscrit dans notre Constitution.