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Covid-19: un virus nommé licenciement

31 mai 2020, 22:30

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Covid-19: un virus nommé licenciement

Le Covid-19 a chamboulé toutes les activités économiques au niveau local et international. Les mois à venir s’annoncent sombres pour les entreprises. Et, par ricochet, pour les travailleurs… Plusieurs centaines, voire des milliers, d’emplois sont ainsi menacés. Le secteur de l’hôtellerie ou encore le remue-ménage au niveau d’Air Mauritius (MK) en sont les preuves. Les petites et moyennes entreprises luttent pour leur survie. Les «grosses pointures» ne sont pas épargnées non plus.

À l’instar de So Sofitel. Où pas moins de 250 employés risquent de se retrouver sur le pavé prochainement. Pour l’heure, ils attendent et espèrent trouver une solution au bout du tunnel. Un heureux dénouement, espèrent-ils, afin de continuer leurs projets et surtout nourrir les leurs. Le confinement n’aide guère en cette situation de grande détresse humaine. Plusieurs familles sont dans la tourmente. Après dix années de service, il y a peu, l’établissement hôtelier a décidé de cesser ses activités ; en cause sa situation financière. Le 20 mai, une première rencontre a eu lieu entre le management de So Sofitel et les représentants des travailleurs.

«Nous ne savons vraiment pas ce que nous réserve l’avenir»

La proposition : que les travailleurs qui sont sur la sellette puissent bénéficier de leurs salaires jusqu’au mois de décembre avec la possibilité de regagner leur poste si la situation s’améliore. Une réponse de la direction est attendue et il faudra attendre une deuxième réunion pour la connaître. «Pour le moment, nous prions. Nous demandons à Dieu de nous aider. Nous espérons qu’une solution sera trouvée rapidement. Nous ne pouvons plus être dans l’expectative, comme c’est le cas depuis plusieurs semaines», soutiennent des employés.

«Ce sera peine perdue»

Ils racontent leur calvaire et le flou qui persiste autour de leur carrière professionnelle. Ce n’est qu’après avoir la réponse définitive de So Sofitel que ces derniers décideront de la marche à suivre. «Si d’un côté, on réfléchit aux options qui s’offrent à nous afin de contrer une éventuelle décision défavorable, d’autre part, nous savons d’ores et déjà que ce sera peine perdue. Nou pou zis perdi nou létan.» Alors qu’ils pourront canaliser cette énergie pour se mettre à la recherche d’un nouvel emploi. «Ce sera très difficile. L’économie est dans le rouge, les compagnies ne vont pas recruter. Nous ne savons vraiment pas ce que nous réserve l’avenir.»

Qui plus est, à l’heure actuelle, il leur est difficile de faire bouger les choses. Premièrement en raison du confinement et du couvre-feu. «Ki travay pou al rodé ? Ki laport pou al tapé ?» Si, depuis que tout est à l’arrêt, personne ne travaille, ils ont obtenu leur salaire de base. Ils essayent tant bien que mal de faire avec. C’est, selon leurs dires, toujours mieux que rien. «Nou pa koné kouma pou été apré. Nou préfer pa fatig latet ek sa pou lé moman.»

Les employés de MK partagent également la même angoisse, la même frayeur. Après les nombreux remue-ménages au sein de MK, des emplois, de plusieurs, dans différents départements et secteurs, sont désormais menacés. Les plus vulnérables selon des sources internes: les cabin crews, les pilotes... et aussi entre 200 et 400 employés comptant plus de 33 années de services au sein de la compagnie aérienne nationale, âgés de 60 ans et qui seront sur le départ à la retraite prochainement. À jeudi soir, le 28 mai, plusieurs cadres avaient été priés de plier bagages. Il s’agit de plusieurs Executive Vice Presidents.

Vendredi, une centaine de chefs de cabine – qui ont tous complété 33 années et un tiers de service au sein de la compagnie nationale d’aviation – ont été remerciés. Ils ont accepté le plan de préretraite proposé par MK, avec une pension complète.

Des hôtesses de l’air, employées par Airmate, sont, pour leur part, en proie au stress total. Adieu optimisme et dynamisme, elles soutiennent qu’elles sont dans le flou absolu face à cette situation inédite. «L’incertitude nous ronge chaque jour. On ne sait vraiment pas ce qu’il adviendra de nous, nous ne faisons qu’attendre, attendre…» Mais certaines continuent malgré tout à travailleur, sur les vols de rapatriement et de «cargo». Tout en espérant que ce ne sera pas le dernier voyage.

Jusqu’ici, il n’y a pas eu de réunion pour discuter de leur sort ou leur donner une assurance quant à leur emploi. Toutefois, ceux qui bossent chez MK essayent de s’accrocher à l’espoir. Ils gardent contact entre collègues, pour se soutenir moralement ou pour voir si quelqu’un a reçu une lettre de licenciement... «Tout le monde essaye tant bien que mal de garder la tête sur les épaules et de mener à bien son travail. Car notre job nous demande de ne pas laisser transparaître notre détresse.»

D’autres qui aident à mener le Paille-en queue à bon port depuis des années se sont joints à la lutte syndicale. «Zis zot ki pou kapav lit pou nou lintéré.» Radhakrishna Sadien, porte-parole de l’Air Mauritius Cabin Crew Association, martèle que les problèmes de MK ne datent pas d’hier, mais bien avant que le Covid-19 ne fasse son apparition. Il est malheureux, dit-il, que ce soit les «petits travailleurs» qui fassent les frais des retombées.

«Il faut se pencher aussi sur ceux dont les salaires tournent autour des Rs 500 000 ou encore Rs 1 million par mois, mais aussi revoir les privilèges qui sont offerts à des hauts cadres. Je prends l’exemple de l’achat des deux avions par MK, des appareils qui ont été loués à South African Airways.» Compagnie qui traverse elle-même de graves zones de turbulence.

Pour le syndicaliste, il est clair que le gouvernement mauricien devra prochainement soutenir la compagnie aérienne nationale, comme tel est le cas pour Air France ou encore à Singapour. Les administrateurs volontaires auraient dû, selon ses dires, venir de l’avant avec un plan et entamer le dialogue et la discussion avant de décider de réduire jusqu’à 50 % l’effectif. «Li pa kav nek anons sa san okenn négosiasion. Nou, nou dir ki li bizin négosié ek sak sindika. Li primordial.»

Radhakrishna Sadien est catégorique. «Sakrifis bizin fer partou. Fer enn plan, montré nou kot pé cut costs. Nou pa pou dakor ki MK viol so langazman.» Si la prochaine étape, confie-t-il, consiste à saisir le Bureau international du travail, il faudra mettre sur pied une commission d’enquête indépendante sur la gestion de MK.

De plus, le jeudi 28 mai, la cour a autorisé le syndicat du personnel naviguant à saisir l’Employment Relations Tribubal. Cela, après que l’Air Mauritius Cabin Crew Association a déposé un affidavit en cour le 26 mai. Dans le document, le syndicat avait fait savoir que suivant une réunion informelle le 19 mai, les administrateurs avaient déclaré que les propositions soumises étaient insuffisants, sans révéler pourquoi celles-ci étaient inadéquates.

Aussi, que les employés avaient jusqu’au 22 mai pour renoncer à leur Memorandum of Understanding existant et les accords collectifs entre MK et ses employés, afin que les négociations puissent débuter. Au cas contraire, le nombre d’employé sera réduit de 50 % dans les jours à venir, suivant un exercice de sélection unilatérale.

Descente aux enfers

De plus, les huit syndicats représentant le personnel de MK ont adressé chacun, le jeudi 21 mai, un mél aux administrateurs de la compagnie nationale d’aviation et au ministère du Travail. Selon le négociateur syndical Jack Bizlall, ces courriels font part de l’incapacité des instances concernées à répondre, au nom des employés, aux propositions des administrateurs.

Il avait été demandé aux représentants des employés de renoncer aux accords déjà passés avec la direction, c’est-à-dire tous les droits et allocations qu’ils avaient obtenus en plus des conditions figurant dans leur contrat de travail. Et en retour de ce sacrifice, seuls 40 % des emplois seraient sacrifiés au lieu de 50 %. Qui plus est, Jack Bizlall avait soutenu qu’une équipe épluche les comptes de MK depuis 2017 et ce avec l’aide de BIT Associates, une firme internationale d’experts comptables. «On essaie de comprendre quelle a été la raison de la descente aux enfers de MK, qui avait pourtant affiché des bénéfices en 2017.»

Les géants ne sont pas les seuls à souffrir, loin de là. Car le Covid-19 a largement impacté sur les activités des petites et moyennes entreprises. Deux mois de confinement total et d’inactivité fait qu’aujourd’hui les directeurs sont toujours incertains quant au redémarrage dans leur secteur.

À l’instar de ce propriétaire de magasin, qui gère cinq «commerces» où il vend des vêtements pour dame. Il ne sait pas où donner de la tête. Il lui est difficile de dire comment se passeront les mois qui viennent. «L’État nous a aidés à payer nos employés avec le Wage Assistance Scheme. Mais nous, employeurs, nous n’avons pas eu les revenus habituels. Alors que nous devons nous aussi subvenir aux besoins de nos familles. Le travail ne sera plus jamais pareil. Le pouvoir d’achat va définitivement connaître une baisse.»

Pour pouvoir garder la tête hors de l’eau et redémarrer lentement, pour éviter que le business ne coule, il a débuté sous peu la vente en ligne et la livraison à domicile. «Nou pé trasé. Mais ce n’est pas la même chose. Nous ne pouvons pas, par exemple, afficher tous nos produits et plusieurs clients n’osent pas franchir le pas digital. Zot préfer al zot magazin, swazir ek payé sirplas.» Si la situation perdure, il explique que pour la survie de son entreprise, il n’aura d’autre choix que de se séparer d’une partie de son personnel. Car «il faudra bien commencer par réduire les dépenses à un moment donné…»

D’autre part, les directeurs des compagnies – de renom pourtant – sont aussi pessimistes face à l’avenir touristique dans le pays. Ils devront, selon leurs dires, mettre la clé sous le paillasson, temporairement, si aucune aide majeure ne leur est accordée dans le Budget 2020-2021.

Les propriétaires de bateaux et de catamarans évoquent, quant à eux, des dettes colossales qui pèsent sur leurs épaules et leur compte en banque, sans compter la maintenance et la main-d’œuvre. «Nous allons devoir commencer par trouver un moyen de nous soulager financièrement. Cela fait mal au cœur, mais le sacrifice devra se faire. Dans un future proche, nous n’aurons d’autre choix que de nous séparer de nos employés, même ceux qui sont à nos côtés depuis des années. Nou péna swa…»