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Sorry seems to be the hardest word...

22 août 2020, 16:30

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Sorry seems to be the hardest word...

Le Premier ministre mauricien ne présentera pas les excuses de son gouvernement à la population, après le naufrage du MV Wakashio, vraquier japonais battant pavillon panaméen le 25 juillet dernier au sud-est de Maurice. Pas d'excuses pour la marée noire qui a suivi 12 jours après. Il durcit le ton et refuse l'accès à ses conférences de presse à deux médias. C'est trop pour la population.

A Maurice, le silence s’est tu. Une par une, les digues qui contenaient les colères des Mauriciens devant le fiasco du MV Wakashio cèdent, laissant se déverser un flot qu’aucun des « booms » de la propagande ne semblent pouvoir contenir. La population s’exprime sur les réseaux sociaux, les médias et ne prend plus de gants. Une tension s’installe, s’amplifie, inquiète. Vous êtes le seul à pouvoir l’apaiser.

Beaucoup en veulent à votre gouvernement, M. le Premier ministre. Et à vous également. Des visages le disent, ouvertement, de manière directe, sans cérémonie. « Qu’ai-je fait pour devoir présenter des excuses ? », demandez-vous. Mais, ce n'est pas ce que vous avez fait qui pose problème mais ce que vous n'avez pas fait. Pourquoi n’y a-t-il pas eu dès le 26 juillet une parole de vérité et une transparence qui auraient aidé.

Toutes vos réponses pointent vers "des experts". Mais M. le Premier ministre, les Mauriciens n’ont pas élu des experts sans visages lors des dernières législatives mais des candidats. Quand ils constatent qu'un vraquier de 300 mètres transportant plus de 4 000 tonnes métriques d’hydrocarbures s'est fracassé contre le visage de leur pays, ils espèrent des prises de décision et des explications. Quand investis dans une course contre la montre pour sauver leur lagon, ces Mauriciens voient que leur Premier ministre se place finalement en porte-parole d’experts, avec d'autres ministères utilisant leur temps pour démontrer que des photos du vraquier qui penche étaient manipulées, comment voulez-vous que les mots de votre équipe soient crédibles ?

La BBC ? Elle représente quoi ?

 

Pravind Jugnauth, Premier ministre de Maurice, en conférence de presse, le 12 août 2020. (Captures d'écran de la Mauritius Broadcasting Corporation).
Pravind Jugnauth, Premier ministre de Maurice, en conférence de presse, le 12 août 2020. (Captures d'écran de la Mauritius Broadcasting Corporation).

 

Et si ce n’était que ça, M. le Premier ministre... Maintenant, cette colère se fait voir et entendre sur des plateaux de médias étrangers ! Jusque-là, vous aviez affaire à des Youtubers qui exécutaient des commandes, mais là, il s'agit de la British Broadcasting Corporation (BBC). Vos experts ont dû vous dire qu'avec la BBC, soit ça passe ou ça casse. Au lieu de faire oublier ce passage de quelques minutes ce 12 août, vous administrez une leçon de journalisme à cette télévision en conférence de presse. « Premièrement, je dis à la BBC que lorsqu’elle présente une version, elle doit donner l’occasion aux autres versions de se faire entendre ». Bravo ! Heureux de voir que vous appuyez cette règle essentielle de l'équilibre journalistique, de surcroît quand il s'agit d’un diffuseur du service public. J'espère que ce message a été entendu localement par certains décideurs de la Mauritius Broadcasting Corporation qui se livrent parfois à des pratiques de « reporting », disons, pas très catholiques.

Si la question de présenter « an apology » a été soulevée c’est qu’elle ne vient pas de nulle part. La journaliste qui vous interrogeait a compris ce qui se jouait à Maurice. Mais vous ne l’avez pas pris ainsi. Dans cette même conférence de presse, interrogé sur cette demande d’excuses, vous lancez à qui veut l’entendre : « La BBC ? Elle représente quoi ? », « Elle s’appelle BBC ? So what? »… Impensable ! Mais quel expert a pu vous conseiller de parler de la BBC comme l’aurait fait l’ancien président zimbabwéen, Robert Mugabe ? Et à un moment où Maurice doit être à son meilleur niveau face aux Britanniques dans le dossier Chagos ?

Et ce n’est pas fini. Le festival se poursuit. Vous allez jusqu’à refuser l’accès à deux médias – "l’express" et "Top FM" – lors de vos conférences de presse. Incroyable, quand on sait que des anciens journalistes qui se sont fait connaître grâce à "l'express", font partie de votre garde rapprochée ! Vous choisissez donc, en temps de crise, de fermer les portes à deux médias dont l'audience est peut-être composée de vos électeurs ou d’électeurs à convaincre. Choisir ce moment pour restreindre la liberté de la presse ? Alors que Maurice vient d’atterrir sur la liste noire des centres financiers de l’Union européenne ? Vraiment ?

 

Une de l'express du 14 août 2020.
Une de l'express du 14 août 2020.

 

Calmer la tempête

Monsieur le Premier ministre, vous avez besoin de la population pour avancer et elle vous rappelle aujourd’hui que vous vous êtes engagé à être à son service. Ce qui est aussi le cas pour l’opposition. Si vous voulez continuer, si vous souhaitez calmer la tempête, il va falloir lui donner quelque chose. Monsieur, faites amende honorable. Et faites-le en personne, pas via vos ministres qui se montrent aujourd'hui en rang d’oignons, comme la grêle après les vendanges, ou selon l'expression mauricienne, la tisane après la mort. Et surtout pas d’argent, ni d’augmentation de salaire ou de retraite, ni de briani, ni de club de football de la Premier League anglaise… ça c’était avant le Wakashio. Dites ce mot d'excuse et de regret au nom de votre gouvernement pour permettre à la population mauricienne de croire en votre sincérité. Permettez à toute la presse de faire son travail au nom de la gouvernance. Ignorer cela, s’accrocher et jouer aux autoritaires ne vous mèneront pas loin. Et vous le savez bien, la population agira dès que notre démocratie lui en donnera l’occasion.

Vous avez de la chance, M. le Premier ministre. A Maurice - c'est une de nos fiertés - nous avons toujours préféré le bulletin de vote au goudron et aux plumes. Et ça ne changera pas, même si, aujourd'hui, nous avons en stock une bonne quantité d’huiles lourdes et de cheveux.

Texte paru dans le Club Mediapart, le 14 août 2020