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Travailleurs de demain: une autre forme d’écart social

2 mai 2020, 19:00

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Travailleurs de demain: une autre forme d’écart social

Les tâches que certains assumaient, assis sur un siège de bureau, chaussures fermées aux pieds et vêtements formels sur le dos, ils ne les font depuis cinq semaines qu’en pyjama ou plus décontracté, dans le confort des quatre murs de leur maison. Depuis l’arrivée de la pandémie, on a vu que le télétravail est possible pour beaucoup de firmes. Peut-on dire que c’est l’avènement d’une nouvelle forme de travail ? Selon Jack Bizlall, ancien journaliste et syndicaliste, la situation actuelle a emmené et emmènera une désocialisation du monde du travail.

Le Covid-19 nous ramène à la même situation qu’au début du siècle avec la grippe espagnole. «Nous allons connaître la même chose qu’à cette époque. Après la grippe espagnole, le nombre de travailleurs avait été réduit, non seulement à cause des 20 à 50 millions de personnes que cette grippe avaient tuées mais aussi à cause de la crise économique causée. Il y a eu des licenciements en masse. C’est après cela qu’a apparu le fordisme, la production à la chaîne.»

Il est certain que le monde connaîtra une nouvelle classe de travailleurs car la façon de produire sera définitivement modifiée. «Il y aura deux possibilités afin d’emmener cette désocialisation. Peut-être des centres de communication avec plusieurs firmes qui louent une table dans un seul bâtiment. À noter que cela existe déjà dans d’autres pays. La deuxième possibilité est le Work From Home.»

Dans l’ensemble, «le marché du travail et le monde du travail devront s’adapter à la situation actuelle et aux exigences de sécurité causées par la pandémie de Covid-19», comme l’explique Ramola Ramtohul, sociologue et senior lecturer à l’université de Maurice. Cette désocialisation qui existe et qui existera dans le monde du travail veut-elle dire que l’ère de la différence entre les cols blancs et les cols bleus est révolue ? Pour nos interlocuteurs, la réponse est non. «Différentes professions ont leurs spécificités et leurs compétences requises – il y aura toujours une différence. Même dans le cas de certains emplois de cols blancs, le travail à domicile peut ne pas être à 100 %. Une présence minimale au bureau peut être requise pour des missions spécifiques, la signature de documents, l’utilisation d’équipements, l’impression, entre autres», explique la sociologue.

Pour Jack Bizlall, c’est le contraire qui nous attend. «Nous allons vers une direction plus grave. Les cols bleus: employés d’usines, de supermarchés et ainsi de suite seront sur le site et les cols blancs non, ils peuvent travailler de chez eux. Ce qui veut dire que ceux qui utilisent le mental seront à la maison et les prolétaire sur le site. La supervision des cols blancs se fera à distance, tout sera contrôlé par la technologie. Il y aura l’avènement du télétravail, de la télésurveillance et même du télésanctionnement.» D’ajouter que le Covid-19 n’a fait qu’accélérer quelque chose qui prenait déjà forme.

Un avis que partagent certains syndicalistes à l’international. À l’instar de Cyril Chabanier, le président de la Confédération française des travailleurs chrétiens. Ce dernier, dans un article de l’Agence France Presse intitulé : Le confinement met en lumière un fossé entre «cols blancs» et «cols bleus», explique qu’il a «une impression d’injustice entre ce qu’on peut appeler les ‘cols bleus’ et les ‘cols blancs’…» D’ajouter que «le sentiment d’inégalité - lorsque ce sont toujours les plus petits revenus, les plus précaires, qui écopent - commence à monter dans notre pays (La France) et il faut faire attention à ça».

Un rapport au boulot différent

D’autre part, si l’on prend en compte la désocialisation, cela voudrait-il dire que nos rapports au travail vont changer ? Selon Roland Gori, philosophe et psychanalyste, la réponse est oui. Pas seulement à cause de la désocialisation mais à cause du confinement en lui-même. Dans un entretien au journal en ligne, «Courrier Cadres», le philosophe explique qu’«après une période de déprime due à ce confinement, de nombreux travailleurs découvrent actuellement des moments privilégiés avec leur famille. Nous prenons conscience que la vie personnelle ne peut pas être secondaire par rapport au travail.» Une idée que partage la sociologue Ramola Ramtohul. «Nous commencerons à voir plus de flexibilité sur le marché du travail et sur les conditions et exigences de travail – dans la mesure du possible, les employés peuvent travailler à domicile ou à des heures flexibles – tant que les tâches requises et / ou le nombre d’heures de travail seront terminées. Cela peut aider le pays à réduire les embouteillages, les coûts de transport et diminuer la pollution. Cela peut également avoir des retombées positives sur la société, les parents ayant plus de flexibilité et / ou de temps avec les enfants et la famille.» Quoi qu’il en soit, la relation au travail, en son sein et avec lui sera transformée.

De l’importance des métiers les moins valorisés

Justement, nous le voyons en ce moment à Maurice. Ceux que l’on applaudit, les «frontliners» ; personnels soignants, policiers, caissiers, employés de voirie, entre autres, sont les moins valorisés, alors qu’avec cette crise sanitaire, ils ont montré leur importance. Que va-t-il se passer pour eux après le confinement ? Vont-ils monter en grade ? Y aura-t-il une augmentation de leurs salaires ou vont-ils se retrouver comme les soldats tombés dans l’oubli, comme «(des) enfants brûlant de gloire désespérée», comme dans le poème «Dulce et decorum est Pro patria mori», de Wilfred Owen ? Si toutes ces questions demeurent jusqu’ici sans réponse, pour Ramola Ramtohul, il est clair qu’il ne faut pas tomber dans la ségrégation dans l’emploi. «Je ne pense pas qu’il faille comparer les différentes catégories de travailleurs, c’est-à-dire manuelles et non manuelles. Chacun a ses compétences spécifiques et toutes ces compétences sont importantes pour le fonctionnement de la société et de l’économie. Ce qui est nécessaire, c’est de veiller à ce que tous les travailleurs soient convenablement équipés et protégés pour s’acquitter de leurs fonctions.» Cependant, pour Jack Bizlall, il n’y aura pas de changement. Il prend exemple sur l’école. «Lorsque les écoles reprendront, tous les élèves ne pourront pas y aller afin de pouvoir préserver la distanciation sanitaire. Qui sont les enfants qui iront à l’école ? Ceux dont les parents travailleront sur le site. Alors que ceux qui auront les deux types d’éducation, familiale et pédagogique, seront ceux dont les parents travailleront de la maison.»