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Vêlayoudom Marimoutou: «Il faut penser régional et renforcer une dynamique de voisinage»

23 juillet 2020, 10:00

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Vêlayoudom Marimoutou: «Il faut penser régional et renforcer une dynamique de voisinage»

Pour sa première interview de presse à Maurice, le nouveau SG de la COI nous livre ses impressions, réflexions et entames d’action…

Vous avez pris vos fonctions de secrétaire général (SG) de la COI il y a tout juste une semaine. Comment faites-vous à distance ? (NdlR: Vêlayoudom Marimoutou est à La Réunion compte tenu des limitations des liaisons aériennes).

C’est vrai que c’est un mode de travail inédit pour une prise de fonction. On connaît les limites du travail en distanciel. On a besoin de se parler, de se voir, de se rencontrer, d’être en prise directe, c’est humain!

Mais comme pour tout le monde, le mot d’ordre est adaptabilité. J’ai tenu mes premières visioconférences avec les responsables du secrétariat général, ce qui me permet d’avoir une vue d’ensemble des sujets, des dossiers. Forcément, j’ai hâte de pouvoir endosser l’entièreté de ma fonction en étant au siège, à Ébène, en me rendant ensuite dans chacun de nos États membres, et au- près de nos membres observateurs et partenaires pour les premières consultations.

Vous connaissiez la COI avant d’y être nommé ?

Oui, bien sûr. Je suis un Indianocéanien, je me suis toujours intéressé à la région. À l’université de La Réunion, je me suis fait des amis de toutes nos îles, et j’y ai voyagé. Concernant la COI, je m’y suis forcément intéressé ayant porté une réflexion sur les enjeux régionaux, l’économie du développement. Ces questions régionales, au travers de la COI, j’aurai l’occasion de m’y pencher plus en profondeur.

La COI est-elle vraiment utile alors que nos pays, Maurice notamment, sont membres du COMESA, de la SADC ?

Bien sûr que oui ! La COI, c’est la seule organisation régionale d’Afrique exclusivement insulaire. Elle est une organisation de proximité. Elle relie des États qui partagent un même socle culturel, qui parlent la même langue, le même langage. C’est ce qui fait qu’elle a été d’un apport décisif dans le règlement de la crise à Madagascar. C’est ce qui fait qu’elle porte la voix de la région pour un traitement différencié pour les îles auprès de la communauté des bailleurs.

Quelle est sa valeur ajoutée ?

Sa valeur ajoutée, c’est de porter des projets de coopération dans des domaines d’intérêt commun. Je pense notamment à la pêche, à la santé, à la résilience climatique, aux énergies durables. Ce sont des sujets qui dans chacun de nos territoires mobilisent les pouvoirs publics. Et ils mandatent la COI pour des actions régionales dans ces domaines. La COI est d’autant plus utile qu’elle permettra à nos États d’accéder, très prochaine- ment, à des financements climatiques conséquents pour des projets d’adaptation avec le Fonds vert pour le climat. Elle est aussi utile parce qu’elle est réactive, on l’a vu sur le Covid-19. Et, sur les quatre dernières années, les retombées économiques de la COI dans les États membres sont de quatre à sept fois supérieures au coût de fonctionnement de l’organisation…

Parmi les priorités annoncées dans votre discours d’installation, il y a la sécurité maritime. Pourtant, la piraterie somalienne n’est plus la menace qu’elle était…

La piraterie somalienne est effectivement endiguée. Mais elle n’est pas éradiquée. C’est une nuance importante. La menace existe encore.

La COI, avec l’Union européenne (UE) et aussi Maurice lorsqu’elle occupait la présidence de la COI, s’est impliquée très fortement pour la sécurité maritime. Au-delà de la piraterie, il est question de pêche illégale, de trafics illicites en mer, de pollution marine… Et les espaces marins sont une opportunité pour le développement de nos îles. On parle d’État-océans. Maurice, par exemple, est un pays de 2 000 km² qui contrôle une zone économique exclusive 1 000 fois plus vaste ! Nos pays, seuls, ne peuvent assurer le contrôle, la surveillance de ces espaces. La mutualisation des moyens, l’échange d’information, la coordination des actions sont nécessaires. En un mot, c’est de la cooperation.

Et concrètement, que fait la COI, selon vous…

Concrètement, la COI, avec le soutien de l’UE, a conduit sept États de la région à signer deux accords régionaux de sécurité maritime qui s’appuient sur un Centre régional de fusion d’information maritime à Madagascar et un Centre régional de coordination des opérations en mer aux Seychelles. C’est un dispositif adapté et inédit pour la sécurité maritime régionale. Ce faisant, les États membres de la COI, le Kenya et Djibouti sont mieux armés pour lutter contre les crimes et menaces maritimes.

Autre priorité, le climat, la biodiversité. Or, n’y a-t-il pas justement contradiction entre les aspirations économiques et les urgences climatiques et environnementales ?

Le climat et la biodiversité sont des enjeux structurels. Nos îles sont vulnérables aux effets du changement climatique. L’Indianocéanie est la troisième région du monde la plus à risque face aux catastrophes naturelles. Elle est aussi l’un des 34 points chauds de la biodiversité mondiale.

Vous connaissez l’adage : gouverner, c’est prévoir. Gouverner, aujourd’hui, oblige à porter un regard sur l’avenir, sur la durabilité des écosystèmes et des filières. Surtout dans nos îles.

Je ne vois pas de contradiction entre ambitions économiques et urgences environnementales et climatiques. Préserver et gérer l’environnement, lutter contre les effets du changement climatique, c’est faire de l’économie, c’est ouvrir de nouvelles perspectives de croissance, sur un temps long. Il est question de pêche, de tourisme, de sécurité des infrastructures…

La COI met en œuvre des actions de renforcement des capacités nationales pour les négociations climatiques, pour les services climatiques et météorologiques, pour la résilience côtière. Ce n’est pas rien. C’est même essentiel pour les États dans leur capacité à élaborer et mettre en œuvre des politiques publiques. Au regard de l’importance des projets climat et environnement à la COI, je constate que les États membres ont pleinement conscience de l’importance de ces sujets.

Troisième priorité annoncée, le commerce. Le commerce intra-COI reste très faible…

Effectivement, les échanges commerciaux sont modestes, moins de 5% du commerce extérieur régional. Toutefois, l’intégration commerciale se pense, pour quatre de nos États, à l’échelle plus large de l’Afrique, avec le COMESA et dans le cadre de la zone de libre-échange Tripartite. Le rôle de la COI, c’est de les soutenir dans cette intégration commerciale à l’Afrique orientale. La COI les appuie pour que les spécificités insulaires soient prises en considération.

On comprend bien l’importance de faire valoir les besoins spécifiques des îles mais pour le commerce, comment le dynamiser ?

Il y a d’abord un critère objectif, technique. Il nous faut des infrastructures mais pas des ponts ni des routes mais plutôt des lignes aériennes et maritimes, des câbles haut-débit. Justement, la connectivité est un chantier majeur de la COI. Des résultats concrets sont en cours de réalisation sur le numérique avec le câble METISS porté par six opérateurs privés de la région dont Emtel et CEB Fibernet de Maurice.

La COI, avec le soutien du Japon, va relancer des consultations régionales sur le commerce maritime marchand en incluant les pays d’Afrique de l’Est. Elle va aussi réactiver le comité régional des aviations civiles. Il faut des réponses collectives sur cet enjeu de la connectivité. Il faut penser régional, renforcer une dynamique de voisinage, faire remonter notre culture commune. C’est un mouvement de fond qu’on constate partout.

Penser régional, dites-vous, alors que tout pays joue forcément d’abord national…

Dans un contexte marqué par le Covid-19, c’est un agenda d’autant plus important. Mais cela suppose aussi une réflexion approfondie sur les avantages comparatifs des territoires, sur les potentiels à exploiter, sur la mobilisation de l’investissement, sur le rôle du secteur privé et les partenariats publics-privés, entre autres. Et puis, pendant les périodes de confinement, on a constaté des nouvelles habitudes de consommation, plus de frugalité, un regain de solidarité, plus de sensibilité aux questions climatiques et de biodiversité. Il faudra s’inspirer de tout cela pour la reprise. Il faudra être créatif d’autant que le bienêtre collectif ne se mesure pas par le PIB par tête. D’ailleurs, j’ai une confiance profonde dans la jeunesse, sur sa capacité à faire les choses au mieux, à sa manière, à porter des solutions nouvelles.

Toujours sur l’idée de «penser régional», n’est-il pas temps de rendre à Madagascar sa place d’antan, celui de grenier alimentaire de la région ?

C’est un grand sujet, un sujet d’actualité ! Depuis 2013, la COI plaide en faveur de la sécurité alimentaire et nutritionnelle régionale. Madagascar a un rôle moteur à jouer, bien sûr.

Je le constate : à La Réunion, on produit 800 tonnes d’oignons mais on en consomme 8 000 tonnes.Le différentiel est importé mais pas de la région ou peu. Le potentiel est là mais les logiques d’un commerce mondialisé font que les échanges intrarégionaux ne sont pas compétitifs. Et se posent aussi les questions des normes, du stockage, de l’acheminement… C’est un dossier complexe à gérer sur le moyen terme, au moins.

La COI continue son plaidoyer auprès des bailleurs internationaux mais aussi auprès du secteur privé régional. Il y a un intérêt manifeste. Dans le cadre du programme régional de sécurité alimentaire et nutritionnelle, la COI, la FAO et le FIDA ont élaboré plusieurs études sur des filières. C’est une base essentielle pour avancer sur un chemin éclairé. Encore faut-il les moyens des ambitions… C’est donc un sujet qui continuera de mobiliser la COI, nos États membres tout au long de mon mandat.

Restons sur l’économie. Maurice comme centre financier est sur la liste noire de l’UE. Votre avis sur la question…

Je ne peux me prononcer sur un sujet national. Ce serait faire de l’ingérence sur une question qui ne relève pas du mandat de la COI. C’est nécessairement un coup dur pour Maurice mais l’histoire économique du pays est celle de la diversification, de l’adaptabilité, du rebond.

Vous avez évoqué la réactivité de la COI contre la pandémie de Covid-19. Qu’a-t-elle fait ?

Dès février, la COI a élaboré et mis en œuvre un premier plan d’urgence. Deux mois après, elle développait un second plan pour répondre aux besoins en équipements, expertises, médicaments de ses États membres. Je tiens à souligner l’appui et l’accompagnement de l’AFD auprès de laquelle la COI a mobilisé 4,5 millions. Maintenant, je dois poursuivre la mise en œuvre du plan de la COI. Dans les prochaines semaines, nous commencerons l’acheminement d’équipements de protection et de matériels de santé dans les États membres. C’est ma première urgence car le Covid-19 est toujours présent dans nos pays, le risque persiste.

Qu’apportera la COI à Maurice ?

Pour Maurice, la COI a commandé, entre autres, 50 000 réactifs pour les tests PCR, une dizaine de matériels de suivi et de traitement des patients, 5 000 masques, 25 000 surblouses, 20 000 visières… Les matériels sont nombreux et diversifiés.

Et pour l’aprèsCovid-19 ?

La COI doit développer à la demande des États un plan de relance régional. Des axes ont été identifiés, notamment pour des études d’impact socioéconomique, la réactivation du comité régional des aviations civiles, la réorientation de certaines activités pour répondre aux défis immédiats… Il faut donc négocier avec nos partenaires, les mobiliser et identifier les axes d’actions collectives.

Vous êtes ancien recteur, doyen d’université. La coopération éducative, universitaire sera-t-elle une action forte de votre mandat ?

C’est forcément un sujet qui m’intéresse particulièrement. Je pense que la COI doit pouvoir approfondir son action pour l’éducation, la connaissance, la recherche, la coopération universitaire. Le savoir, le partage des savoirs, est un levier du progrès social. Je souhaite, avec nos États, conduire une reflexion poussée sur les échanges universitaires, les formations, la circulation des idées. Il y a, aujourd’hui, des activités avec l’Agence universitaire de la Francophonie, avec des universités de la zone pour la formation dans des thématiques liées aux énergies durables. Il y a, notamment à La Réunion, des expertises techniques en météorologies et services climatiques, en habitat bioclimatique, en énergies renouvelables, qui profitent à la zone. Il y a aussi des actions de recherche au sein de la plateforme régionale de recherche agronomique du CIRAD à laquelle participe la COI. Nous devrions, néanmoins, réfléchir aux moyens de bâtir des cursus régionaux, en phase avec les besoins de nos États et les aspirations de la jeunesse. Bâtir de nouveaux ponts entre les universités de la région ; apprendre aussi de l’expérience de l’université de l’océan Indien pour en tirer les leçons.

En quoi une présidence réunionnaise va-t-elle différer d’une présidence comorienne ou mauricienne ?

Pour l’heure, je prends fonction sous la présidence du ministre des Affaires étrangères de l’Union des Comores avec lequel je devrais m’entretenir très prochainement. La présidence comorienne de la COI est très active. Elle s’est impliquée dans la réponse Covid-19 et porte une ambition forte pour la COI, sa modernisation et son rayonnement politique et diplomatique. Ce sera ensuite à la France d’occuper la présidence tournante de l’organisation et il reviendra à son représentant de dire ce qu’il en sera. Pour ma part, j’aurais l’honneur de connaître une présidence de chacun de nos États membres et j’aurai surtout la responsabilité de traduire en actions les décisions de nos États. Comprenez-bien, la coopération de la COI, c’est un jeu collectif.

Pour vous le SG de la COI et aussi pour vous, Français, quel est rôle de la COI dans le règlement des litiges territoriaux entre la France et les Comores sur Mayotte, Madagascar sur les îles Glorieuses, Maurice sur Tromelin?

Aucun ! La COI anime une coopération régionale dans des domaines d’intérêt commun; elle ne se prononce pas sur ces questions. À juste titre donc, les États membres de la COI ont décidé de traiter de ces questions au niveau bilatéral, entre États souverains.

Vous êtes le 9e SG de la COI et le 2e Réunionnais a occupé cette fonction. Votre parole sera-t-elle celle de la France, de La Réunion?

Ma voix sera celle de la région, de la COI. La COI regroupe cinq États membres. La France m’a fait l’honneur de proposer ma candidature. Et ce sont les cinq États membres qui m’ont fait l’honneur de l’accepter à l’unanimité.

C’est une réponse de diplomate ! C’est la première fois que vous endossez cette fonction pourtant…

Effectivement, c’est la première fois. Le multilatéralisme et la diplomatie sont un nouveau défi, un défi passionnant. Et puis, vous savez, dans les conseils d’administration des universités, on apprend aussi à être diplomate !