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Échouement du «MV Wakashio»: panique à bord et vague de solidarité

8 août 2020, 11:10

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Échouement du «MV Wakashio»: panique à bord et vague de solidarité

Les manoeuvres sont enclenchées pour tenter de limiter les dégâts. Et, 24 heures après les premiers déversements de fioul, les autorités font avec les moyens du bord. Les Mauriciens prêtent main-forte aux ONG qui ont également pris les choses en main. Jay Hurlall, un pêcheur connu de la région, nous a proposés un tour en bateau. En pirogue, plus précisément. Histoire de voir la situation de plus près. 

Constat affligeant. À quelques mètres à peine de l’île aux Aigrettes, un important volume d’hydrocarbure flotte à la surface de l’eau, alors qu’une partie a déjà souillé la faune et la flore marines. Les barrières flottantes ne semblent pas être d’une grande aide, elles ont du mal à retenir l’huile qui continue à se déverser progressivement. Le bilan risque d’être lourd… 

«Res solider» 

Jamais le lagon de Pointe-d’Esny, de Mahébourg et d’autres parties de la côte sud-est n’ont présenté un tel visage de désolation. Même les plus anciens de la région ont du mal à en croire leurs yeux. Un peu plus loin, le vraquier, qui se dégrade à vue d’oeil. Ce qui pousse les personnes sur place à imaginer les scénarios les plus inquiétants. «Li pou kass an dé sa !» 

Durant toute la journée, l’hélicoptère de la compagnie Corail a enchaîné les allers-retours entre le remorqueur PSV Sandford Hawk et le Wakashio. Le but : ramener le carburant récolté à bord du vraquier à terre pour qu’il ne s’éparpille pas en mer. Les hélicoptères de la police, le Druv et le Chetak ont aussi participé à cette opération délicate. 

Les pêcheurs sont encore sonnés, affligés par la tragédie qui se joue sous leur nez. Ils se disent impuissants face à ce qui se passe, on leur a interdit d’entreprendre une quelconque activité dans la région. «Qu’allons-nous faire? Vous savez qu’il y a certains parmi nous qui dépendent de nos prises quotidiennes pour vivre ? Nous ne sommes peut-être pas des experts mais nous sommes conscients du fait qu’un retour à la normale n’est pas pour demain ni après-demain…» martèle Christian Hang Hong, secrétaire de l’association des pêcheurs à Mahébourg. Qu’importe, au lieu de rester les bras croisés, les hommes de la mer proposent leur aide aux autorités. «Dépi premié zour nou pe donn koudmé…» 

Même endroit, autre vague de solidarité, venant du public cette fois. Nombreux sont les Mauriciens qui n’ont pas attendu les directives des autorités pour prendre les choses en main. Les membres de Rezistans ek Alternativ, d’Eco-Sud, de plusieurs ONG, soutenus par de nombreux volontaires, ont passé toute la nuit de jeudi à vendredi à fabriquer des boudins de paille ou à découper des bouteilles en plastique, pour tenter de limiter la casse. 

Du côté du front de mer, à Mahébourg, l’odeur pestilentielle et les dépôts d’hydrocarbure qui viennent s’écraser contre les rochers donnent un aperçu de l’ampleur de la catastrophe. Mais cela ne décourage pas les volontaires, dont le nombre ne fait qu’accroître au fil des heures. Chacun aide comme il peut. Il y a urgence, la traînée de fioul se dirige vers l’île du Mouchoir Rouge… 

Parmi ceux qui mettent la main à la pâte : Twayyeba Dustagheer, une habitante de la localité. «Nou bizin manz ar li ek res solider dan sa moman difisil-la.» Une période noire qui risque fort de durer…



 

Réactions

Navin Ramgoolam: «Je croyais Ramano plus intelligent que ça» 

C’est un désastre non seulement pour l’écologie marine mais également pour les habitants et pêcheurs de la région. Constat dressé par Navin Ramgoolam, lors d’une visite à Pointe-d’Esny, en fin de matinée d’hier. «Je ne comprends pas ce qu’ils font. Depuis 12 jours que ce bateau est là, il fallait faire plusieurs choses et elles n’ont pas été faites. Le bateau n’a même pas été stabilisé. Je croyais que Ramano était plus intelligent que ça. Ek kot pinokio? Linn fonn. Difé bel lor zot.» (NdlR, Pravind Jugnauth s’est rendu sur les lieux par la suite). Selon l’ancien Premier ministre, ce désastre a été causé par «l’incompétence, l’amateurisme et l’insouciance» du gouvernement. Il réclame également des explications sur les circonstances ayant permis au Wakashio d’entrer sur notre territoire maritime.

Reza Uteem:  «Le gouvernement doit assumer la responsabilité du désastre» 

Le député du MMM, Reza Uteem a sillonné la côte sud-est, hier. Le constat est alarmant, selon ses dires. Pour lui, si des mesures avaient été prises «dès le départ» par les autorités, le désastre écologique «aurait pu être évité». Il rappelle que les membres de l’opposition ont interpellé le ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, et le Premier ministre à ce sujet au Parlement mais qu’à chaque fois, ils ont assuré que «la situation était sous contrôle». Maintenant que le mal est fait, Reza Uteem demande au gouvernement «d’assumer la responsabilité du désastre». Il s’interroge aussi sur la raison pour laquelle les autorités n’ont pas eu recours à l’aide proposée par La Réunion plus tôt.

Xavier Duval:  «Les autorités ont pris la situation à la légère» 

Le leader des bleus était vert de rage, hier. Selon Xavier Duval, les autorités ont pris la situation «à la légère». Il a réclamé la démission de deux ministres : Kavy Ramano et Sudheer Maudhoo, «deux néophytes, mais malheureusement l’avenir du pays est entre [leurs] mains. Ils n’ont pas été à la hauteur. Il y a eu beaucoup de négligence».

Ameenah Gurib-Fakim:  «Il n’y aurait pas eu tous ces dégâts si…» 

L’ancienne présidente de la République s’est également rendue sur les lieux du naufrage, hier. «La moindre des choses aurait été d’évacuer le fioul, peut-être qu’il n’y aurait pas eu tous ces dégâts aujourd’hui», a laissé entendre Ameenah Gurib-Fakim.

Pravind Jugnauth:  «Nous n’avons ni les équipements ni l’expertise nécessaires» 

C’est en fin d’après-midi d’hier que le Premier ministre (PM), Pravind Jugnauth a pris la mer pour se rendre là où s’est échoué le Wakashio. Auparavant, il a présidé une réunion du comité de crise, à Blue-Bay. 

Selon le PM, dès les premiers jours, les autorités ont entrepris toutes les démarches pour que la compagnie responsable du Wakashio fasse venir des experts pour, «essayer de sauver le bateau et l’équipage». 

Le plan initial des deux équipes d’experts qui sont venues : stabiliser le bateau. «Or à Maurice, il n’y a pas les équipements et l’expertise requis pour cela. Nou bann tugs pa osi pwisan ki sa», a admis le PM. L’un est venu de La Réunion, un autre a été commandé et un autre d’Inde arrive aujourd’hui. 

Qu’en est-il du pompage de la cargaison de fioul ? «Étant donné la météo, les experts ont estimé que c’était dangereux. Ils attendaient qu’on puisse stabiliser le bateau.» Sauf qu’entre-temps, il y a eu fissure, «un ‘tank’ s’est abîmé». 

Combien d’huile s’est répandue pour l’heure ? Pravind Jugnauth indique qu’un tank contenant «1180 tonnes métriques a été endommagé. Une bonne partie est déjà dans la mer. Deux autres tanks sont encore intacts. Notre premier souci est de pomper cela». 

Le PM a réagi aux commentaires selon lesquels «pann fer nanyé tousa zour la». Pour lui, «ce n’est pas le moment de faire des critiques et de la démagogie. Nous devons être guidés par les experts qui nous ont dit que c’est dangereux. C’est pour cela que l’opération n’a pu avoir lieu au cours des derniers jours». 

Y a-t-il des risques d’autres dommages ? Le PM a indiqué que vu l’état de la mer, «oui il y a des risques qu’un autre ‘tank’ se fissure». Il a reconnu que les pêcheurs sont affectés par cette situation. «Nous allons les payer pour leurs services quand ils vont contribuer à nettoyer.» L’aide de pays amis a été sollicitée. Un compte a été ouvert dans le Prime minister’s Fund, et le National Environment Fund pour aider les pêcheurs affectés. Il a remercié les ONG et les citoyens qui ont offert leur aide. «Mais il faut les canaliser.» La région a été déclarée restricted area, pour éviter les problèmes de santé. «Dimounn pa kapav rant brit dir zot pé netwayé. Tout sera fait selon un protocole sanitaire strict.» A noter que les établissements scolaires de la région qui sont restés fermés hier, le seront aussi lundi.