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La chronique de Philippe Auclair: la Premier League, stop ou encore ?
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La chronique de Philippe Auclair: la Premier League, stop ou encore ?
Operation Desert Storm. Project Restart. Les Anglo-Saxons adorent ce genre de nom de code. Mais en quoi ce Project Restart consiste exactement, seule une poignée d’initiés le savent. Un ami anglais a vu passer une copie d’une version précédente de ce document, qu’il me dit beaucoup ressembler au plan publié par la Bundesliga, ce qui ne nous avance guère. Nous devons donc nous en tenir au communiqué publié le 1er mai par la Premier League, lequel était beaucoup plus vague que ce qu’on voulut bien en dire ensuite.
Qu’y lisait-on ? Des souhaits, des désirs, rien de plus. «Nous voulons reprendre aussi rapidement que possible, dans le respect de l’équité sportive et des dispositions gouvernementales.» Et qui ne le souhaiterait ? Mais comment ?
Le soir même où la PL rendait publique sa lettre de voeux, on apprenait que 739 personnes de plus étaient décédées au Royaume-Uni, pour un bilan officiel qui dépasse désormais 27 000 victimes, et qui, quand ce cauchemar aura enfin pris fin, sera sans doute le plus terrible de toute l’Europe et, par rapport à la population, du monde entier. Voilà l’environnement dans lequel les dirigeants et dirigeantes de vingt clubs ont discuté le plus sérieusement du monde de leurs velléités de reprendre le championnat d’Angleterre.
La date du 8 juin pour une reprise de la PL - et du Championship, et des Leagues One et Two, ne les oublions pas - a bien été suggérée en marge de cette vidéo-réunion, mais tout le monde sait bien qu’elle n’a pas le moindre sens. Seuls quatre clubs, dont Tottenham et Arsenal, ont rouvert leurs centres d’entraînement, et uniquement pour que leurs joueurs y prennent part à des exercices individuels. Or, les équipes de PL n’ont pas joué depuis le week-end des 7 et 8 mars, il y aura bientôt deux mois. Les footballeurs ont donc besoin d’une présaison complète après une interruption aussi longue que celle-là. Le préparateur physique d’un club anglais me confia d’ailleurs tout récemment que la situation à laquelle il serait confronté lorsqu’il faudrait reprendre les séances collectives étaient de celles qu’il n’avait jamais connues auparavant.
Dans quel état seront ses joueurs ? Il l’ignore. Comment ce repos forcé les aura-t-il fragilisés ? Il l’ignore tout autant. «Je vais devoir m’occuper d’un effectif dont tous les membres seront des sortes de convalescents. Ce sera un casse-tête, et pour certains, ce sera même dangereux.» Les joueurs eux-mêmes le savent. Ils ont leurs propres préparateurs physiques, qui les auront mis en garde. Ils ont leur entourage, qui craint de les voir exposés au virus et le transmettre au sein de leur famille. Sergio Agüero n’a pas eu honte d’exprimer son inquiétude, Wayne Rooney non plus. «Nous ne sommes pas des cobayes, mais on nous traite comme si nous en étions», dit-il.
Il n’empêche que la Premier League, pressée d’un côté par un gouvernement britannique en manque de ‘bonnes nouvelles’ et, de l’autre, par une UEFA qui exige de ses 54 associations membres qu’elles lui présentent un calendrier de reprise le 25 mai au plus tard, se retrouve contrainte et forcée de se réfugier dans des plans plus qu’hypothétiques - et à mon sens, chimériques. En France, où le nombre de décès quotidiens est le tiers de ce qu’il est au Royaume-Uni, le championnat a été arrêté. En Belgique, aux Pays-Bas... à Maurice aussi. Le Portugal songe pouvoir reprendre bientôt. Mais le Portugal a été un modèle de sérieux et de bonne gestion tout au long de la crise. L’Angleterre a été tout l’inverse.
L’envie du public pour une reprise aussi rapide que possible de la PL n’est d’ailleurs pas aussi vive que ce que prétend le ministre britannique des Sports Oliver Dowden. Je me suis livré à un petit exercice avant ce week-end : un sondage sur Twitter, dans lequel je demandais aux fans de football de choisir entre quatre options, parmi lesquelles figurait celle que préconisent les autorités anglaises et la PL elle-même : reprendre le plus tôt possible, à huis clos, sous la supervision des systèmes sanitaires. Moins d’un tiers des 7 232 personnes qui avaient répondu à mon message étaient en sa faveur. Une majorité écrasante préférait qu’on attende la fin de la pandémie ou la découverte d’un vaccin pour permettre à la PL de reprendre.
Evidemment, ces ‘conclusions’ n’avaient rien de scientifique. Je n’avais fait que prendre la température, si je puis dire, de fans dont les opinions avaient quelque chance de s’accorder avec les miennes, puisqu’ils étaient abonnés à mon compte. Mais l’enthousiasme supposé des masses pour le retour du football n’est pas vraiment en évidence en dehors des bureaux où les dirigeants s’inquiètent des répercussions économiques de l’arrêt des compétitions. C’est que la Premier League pourrait perdre 1,3 milliard de livres si la saison devait être suspendue pour de bon.
Soyons juste avec ces clubs, d’ailleurs. Tous ne sont pas obnubilés par l’argent. Deux d’entre eux au moins ont déjà fait connaître leur opposition à la reprise lors de la réunion de vendredi dernier. D’autres hésitent. Plus les jours passeront, plus la liste des morts s’allongera, plus leurs réserves auront de poids.
L’équité sportive ? Comment pourrait-il en être question quand la plupart des matches devraient se dérouler sur terrain neutre, beaucoup des stades de PL n’étant pas aux normes requises par la police et les services de santé pour assurer la sécurité dans le cadre du confinement ? Le seul argument en faveur de la reprise, quand on y songe, si elle doit se faire dans des stades vides, est économique. Nul doute que beaucoup veuillent suivre jusqu’au bout les matches qui permettront à Liverpool d’être champion pour la première fois depuis 1990. Les autres, on peut en douter.
Project Restart. Un projet, oui. Ou un rêve, qui a peu de chances de se réaliser.
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