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MV Wakashio: un échouement qui suscite des interrogations
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MV Wakashio: un échouement qui suscite des interrogations
Comment le «Wakashio», vraquier japonais battant pavillon panaméen, s’est-il échoué sur la côte à Pointe-d’Esny, d’autant plus que le radar de Pointe du-Diable l’a bel et bien détecté ? Si les autorités n’écartent aucune piste, même une possible mutinerie à bord, en revanche, les écologistes se font un sang d’encre.
Depuis tôt hier matin, tous les regards sont braqués sur le lagon de Pointe-d’Esny où le vraquier Wakashio, avec dans sa cale 3 800 tonnes d’huile lourde, s’est échoué sur le récif dans la soirée de samedi. Si les autorités s’attellent à trouver des solutions, les écologistes n’hésitent pas exprimer leurs inquiétudes.
«C’est clair que nous irons vers une catastrophe écologique si les 3 800 tonnes métriques de fioul provoquent une marée noire.» C’est l’avis de l’écologiste Yan Hookoomsing d’Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL) après le naufrage du Wakashio au large de Pointe-d’Esny dans la soirée de samedi.
Il estime que les dégâts ne concernent pas uniquement Pointe-d’Esny mais également le parc marin de Blue-Bay, un site Ramsar déjà en situation critique. «Les écologistes sont inquiets. Les autorités ne nous rassurent pas du tout. Il faut prendre les mesures qu’il faut dans un endroit aussi sensible.»
Sébastien Sauvage, de l’association Eco-sud, abonde dans le même sens. «Le risque est énorme pour toute la réserve de pêche, pour toute la côte est. Ce sera une catastrophe.» Ce qui intrigue les écolo- gistes, c’est qu’en quatre ans, un autre vraquier chavire près de notre côte. L’on sou- vient du MV Benita, le pétrolier libérien, qui s’est échoué au Bouchon en 2016 (voir plus loin). «Il y a une défaillance dans le système de surveillance maritime. C’est extrêmement grave. On annonce un Oil Spill Management Plan, mais c’est l’action qui compte. Il y avait eu d’énormes dégâts avec Benita. Les pêcheurs ont beaucoup souffert», confie Yan Hookoomsing.
Il estime que les dégâts ne concernent pas uniquement Pointe-d’Esny mais également le parc marin de Blue-Bay, un site Ramsar déjà en situation critique. «Les écologistes sont inquiets. Les autorités ne nous rassurent pas du tout. Il faut prendre les mesures qu’il faut dans un endroit aussi sensible.»
Sébastien Sauvage, de l’association Eco-sud, abonde dans le même sens. «Le risque est énorme pour toute la réserve de pêche, pour toute la côte est. Ce sera une catastrophe.»
Ce qui intrigue les écologistes, c’est qu’en quatre ans, un autre vraquier chavire près de notre côte. L’on sou- vient du MV Benita, le pétrolier libérien, qui s’est échoué au Bouchon en 2016 (voir plus loin). «Il y a une défaillance dans le système de surveillance maritime. C’est extrêmement grave. On annonce un Oil Spill Management Plan, mais c’est l’action qui compte. Il y avait eu d’énormes dégâts avec Benita. Les pêcheurs ont beaucoup souffert», confie Yan Hookoomsing.
Selon lui, il faudrait un système de surveillance pour protéger nos lagons. «Nous ne pouvons être aussi impuissants face à ce genre de situation. Les dégâts écologiques sont inestimables et irréversibles.» Il estime que les autorités devraient rechercher l’aide extérieure ou régionale pour gérer cette catastrophe.
Sébastien Sauvage prévient que si rien n’est fait promptement, ce sera le pire désastre écologique qu’aura connu le pays. Il ne blâme pas les garde-côtes car, pour lui, aucune loi n’interdit aux navires de s’approcher trop près de nos côtes. «Depuis 20 ans, on demande que l’on interdise aux navires qu’ils soient pétroliers ou autres de passer par l’est du pays. Les vents sont parfois trop forts et toute panne, même temporaire, du moteur ferait le navire dériver vers notre littoral avec risque bien sûr de s’échouer sur les récifs», déplore-t-il.
Il trouve étrange que le Wakashio se soit dirigé sur Pointe-d’Esny à une vitesse d’environ 11 nœuds sans que rien n’ait été fait. «Après le naufrage du Benito et le navire transportant du riz qui avait échoué au Nord-Est, il semble que l’on n’a pas tiré les leçons. Si on a échappé au désastre avec le Benito et si on échappe à celui du Wakashio, pendant combien de temps encore serions-nous à l’abri d’une telle catastrophe ?» Il rappelle qu’une catastrophe écologique le sera aussi pour l’économie, notre pays dépendant beaucoup du tourisme.
Naufrage prémédité ?
L’écologiste Sébastien Sauvage se demande aussi pourquoi le navire s’est dirigé directement sur des récifs. «La trajectoire du navire est pour le moins troublante. Le pilote ne voyait-il pas grâce à son radar et autre GPS qu’il allait s’échouer sur les rochers ? Pourquoi n’a-t-il pas jeté l’ancre ?» Un habitué de ce genre de situation va même jusqu’à soupçonner un naufrage prémédité pour obtenir l’assurance surtout que le navire se serait dirigé à grande vitesse sur le récif. «Avec la récession qui frappe surtout le commerce et le transport du pétrole et, par conséquent, les pétroliers, il est possible que certains armateurs choisissent de provoquer un accident bidon pour ne pas envoyer leur navire à la casse !»
Pour Osman Mahomed, porte-parole du dossier de l’environnement au Parti travailliste, le fait que la cale du vraquier était vide, c’est-à-dire ne transportait aucun cargo sauf 3 800 tonnes de fioul pour sa consommation, pose question. «Même ces 3 800 tonnes de fioul sont dangereuses pour nos lagons.» Il rappelle que le naufrage du Benito a affecté la faune et la flore du parc marin de Blue-Bay et des environs. Il demande que le propriétaire du tanker s’arrange au plus vite pour le sauvetage et le remorquage de l’épave et aide à contenir toute fuite qui pourrait gravement endommager notre environnement marin et même la côte. Et qu’une enquête soit faite pour savoir pourquoi ce navire sans cargo s’est aventuré si près de nos côtes.
Autre interrogation : le navire s’était-il délesté de son ballast. «Le vraquier est monté tellement haut sur les rochers que l’on peut se poser la question», nous dit un professionnel. Ce qui ne facilitera pas le remorquage du navire. Pour Sébastien Sauvage, ce genre d’incident fait réfléchir: «Que le gouvernement revoie ses priorités et fasse attention avec les projets de hubs pétroliers et de construction de port à Ma- hébourg ! C’est triste surtout en ce Mangrove Day !»
Sollicité pour une réaction, Sunil Dowarkasing, consultant en environnement et ex-Global Strategist de Greenpeace, affirme que «c’est bien qu’il n’y ait pas eu de déversement de pétrole mais un tel incident est très grave pour l’écosystème marin, y compris les récifs coralliens, les orga- nismes marins, entre autres».
Cependant, une question l’interpelle. «Sur quoi les autorités se basent-elles quand ils affirment que la situation est sous contrôle ? Je ne mets pas en doute les compétences des autorités concernées mais il faut savoir s’il y a eu une évaluation des dégâts au navire à ce stade et une évaluation des éventuels risques.» Autres questions qui le taraudent ? «Qu’est-ce que ce bateau est venu faire si près de notre lagon ? Pourquoi a-t-il dérivé de son trajet pour se rapprocher du littoral?»
Un kitesurfer se blesse
<p>Pendant que des policiers de plusieurs unités se rendaient sur la plage en face du lieu où le<em> «Wakashio» </em>s’est échoué, on pouvait voir des personnes faisant du kitesurf, même si la météo avait déconseillé toutes sorties en mer. Certains individus en combinaison de plongée s’approchaient même du <em>«Wakashio».</em> D’ailleurs, un des <em>kitesurfers,</em> âgé de 57 ans, a eu quatre côtes fracturées. Une ambulance de la clinique Fortis Darné a été sollicitée pour l’évacuer.</p>
Rs 150 et Rs 200 pour voir le vraquier de plus près
<p><em>«Morisien traser.»</em> C’est le sentiment qui se dégage après qu’un opérateur touristique à Pointe-d’Esny proposait des excursions pour voir de près le <em>«Wakashio».</em> Sur les réseaux sociaux, il invitait les intéressés à monter à bord pour une virée. Il fallait compter entre Rs 150 et 200 par personne. Par mesure de sécurité, le masque était obligatoire ainsi que le respect des règles sanitaires. Interrogé sur la légalité de cette activité, il affirmait que le bateau s’approcherait à environ 100 mètres du site du naufrage et que l’avis de la NCG avait été sollicité. Tout en assurant que l’activité ne comportait pas de risque. Or, du côté de la NCG, l’on dément lui avoir accordé toute autorisation. Sollicité, un haut gradé de l’organisme assure qu’aucun officier ne lui a donné la permission pour une quelconque activité. «Les ordres du CP sont clairs. La distance est de 1 km.» En effet, lors d’une conférence de presse au QG de la NCG à Les Salines, le CP a affirmé qu’il est interdit de se rapprocher du vraquier dans un rayon de 1 km. <em>«Nous avons vu des plongeurs se rapprocher du navire. C’est un risque pour eux et pour les pirogues.»</em> Les drones sont également interdits à cause des risques pour les hélicoptères en survol.</p>
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Des curieux ne voulaient pas rater l’événement
<p>Malgré le temps inclément, avec le froid et la pluie, enfants et adultes, venant de Curepipe, Rivière-des-Créoles, Mahébourg et même Port-Louis, défilaient ce dimanche dans une petite impasse pour voir le vraquier échoué de la plage de Pointe-d’Esny. Sailesh Ramdin de Curepipe, avec une paire de jumelles, se dit étonné comment cet accident a pu arriver. Il considère cela comme un événement à ne pas rater. Étant une personne <em>«eco friendly»,</em> c’est pourquoi il s’y intéresse autant. Il souhaite que les hommes de la SMF arrivent à maîtriser la situation. Rajiv Nund, de Rivière-des-Créoles, accompagné de son épouse, son fils, qui fête son anniversaire ce dimanche, et de deux amies de celui-ci, n’a pas voulu rater cet événement qu’il voit pour la première fois. Heureusement, fait-il ressortir, qu’il n’y a pas de dégâts, car c’est un endroit fréquenté par des pêcheurs. Jean Noël Ova, 48 ans, habitant de Beau-Vallon, est pêcheur à Mahébourg depuis l’âge de 14 ans. Il est volontaire avec d’autres pêcheurs pour indiquer à la NCG et aux autres le passage à emprunter pour arriver sur le site du naufrage appelé Roches-Noires, non loin de l’épave d’Albair échoué en 1902.</p>
Les autorités se veulent rassurantes
<p>DU côté des autorités, l’on rassure contre le risque de marée noire à Pointe-d’Esny et au parc marin de Blue-Bay. Hier matin, lors d’une visite sur les lieux, le ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, a tenu à rassurer sur les risques de marée noire. «Nous suivons la situation de près. Le parc marin est à côté. Je peux vous dire que jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’oil spill. La situation est sous contrôle.» Il a expliqué que le National Oil Spill ContingencyPlan a été enclenché depuis 8 heures hier matin.</p>
<p>Anwar Husnoo, ministre des Collectivités locales, de la gestion des catastrophes et des risques, accompagné du commandant de la <em>Special Mobile Force</em> (SMF), Anil Kumar Dip, a tenu à rassurer que le Wakashio ne comporte aucun risque de déversement d’huile en mer et qu’il n’y a aucun blessé parmi l’équipage. Dès samedi soir, après avoir été informés de la catastrophe, le <em>National Emergency Operations Command, le Disaster Management </em>et différents départements concernés se sont activés et sont venus pour un constat de visu. Le ministère de la Santé a été contacté pour mettre le protocole du Covid-19 s’il faut placer l’équipage en quarantaine. Les autorités doivent aussi trouver une solution pour les experts de l’entreprise de sauvetage qui viendront à Maurice. Entre-temps, des officiers de la SMF et du Groupe d’intervention de la police mauricienne attendaient les directives pour installer des bouées en mer pour sécuriser le Wakashio contre tout éventuel déversement d’huile en attendant l’arrivée des experts de l’entreprise de sauvetage pour évaluer les dégâts. Le commissaire de police (CP) Khemraj Servansingh, rencontrant la presse au QG de la National Coast Guard (NCG), a affirmé que des sea booms (barrages flottants) ont été transférés à Pointe-d’Esny, opération qui prend 7 à 8 heures, comme précaution contre une éventuelle marée noire. <em>«L’hélicoptère de la police survole les lieux et il n’y a aucun oil spill. La mer est houleuse mais il n’y a pas de dommage à la coque à ce stade»,</em> rassure le CP. La structure du vraquier serait différente des autres. <em>«So mazout bien protézé. Li ankor an pic. Si li tourn 90 dégré, li vinn danzéré. Lerla li tap lor flan. La puissance des vagues peut endommager la coque du navire. Enn patrouy élikopter pé asiré ki péna oil spill.» </em></p>
<p>Le CP a aussi pris à contre-pied ceux qui disent que le radar de Pointe-du- Diable n’aurait pas fonctionné. <em>«Le radar l’a vu. Nous avons essayé d’entrer en communication pendant des heures. C’est au dernier moment qu’il a dévié.»</em> Selon la chronologie des événements, à 19 h 10, alors que le vraquier se trouvait près de la côte à Pointe du Diable, des premiers contacts ont été établis entre la NCG et le capitaine du navire. <em>«La NCG a essayé de le contacter mais il n’a pas répondu. Vers 19 h 25, la NCG a recontacté le capitaine. Il était presque à 6,5 milles nautiques de Pointe-du-Diable. Il n’y a eu aucune réponse du capitaine. C’est à 20 h 10 il a répondu.»</em> Selon lui, le capitaine, de nationalité indienne, a affirmé qu’il n’avait aucun problème car il se trouvait sur un <em>«innocent passage»,</em> c’est-à-dire la route maritime normale. Ce n’est que quelques minutes après, que le capitaine a informé qu’il dérivait et qu’il s’est grounded sur le récif à 1,5 m de profondeur et une distance de 1,2 mille nautiques de Blue-Bay à 900 m de la côte de Pointe-d’Esny.</p>
<p>Le vraquier appartient à Okiyo Maritime Corporation, une compagnie japonaise. Le CP a affirmé que le <em>Director of Shipping</em>, Alain Donat, a déjà contacté le propriétaire du vraquier pour une opération de <em>«salvage»</em> qui sera assurée par une compagnie spécialisée. Si rien n’a été finalisé encore, le propriétaire devrait faire appel à Nippon Salvage Co. Ltd au Japon et la compagnie va recruter une firme hollandaise, SMIT Salvage, comme sous-traitant pour mettre en place un <em>Salvage Assessment Plan. </em>Une fois l’accord signé, la salvage operation pourra être enclenchée.</p>
Ces navires qui ont échoué sur nos côtes
<p><strong>Le «Dalbair» en 1902</strong></p>
<p>Selon le site <em>Vintage Mauritius</em>, nos fonds marins comptent pas moins de 600 épaves victimes de naufrages ou de guerres. Le Dalbair, un navire cargo en acier construit en 1895 en Écosse, a fait naufrage en 1902. Le navire pesant 1 474 tonnes, avait quitté Cardiff pour Maurice avec une cargaison de charbon le 14 novembre 1901. Après 82 jours en mer, le navire a rejoint le sud-est le 4 février. Un cyclone qui rôdait dans les parages a pris le capitaine par surprise. Le navire s’est finalement échoué sur le récif de Pointe-d’Esny le matin du 5 février. Dix membres d’équipage ont quitté le navire sur un bateau de sauvetage qui a chaviré. Trois marins sont morts noyés mais le capitaine et d’autres membres d’équipage ont pu être sauvés.</p>
<p><strong>Le «MV Angel» en 2011 </strong></p>
<p>Dans la nuit du 5 août 2011, le cargo panaméen <em>MV Angel</em> se retrouve sur les récifs à 2,7 milles nautiques des côtes de Poudre-d’Or. Le navire vieux de 25 ans faisait route de Singapour vers la Côte-d’Ivoire avec 32 000 tonnes de riz dans ses cales quand il a eu une panne de moteur. Le mardi 9 août, un premier constat est fait par la Shipping Division et le mardi 16 août les opérations de pompage d’huile lourde commencent. Un remorqueur du Sri Lanka, le <em>Mahanuwara</em> arrive sur place, suivi du <em>N’Dongeni</em>, du Mozambique. Le 5 septembre, le bateau danois Thor Gitta accoste le <em>MV Angel</em> pour transborder sa cargaison de riz et pomper le fioul pour renflouer le navire. Le samedi 26 novembre, le cargo panaméen coule par 4 400 mètres de profondeur à 36 milles nautiques de la côte sud-est, à 67 km au large de Pointe-d’Esny, 33 heures après avoir été enlevé des récifs. Le cargo présentait des fissures sur une surface de 40 mètres de long par 10 mètres de large.</p>
<p><strong>Le «Mv Benita» en 2016 </strong></p>
<p>Le pétrolier a échoué sur les récifs du Bouchon le 17 juin 2016. Entre le pompage de sa cargaison d’huile lourde, le déversement d’une eau contaminée le 18 juin, la fuite de fioul le 22 juillet, le nettoyage, les tentatives de renflouage, le <em>MV Benita</em> a constitué un véritable feuilleton à rebondissements pour les habitants de la région qui ont applaudi lorsqu’il a finalement été désencastré de son lit de rochers le 23 juillet. Mais remorqué par <em>l’Ionian Sea FOS</em> pour le cimetière de navires <em>d’Alang</em>, au Gujerat, il a sombré à 93,5 milles nautiques de Maurice à une profondeur de 4 400 mètres. Personne ne se trouvait à bord.</p>
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